L’opportunité STX France : bâtir un géant européen de la construction navale
La tempête qui secoue STX offre une opportunité inédite à la France. En renonçant à sa stratégie stérile de blocage au profit d’une stratégie ambitieuse d’alliance, l’État français peut participer à l’émergence d’un géant européen de l’industrie navale. Le rassemblement de Fincantieri, DCNS et STX serait la garantie d’une activité de construction navale compétitive sur le marché mondial et un gage de pérennité pour les célèbres chantiers français. Bien que complexe il n’est pas irréalisable et serait facilité par un premier partenariat franco-italien au capital de STX France. Il est aussi l’occasion pour l’État français d'éviter la charge financière récurrente que représentent les chantiers de Saint-Nazaire.
Saint-Nazaire : fleuron industriel aux pieds d’argile
Le cas de la société STX France, propriétaire des célèbres chantiers de Saint-Nazaire, attise aujourd’hui les passions. En 2013, l’ombre d’une prise de possession du fleuron industriel français - détenu à 66,6% par STX Europe et à 33,3% par Bpifrance - par le groupe sino-britannique PHHM - intéressé par un rachat en bloc des actifs de la maison mère STX World en faillite - fait souffler un vent de panique sur le monde politico-industriel français. Depuis, l’avenir du constructeur reste incertain. STX France fait figure d’emblème de réussite industrielle. Son savoir-faire mondialement reconnu lui permet d’entretenir un carnet de commandes bien rempli et de s’assurer une confortable situation financière qui contraste avec celle des autres divisions de la compagnie.
Cependant, cela n’a pas toujours été le cas. Entre 2008 et 2010, puis en 2012, les carnets de commandes du français étaient presque vides. Signe des difficultés rencontrées, le constructeur a significativement réduit ses effectifs au cours des années 2000. La construction navale est un secteur dominé par les clients dans lequel les chantiers de Saint-Nazaire ont souvent survécu grâce aux concours indirects des pouvoirs publics [1]: au moyen de subventions déguisées, des « investissements d’avenir » et d’une recherche active de commandes. C’est cette fragilité structurelle qui explique la faible valorisation de STX France : seul acquéreur en lice, l’italien Fincantieri n’aurait pas à débourser plus de 80 millions[2] d’euros pour acquérir l’ensemble des parts détenues par STX Europe. Alors que certains se réjouissent de cette offre, qui écarte ainsi le spectre d’un rachat par des investisseurs extra-européens, d’autres craignent une perte d’influence française qui entrainerait à terme le déclin des chantiers navals au profit de leurs concurrents européens détenus par le repreneur.
L’imbroglio franco-italien
L’inquiétude des pouvoirs publics français n’est pas injustifiée : les chantiers de Saint-Nazaire concentrent des enjeux majeurs et restent une source non négligeable d’emplois. En plus d’être une pièce maitresse du savoir-faire français dans le domaine de la construction navale et des énergies renouvelables en mer, les chantiers sont utilisés par le constructeur militaire DCNS détenu conjointement par l’État français (62%) et Thales (35%). La reprise par Fincantieri, engagé dans la construction de bâtiments militaires et ayant conclu un accord commercial concernant le civil avec le chinois CSSC, pose un triple défi au constructeur et à l’actionnaire public :
- Conserver l’accès au chantier pour continuer à y produire les navires de guerre commandés ;
- Protéger le secret, éviter les transferts et fuites concernant les technologies d’armement et les contrats de défense nationale ;
- Préserver les parts de marché du français face à un concurrent direct renforcé par la transaction.
En faisant planer le spectre d’une utilisation du « décret Montebourg » ou d’une montée au capital (en activant le droit de préemption accordé par le pacte d’actionnaires signé avec STX) pour bloquer l’acquisition, alors même qu’il déclare vouloir s’abstenir de prendre une participation majoritaire[3], l’État entendait faire pression sur Fincantieri pour limiter sa présence au capital à moins de 50%. Il a seulement réussi à attiser les tensions avec le gouvernement italien[4], détenteur de 72,51% des parts du constructeur (via la holding Fintecna), qui ne fait pourtant pas preuve de la même méfiance envers les nombreuses compagnies françaises qui investissent dans les entreprises de son pays (comme avec Parmalat[5]).
Le gouvernement s’est trop souvent jeté dans la bataille du sauvetage d’entreprises « emblèmes » sans réfléchir à la viabilité économique de celles-ci[6] et doit faire attention à ne pas trop s’immiscer dans la gouvernance d’une entreprise « qui marche ». Il se retrouve aujourd’hui confronté à une situation qui peut porter atteinte à ses intérêts stratégiques, en affectant DCNS, mais qui concerne directement une activité, la construction navale civile, qu’il avait lui-même privatisée en la jugeant non stratégique.
Pourtant, il existe bien une solution bénéfique à tous les acteurs de l’opération STX. L’État français peut se montrer ambitieux. Le rachat d’une majorité des parts par l’italien n’est pas un problème en soi s’il s’intègre à une vraie stratégie de développement. En fait, la reprise des chantiers français présente une opportunité inédite : celle de constituer un géant franco-italien de l’industrie navale militaire et civile en rassemblant STX France, DCNS et Fincantieri.
