Légion d'honneur : une réforme symbolique mais nécessaire
Le président de la République, Emmanuel Macron, a décidé de changer les règles d'attribution du 1er ordre national - la Légion d'Honneur - en diminuant sur la période 2018-2020 le nombre d'élévations à la dignité de grand-croix et de grand officier et de promotions dans les grades de commandeur, officier et chevalier à titre national civil (-50%) et militaire (-10%), et étranger (-25%) en privilégiant la récompense des mérites dûment reconnus, notamment des personnes anonymes peu connues du public.
Les (nombreuses) décorations de la République
Cette volonté d'Emmanuel Macron peut trouver sa justification et sa cohérence avec la réforme engagée dans le début des années 1960 par le Général de Gaule qui s'inscrit dans un plan d'ensemble de revalorisation des décorations1 avec :
- La promulgation du code de la Légion d'honneur2 et de la Médaille militaire3 notamment sur la base du décret n° 62-1472 du 28 novembre 1962 portant code la Légion d'honneur et la Médaille militaire qui a permis :
- Non seulement d'abroger 77 textes (ordonnances, lois, décrets, arrêtés) publiés entre les 13 et 23 messidor an X (2 et 12 juillet 1802) et le 6 avril 1961 dont un certain nombre précisaient les conditions d'extension ou de restriction du droit au traitement financier accordé aux titulaires de ces 2 décorations (voir ci-dessous) ;
- Mais aussi de restituer à ce 1er ordre national le prestige qui doit être le sien et qui vise à reconnaître et récompenser les mérites éminents.
- La création d'un 2nd ordre national : ordre national du Mérite avec le décret n° 63-1196 du 3 décembre 19634 qui :
- Non seulement s'est accompagné de la mise en extinction d'un nombre important d'ordres5 nationaux et coloniaux divers et variés : Mérite social, Mérite commercial et industriel, Mérite artisanal, Mérite touristique, Mérite combattant, Mérite postal, Mérite sportif, Mérite du travail, Mérite militaire, Mérite civil du ministère de l'intérieur, Mérite saharien, Ordres de l’Économie nationale, de la Santé publique, de l'Étoile noire, du Nichan El Anouar et de l'Étoile d'Anjouan ;
- Mais aussi, permet de récompenser des mérites distingués ne présentant pas toutes les qualifications requises pour l'attribution de la Légion d'honneur et de faciliter dans certains cas l'octroi de décorations à des personnalités étrangères.
- Le maintien de 4 ordres nationaux6 : Palmes académiques, Arts et Lettres, Mérite agricole et Mérite maritime visant à récompenser des actions méritoires dans ces domaines ;
- Le maintien à partir de 1963, voire la création progressive de médailles7 ministérielles de reconnaissance, d'honneur et commémoratives pour récompenser des services honorables dans différents domaines :
- à titre civil : PTT, Eaux et forêts, Affaires étrangères, Douanes, Personnels civils relevant du ministère de la Défense, Administration pénitentiaire, Travaux publics, Sapeurs-pompiers, Marins du commerce et de la pêche, Chemins de fer, Blessés civils, Famille, Meilleur ouvrier de France, Sociétés musicales et chorales, Protection judiciaire de la jeunesse, Travail, Mines, Transports routiers, Jeunesse, sports et engagement associatif, Agricole, Régionale, départementale et communale, Tourisme, Police nationale, Santé et affaires sociales...
- à titre civil et militaire : Reconnaissance aux victimes du terrorisme, Croix de guerre des théâtres d'opérations extérieures, Croix de la Valeur militaire, Acte de courage et de dévouement, Aéronautique, Sécurité intérieure, Reconnaissance de la Nation, Médailles outre-mer et commémorative française...
- à titre militaire : Gendarmerie nationale, Défense nationale, Blessés militaires, Croix du combattant, Services militaires volontaires...
On constate donc que la proposition de rationalisation de la Légion d'Honneur d'Emmanuel Macron ne concerne qu'une petite partie d'un éventail d'ordres et de décorations qui permet déjà de récompenser les individus, en respectant les principes définis dans leurs textes fondateurs, notamment en ce qui concerne la notion de services rendus.
Quel traitement financier accordé aux titulaires de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire ?
Cependant, cette proposition de rationaliation aurait mérité d'être accompagnée d'une mesure d'économies en ce qui concerne le coût des traitements financiers accordés aux titulaires de la Légion d'honneur, sous certaines conditions, et de la Médaille militaire qui est pour cette dernière :
- la plus haute distinction militaire française créée par l'Empereur des Français Napoléon III en 1852, destinée à récompenser les non-officiers méritants, voire les officiers généraux pour services exceptionnels ;
- la 3ème décoration française dans l’ordre de préséance après l’ordre de la Légion d’honneur et l’ordre de la Libération (l'ordre national du Mérite étant en 4ème position).
La création de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire s'est traduite par l'obtention au profit des titulaires d'une rente viagère dont le montant, significatif pour l'époque, permettait d'éviter leur dénuement8. Actuellement, le traitement de la Légion d'honneur est accordé aux militaires d’active et de réserve et d'anciens combattants sous réserve qu'ils soient titulaires de titres de guerre9. Celui de la Médaille militaire est accordé sans condition de détention de titres de guerre. Les montants des traitements non imposables, non soumis aux cotisations sociales, insaisissables et non cessibles qui restent symboliques, sont les suivants (montants inchangés depuis 1982) :
La population des personnes ayant droit au traitement est d'environ 205.000 - confer le tableau ci-dessous :
Évolution du nombre de personnes pouvant percevoir le traitement entre 2012 et 2015.
