Lectures : Sophie Pedder (Le déni français) et Nicolas Baverez (Réveillez-vous !)
Le déni français, en plus d'être le titre du livre de Sophie Pedder, est aussi le titre du premier chapitre du nouveau livre de Nicolas Baverez paru la même semaine. Ou quand une Britannique, diplômée d'Oxford, chef du bureau de The Economist à Paris tombe d'accord, au moins sur le constat, avec un Français, normalien énarque, économiste et éditorialiste.
En tant qu'étrangère, Sophie Pedder s'émerveille d'abord de la douceur de la vie en France : innombrables allocations, gratuité des universités, congés payés et RTT, retraites précoces et d'un niveau élevé en moyenne, disponibilité de crèches, niveau et durée d'indemnisation du chômage, généreux congés maladie, TGV, nouveaux palais publics (bibliothèques, centres culturels ou sportifs, conseils généraux/régionaux, etc.). Mais son enthousiasme est rapidement modéré par deux problèmes. S'appuyant sur ses expériences personnelles et surtout sur les rapports de la Cour des comptes, elle constate d'abord que le rapport qualité/prix de ces services publics n'est pas satisfaisant. Par exemple en ce qui concerne l'éducation nationale, le système de santé, la Banque de France ou La Poste. Comme c'est souvent le cas pour les étrangers qui n'y ont pas été confrontés dès le berceau, Sophie Pedder est aussi choquée par la bureaucratie qui entoure ces organismes chargés de dispenser leurs services aux citoyens. Mais sa principale inquiétude est que cette nouvelle belle époque, faute d'être payée comptant, vive financée à crédit, et que, droite comme gauche aient promis « un redressement sans aucun sacrifice ».
Les deux auteurs se rejoignent sur le constat. Il est sévère : déficits, dettes, chômage, stagnation, perte de compétitivité, déclassement de la France par rapport à de nombreux pays européens et au reste du monde, et, pire que tout, refus des Français de voir la réalité (c'est le déni). Sophie Pedder l'a remarqué, la formule magique « que le monde entier nous envie » nous pose en exception mondiale et nous évite de toucher à nos vaches sacrées : niveau record des dépenses publiques, choix collectif du chômage, protection des personnes en place aux dépens des nouveaux entrants, croyance que faire payer les riches va résoudre nos problèmes, etc. Ses enquêtes au Royaume-Uni, mais surtout en Suède, au Canada et en Allemagne, la conduisent à proposer ce qu'il faudrait faire en France pour construire une société toujours solidaire mais durable. « Trop de contrôles, trop de protection, pas assez de temps passé au travail : voilà ce qui décourage la création d'emploi en France ».
On verra que la conclusion de son livre « Il ne faut pas infantiliser les Français » constitue la trame des recommandations de Nicolas Baverez pour sortir notre pays de son déclin. Il rappelle d'ailleurs l'injonction de Jacques Rueff « Soyez libéraux, soyez socialistes, mais ne soyez pas menteurs ».
Historien, Nicolas Baverez passe d'abord en revue les chocs provoqués par les révolutions de ces 30 dernières années : technologiques, chute du mur de Berlin, mondialisation, révolutions arabes. Les progrès spectaculaires qu'elles ont permis dans de nombreux pays (Europe de l'Est, Chine, Inde, Amérique du Sud, Afrique,…) sont à porter à leur crédit, mais l'Europe s'est contentée de subir : « L'Europe se trouve ainsi clairement menacée de déclassement et de marginalisation dans l'histoire du XXIème siècle, distancée non seulement par le G2 américano-chinois, mais par les autres pôles émergents comme l'Inde, le Brésil, la Russie, voire à terme, l'Afrique du Sud et la Turquie. »
L'auteur se concentre ensuite sur la France et constate malheureusement : « De cette Europe aspirée par le vide et la désintégration, la France est désormais le grand corps malade. »
Les causes
Les pays du nord se sont réformés préventivement dès les années 2000, et ceux du sud ont, à la suite de la crise, entrepris des changements structurels difficiles mais indispensables. « Le décrochage de la France, contrairement aux autres pays développés, ne résulte pas de l'éclatement de l'économie de bulles en 2007. Il provient d'un modèle de croissance par la dette publique où le seul moteur d'une activité en baisse régulière est fourni par la consommation, alimentée par des transferts sociaux qui culminent à 33% du PIB. »
Après ce constat, on attend de comprendre comment on a pu en arriver là. Nicolas Baverez innocente le bouc émissaire classique « La France est bien le dernier pays qui puisse se réclamer du libéralisme, compte tenu du caractère autoritaire et centralisé de ses institutions, de la faiblesse de l'État de droit, du développement des services publics et du poids de l'État sur la société, du niveau record des dépenses et des recettes publiques. L'hydre néolibéral n'est donc qu'un dragon de papier, qui n'explique en rien les déboires de la nation ».
Le jugement est sévère pour les responsables politiques qui n'ont jamais présenté aux Français la profondeur des changements en cours dans le monde et se sont au contraire abrités derrière l'Europe pour justifier les quelques réformes réalisées : « La lâcheté de la classe politique française est scandaleuse, car elle ne découle pas de l'ignorance devant la gravité de la situation, mais d'un mépris délibéré pour les citoyens ».
Quant à l'administration, avec « la fusion de la classe politique avec la haute administration », elle est tout aussi vigoureusement mise en cause. « Dans l'État, la fonction publique n'est plus guidée que par la défense de ses statuts et de son pouvoir d'achat, n'hésitant pas à jouer ouvertement contre l'intérêt national en alimentant la course folle des déficits et des dettes. Les syndicats aggravent ces travers en jouant l'État contre l'entreprise et les personnels sous statut contre les salariés du secteur privé. »
Les remèdes
Cela dit, Nicolas Baverez ne considère pas du tout que la situation soit désespérée et le déclin de la France inévitable. « Les périls ne sont pas extérieurs, mais intérieurs ». Il estime que la France, tout en faisant comme si sa situation était solide et en se permettant de morigéner les autres pays, est en réalité très proche d'un krach similaire à celui de l'Espagne ou de l'Italie.
Selon lui, le redresssement de notre pays passe par la compétitivité, l'ouverture extérieure et la libéralisation des marchés intérieurs, comme l'ont fait le Canada, la Suède et l'Allemagne quand ces pays étaient dans une situation proche de la nôtre. Le protectionnisme n'est visiblement pas la solution. Pour y parvenir, l'auteur demande aux responsables politiques de faire preuve de franchise et de courage pour proposer aux Français un pacte productif, un pacte social et un pacte citoyen qui ouvriraient des perspectives d'avenir aux Français. Quatre voies sont possibles, schématisées par : Thatcher et un vote conscient des citoyens ; Schroeder, une politique imprévue décidée par un élu en place ; de Gaulle, un homme providentiel qui force un changement de régime ; le FMI et la mise sous tutelle du pays. Pour une grande démocratie comme la France, la première voie serait de loin la plus digne.