Notre démocratie a besoin de contre-pouvoirs sinon elle se meurt
La France est pauvre en contre-pouvoirs, l’exécutif et son administration n’ayant quasiment aucun frein et peu de comptes à rendre face à leurs décisions. Qu’est-ce que ce Conseil national de la refondation - annoncé par le président - vient faire dans une démocratie exsangue, fondée sur une hyperprésidence? Ce serait un ovni qui tiendrait du CESE (conseil économique social et environnemental) et des conventions citoyennes, donc le pire des deux mondes: l’entre-soi des experts officiels et des représentants d’intérêts avec des citoyens tirés au sort, les premiers influant sur les seconds. Pourquoi se lancer dans un grand «milk-shake» pseudo-démocratique qui ne ferait que repousser les prises de décisions ?
Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le vendredi 10 juin 2022. |
La banalisation de l’état d’urgence, terroriste et même sanitaire depuis 2020, avec l’adoption de mesures exorbitantes du droit commun et l’usage du Conseil de défense, a usé notre démocratie. L’équilibre des pouvoirs n’est plus respecté. Nous vivons une grave crise de nos institutions. Il n’est qu’à voir les taux d’abstention (municipales: 58 % ; régionales: 65 % ; présidentielle: 28 %).
Au lieu de renforcer le rôle du Parlement, on le contourne: création de la convention citoyenne pour le climat, comme si nous manquions d’élus (plus de 600.000). La loi climat qui en découle est aberrante par le niveau de taxes, de normes, de destruction d’emplois qu’elle implique et alors même que la France constate qu’elle a un besoin crucial de l’énergie nucléaire.
Pourquoi, en France, le pouvoir législatif a-t-il si peu de prérogatives en matière d’évaluation des politiques publiques? Pour quelle raison les études d’impact supposées évaluer les conséquences économiques et sociales des lois sont-elles si peu chiffrées? Comment expliquer qu’elles n’abordent jamais la question de la complexité normative? Faut-il accepter qu’il soit quasi impossible pour les parlementaires de contester la fiabilité des études d’impact auprès du Conseil constitutionnel?
Malgré une dette qui s’envole chaque année un peu plus en valeur, pourquoi la vigie budgétaire qu’est le Haut Conseil des finances publiques ne peut-elle pas émettre ses propres prévisions? Et, surtout, combien de temps la France attendra-t-elle encore avant de mettre en place un frein à l’endettement? La Suisse, l’Allemagne et la Suède l’ont fait depuis nombre d’années avec des résultats positifs sans équivoque et le rééquilibrage de leurs finances publiques qui ont permis d’affronter la crise sanitaire et économique dans de meilleures conditions budgétaires.
Nos concitoyens ont l’impression de ne plus comprendre où va leur argent, de ne plus être protégés par notre Constitution. Comment est-il possible que les taux de CSG ne soient pas les mêmes si on a une retraite de plus ou de moins de 2000 euros? Qu’on puisse, pendant plusieurs années, faire perdurer la taxe d’habitation pour certains contribuables et pas pour les autres? Comment est-il possible que des taxes votées comme exceptionnelles perdurent indéfiniment sans que personne n’y voie rien à redire? L’équité devant les charges publiques est clairement mise à mal.
Comment renforcer notre démocratie qui semble flancher? Cela exige de renforcer le rôle du Parlement: il est temps de le doter d’un organe d’audit indépendant avec le détachement de personnels de l’Insee. Cet organe d’audit aurait pour mission non seulement de produire des études sur les politiques publiques, mais également de procéder à l’évaluation des normes qu’entreprises et particuliers doivent respecter. Il pourrait élaborer, pour nos représentants, des analyses contradictoires des études d’impact des projets de loi s’il y a lieu et réaliser celles des propositions de loi des députés et sénateurs.
Améliorer le pilotage de nos finances publiques réclame d’instituer un frein à l’endettement de niveau constitutionnel, un renforcement des prérogatives du Haut Conseil des finances publiques et la mise en place d’un objectif national des dépenses des administrations locales (Ondal) inséré au sein des lois de finances avec un caractère contraignant analogue à l’Ondam pour les dépenses d’assurance-maladie.
Simplifier, clarifier l’exercice du pouvoir exécutif et assurer la stabilité budgétaire nécessite de conférer au premier ministre, dans la Constitution, la fonction de ministre des Finances. Il n’y aurait ainsi plus de négociation entre les ministres «dépensiers» et Bercy. Sous la IIIe République, déjà, le président du Conseil disposait également d’un portefeuille ministériel de droit commun.
Soumettre par référendums les grandes décisions de politiques publiques à nos concitoyens est, enfin, indispensable pour débattre du fond et éviter les blocages de minorités agissantes, sur des sujets comme la réforme des retraites, la réforme de la fonction publique ou la mise en place de prestations sociales «à la source» .
C’est à ce prix que seront conjurés le décrochage de la France et le délitement de nos services publics.