Source : Grande chancellerie de la Légion d'honneur
Cependant, tous les ayants droit au traitement n'acceptent pas de le percevoir et une forte minorité a décidé d'abandonner ce droit au profit des 2 sociétés d'entraide : la société des membres de la Légion d'honneur et la société nationale d'entraide de la médaille militaire, ainsi qu'à l'office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG) du ministère des Armées dans une moindre mesure. C'est ainsi que sur les 205.000 ayant droit au traitement, environ 68% le perçoivent :
Traitements de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire : les principaux chiffres pour 2015 (en nombre ou en million d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
C'est ainsi que les trésoreries générales du ministère de l'action et des comptes publics effectuent au profit des ayants droit au traitement, en fin de chaque année, 140.000 actes de versement sur les comptes des bénéficiaires pour un montant total de 720.000 €10, soit un montant moyen de versement d'environ 5,15 €.
En outre, la procédure de gestion (ouverture du droit, liquidation et paiement) de ce traitement génère un coût de fonctionnement du Service de retraite de l’État (SRE) et de la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur qui est supérieur à celui des traitements versés. Cette procédure est la suivante :
- émission du titre du traitement sous forme papier par la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur qui l'adresse au SRE ;
- démarche nécessaire du récipiendaire qui doit adresser au SRE son RIB pour que le titre soit opérant - dans le cas contraire, au bout d'un an, le SRE retransmet à la Grande chancellerie de la Légion d'honneur les titres inopérants.
Selon les informations transmises par la Grande chancellerie de la Légion d'honneur au Sénat en 2015 dans le cadre du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 (rapport n° 759 (2015-2016) fait au nom de la commission des finances déposé le 6 juillet 2016), sur 3.933 dossiers adressés au SRE pour paiement du traitement, entre 200 et 300 lui ont été retournés en raison de l'absence de manifestation des intéressés ou d'adresse inexacte.
D’après ce même rapport, le coût de gestion de ces traitements est important :
- pour le SRE : le montant est estimé entre 650.000 et 800.000 € par an pour 720.000 € versés chaque année aux légionnaires et médaillés militaires ;
- pour la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur : selon une estimation de la Cour des comptes en 2006, au regard des seules dépenses de personnel, le coût moyen de chaque traitement était évalué à 30 € pour un médaillé militaire (pour 4,57 € versés) et à 80 € pour un légionnaire (pour 6,10 € à 36,59 € versés).
Des coût de gestion prohibitifs qui militent pour l'extinction progressive de ce traitement, l'arrêt de son versement pour les nouveaux contingents à venir et le versement des sommes ainsi récupérées chaque année, sous forme de subvention, aux 2 sociétés d'entraide citées supra, voire à l'ONAC-VG – confer le schéma évolutif ci-dessous :
Évolution de la répartition des sommes versées au titre des traitements
Source : commission des finances du Sénat
Cette réforme présentera comme avantages :
- La diminution des coûts de gestion du SRE qui n'effectuera que 2, voire 3 opérations de versement chaque année au profit des sociétés d'entraide, éventuellement de l'ONAC-VG, et de ceux de la Grande chancellerie de la Légion d'honneur ;
- Le renforcement progressif des ressources permettant de financer des actions de solidarité au profit de tous les légionnaires et médaillés militaires qui sont dans le besoin.
Conclusion générale
A la fin de l'année prendront fin les dispositions précisées dans le décret n° 2015-434 du 15 avril 2015 fixant les contingents annuels de croix de la Légion d'honneur pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 et qui sont les suivants :
Par conséquent, la parution du nouveau décret fixant les nouveaux contingents pourrait s'accompagner de la réforme administrative et financière présentée supra qui devrait être inscrite au plus tôt dans le projet de loi de finances initiale 2018.
1Les guerres mondiales et coloniales du 20ème siècle se sont traduites par un grand nombre d'attribution de décorations de la Légion d'honneur à titre civil et militaire : contingent pour la fin des années 1950 de plus de 300.000 membres.
2Créée par l'article 7 de la loi portant création d'une Légion d'honneur du 29 floréal an X (19 mai 1802).
3Créée par l'article 11 du décret du 22 janvier 1852 qui restitue au domaine de l'État les biens meubles et immeubles qui sont l'objet de la donation faite, le 7 août 1830, par le roi Louis-Philippe, repris par l'article 33 du décret organique de la Légion d'honneur du 16 mars 1852.
4Modifié par les décrets n° 68-828 du 19 septembre 1968, n° 73-708 du 13 juillet 1973, n° 73-1056 du 28 novembre 1973, n° 74-1119 du 24 décembre 1974, n° 78-996 du 3 octobre 1978, n° 80-486 du 30 juin 1980, n° 81-999 du 9 novembre 1981, n° 81-1104 du 4 décembre 1981 et n° 90-29 du 5 janvier 1990.
5Comportant différents grades : chevalier, officier, commandeur.
6Comportant différentes grades : chevalier, officier, commandeur.
7Certaines de ces décorations ont plusieurs niveaux d'attribution : vermeil, Grand'or, or, argent, bronze.
8Ce dispositif permettait aussi pour les régimes politiques du 19ème siècle qui octroyaient ce traitement financier de disposer d'une réserve de partisans sur lesquels ils pouvaient compter en cas de troubles.
9Il s'agit des citations accordées à différents niveaux (régiment, brigade, division, corps d'armée, armée) qui s'accompagnent en règle générale de l'attribution de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieures, de la croix de la Valeur militaire, de la médaille de la gendarmerie nationale ou de la médaille de la défense nationale (échelon or).
10Une tendance lourde à la baisse continue du niveau d'exécution de ce type de dépenses entre 1994 et 2003, la dotation initiale est passée de 1,34 à 1,24 million d'euros, alors que les dépenses effectives sont passées de 1,26 à 1,02 million d'euros.