Constituer un géant européen de la construction navale
Les constructeurs ont tout à y gagner. Tout d’abord, une fusion annihilerait la concurrence entre DCNS et Fincantieri. En permettant une ambitieuse stratégie de mutualisation des moyens de production elle répartit l’activité entre tous les chantiers du groupe, améliore les délais et réduit les coûts de production. De plus, la nouvelle entité comble les faiblesses actuelles de l’italien : il acquiert des capacités de production de bâtiments à très fort tonnage à Saint-Nazaire et récupère l’expertise développée par STX France et DCNS Énergies dans les énergies renouvelables marines.
Une entité Fincantieri-DCNS-STX France serait extrêmement compétitive sur le marché mondial. Elle pourrait affronter sereinement la concurrence asiatique et assurer l’indépendance stratégique de l’Europe en matière de capacité navale militaire. Elle disposerait des fonds considérables nécessaires pour maintenir une industrie navale de pointe.
Une telle solution requiert un accord vaste, complexe et chronophage entre gouvernements français et italien mais il n’est pas nécessaire que celui-ci soit conclu dans les délais impartis à l’acceptation de l’offre d’achat de Fincantieri. La signature d’un pacte d’actionnaires entre Fincantieri, DCNS et l’État français au sein de STX France pose la première pierre du partenariat franco-italien. Elle protège les intérêts français pendant la durée des tractations et établit un cadre privilégié de négociation. Elle implique l’entrée de DCNS au capital des chantiers navals français mais n’empêche pas qu’une majorité des parts soit détenue par le constructeur italien.
Cette stratégie n’est pas nouvelle : le rapprochement entre DCNS et Fincantieri a depuis longtemps les faveurs de Hervé Guillou, le patron de DCNS, qui en parle avec l’État au moins depuis 2015. Envisagé sous la forme de participations croisées, le dossier « Magellan » a été gelé par l’État qui s’est ensuite efforcé de le maintenir séparé de la reprise de STX par l’Italien… Si bien qu’aujourd’hui aucun des deux n’est réglé et que l’on reste bien loin du « EADS naval[7] » voulu par le dirigeant des anciens arsenaux nationaux.
En période électorale, les risques symbolique et politique l’emportent sur tout autre considération. La peur que tout rapprochement non « franco-français » soit ressenti comme l’abandon d’une « industrie d’État » et la perte d’un « savoir-faire inestimable », détenu par des ouvriers rassemblés dans un puissant syndicat, pèse lourdement sur les décisions publiques.
Poursuivant une stratégie de la demi-mesure et du statu quo, la France refuse simultanément, d’appliquer librement la législation européenne en acceptant le rassemblement des constructeurs européens, et de reprendre en main le secteur en renationalisant des chantiers navals non stratégiques. Une absence de vision qui ne peut que mettre en danger l’avenir des fleurons industriels que l’État prétend pourtant défendre… Le gouvernement doit dépasser les considérations politiques immédiates qui le poussent encore à retarder la transaction. Il pourra continuer à protéger ses intérêts en matière de Défense nationale en signant une convention de protection des actifs stratégiques sur un modèle proche de celui utilisé pour les missiles balistiques du groupe Airbus. Il faut prendre conscience que la sauvegarde du joyau français exige une vision à long terme. Une stratégie d’avenir pour des chantiers français pérennes et innovants doit passer par la voie européenne, la France et l’Italie ont une chance à saisir.
[1] Philippe François, 14 mai 2013, « STX-chantiers navals de Saint-Nazaire : l’heure de vérité », Fondation iFRAP [http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/stx-chantiers-navals-de-saint-nazaire-lheure-de-verite]
[2] La tribune.fr, 11 février 2017, « Reprise des chantiers navals STX : bras de fer entre l’État français et Fincantieri », La Tribune [http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/reprise-des-chantiers-navals-stx-bras-de-fer-entre-l-etat-et-fincantieri-637819.html]
[3] Valérie Collet, 11 janvier 2017, « STX France : Hollande évoque un actionnariat multiple », Le Figaro Economie [http://www.lefigaro.fr/societes/2017/01/11/20005-20170111ARTFIG00105-stx-france-hollande-evoque-un-actionnariat-multiple.php]
[4] Rédaction Europe1.fr et Reuters, « STX : l’attitude de la France envers Fincantieri est inacceptable dit Rome », Europe 1 [http://www.europe1.fr/international/stx-lattitude-de-la-france-envers-fincantieri-est-inacceptable-dit-rome-2979842]
[5] Lefigaro et AFP, 27 décembre 2016, « Lactalis lance une OPA sur sa filiale italienne Parmalat », Le Figaro [http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2016/12/27/97002-20161227FILWWW00031-lactalis-lance-une-opa-sur-sa-filiale-italienne-parmalat.php]
[6] Bertrand Nouel, 20 octobre 2016, « Florange, Alstom, STX et les autres : l’État pompier », Fondation iFRAP [http://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/florange-alstom-stx-et-les-autres-letat-pompier]
[7] L’heure H, Interview d’Hervé Guillou, 28 février 2017, BFM TV [http://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/audio/bfm-2802-18h-l-heure-h-l-interview-d-herve-guillou-369472.html]