L’eau, un support de taxes… et un coût bien réel
Le Premier ministre a présenté, fin aout, un plan « antifuites » avec comme objectif de doubler le taux de renouvellement des réseaux d’eau. Une remise à niveau des réseaux qui risque de faire monter le prix de l’eau pour les consommateurs (qui supportent de nombreuses taxes parfois sans rapport sur la fourniture d’eau potable) et les collectivités (financeurs de la politique de l’eau) et cela, après plusieurs années consécutives de baisses et alors que des revendications se font jour pour un accès gratuit à l’eau.
Comment se décomposent les factures d’eau ?
L’eau n’est pas facturée le même prix partout[1]. Son prix varie même considérablement sur le territoire français, de 1 à 4, voire bien plus dans les cas extrêmes. Ceci est dû aux inégalités territoriales dans le coût des infrastructures (captation de l’eau, entretien des canalisations et assainissement). C’est donc inévitable, sauf à effectuer des péréquations entre dépenses qui sont de la compétence des communes, ce qui ne serait ni juste ni incitatif à la bonne gestion de l’eau. Nous prenons comme exemple le prix moyen facturé par le SEDIF, le syndicat des eaux d’Ile-de-France, établissement public. Il est légèrement supérieur au prix moyen, qui est de 3,98 euros le m3, un prix dans le bas des prix européens.
Décomposition du prix payé par l’usager de l’eau en Ile-de-France (D’après la circulaire du 13 février 2018 du SEDIF). La facture totale de 4,3186 euros au m3 (tranche de 0 à 180 m3) se décompose ainsi : 1,3748 euros, soit 31,8%, correspond à la fourniture proprement dite de l’eau, se décomposant elle-même en :
1,9340 euro, soit 44,8% au titre de la collecte et du traitement des eaux usées, versé aux collectivités locales. 1,0098 euro, soit 23,4% au titre des autres taxes et redevances (redevance Agence de l’eau, taxe Voies Navigables de France, redevance soutien d’étiage, TVA). |
La question se pose de la justification de ces taxes dans la mesure où elles portent sur la consommation d’eau. Le budget d’intervention 2013 – 2018 des six agences de l’eau françaises se monte à 13,3 milliards, financés à hauteur de 80/90% par les factures d’eau. L’organisme Eau de France justifie ce financement par le principe « l’eau paye l’eau ». Affirmation très contestable, car ces interventions n’ont qu’un rapport très lointain avec l’eau du robinet. La plus grosse partie (68%) concerne la lutte contre la pollution, et le reste la restauration des milieux aquatiques, la directive sur le milieu marin, et seulement 8,4% l’eau potable. Depuis cette année, les agences de l’eau financent aussi l’agence française pour la diversité (200 millions de budget annuel). Au nom de quelle logique ces interventions, auxquelles il faut encore ajouter le financement des voies navigables de France, doivent-elles être financées par les factures d’eau au prorata de la consommation individuelle, et non pas comme un impôt général ?
On remarque que la part du délégataire ne représente que 0,9248 euro sur un total de 4,3186 euros, soit 21%. D’autre part, la collecte et le traitement des eaux usées représentent à eux seuls 45% du total. Ce sont des chiffres à garder en tête pour les développements qui seront consacrés aux revendications portant sur la gratuité du service public de l’eau.
L’impossible idée de la « gratuité »
L’eau est l’archétype du bien commun, à la fois d’origine naturelle et insusceptible d’appropriation, et indispensable à la vie. Aussi est-elle un cas d’école, que d’aucuns n’hésitent pas à comparer à l’air pour exiger sa gratuité. Mais l’eau de la fontaine n’est plus aussi claire que dans la comptine. Elle a tendance à devenir rare, et nécessite une protection au niveau mondial contre son gaspillage et sa pollution, de même qu’au nécessaire traitement des eaux usées. Il y a enfin lieu de tenir compte de l’évolution considérable de la population, en nombre et en besoins[2].
Les chiffres que nous avons cités montrent bien que la gratuité de l’eau n’est qu’un fantasme sans consistance. Sur la base d’une consommation moyenne de 150 litres par personne et par jour, la facturation de la consommation domestique totale annuelle serait supérieure à 15 milliards, dont près de 7 milliards[3] pour le seul coût de la collecte et du traitement des eaux usées qui est à la charge des collectivités locales. On connaît les problèmes financiers actuels de ces dernières, et le trou que la gratuité leur causerait serait insupportable. Contrairement à l’énergie où la part de la fiscalité générale est considérable, cette part est bien plus modeste pour l’eau et la plupart des coûts, comme ceux relatifs aux eaux usées, sont incompressibles. Et, compte tenu de la part très minoritaire du coût des délégataires ce n’est pas le passage de l’exploitation en régie plutôt que par délégataire qui changerait grand-chose, même en admettant que des économies puissent être réalisées, ce qui est contesté à qualité égale de sujétions et de service.
La gratuité impliquerait donc une augmentation corrélative des impôts. Pourrait-on dire que le choix entre redevance et impôt aboutit à un jeu à somme nulle, et que l’impôt serait préférable car il est le moyen le plus efficace de la redistribution ? Il faut quand même commencer à rappeler que la France est l’un des pays, sinon le pays où la redistribution par la fiscalité est la plus forte. L’impôt sur le revenu n’étant payé que par 42% des Français, imagine-t-on 42% des Français payer l’eau pour 100% de la population par l’intermédiaire de l’IR ? Même raisonnement pour d’autres services publics bien entendu. D’autre part, les consommations étant très inégalement réparties, un impôt, égalitaire à l’intérieur des 42% qui le payent, serait très injuste : certains ont une piscine, pas d’autres, etc.
[1] Bien sûr ce n’est pas l’eau elle-même qui est facturée, mais le service de l’eau : collecte, épuration, transport, traitement des eaux usées, assainissement.
[2] En 1870 (entre 3 et 4 générations seulement de maintenant), la population française prenait en moyenne un bain… tous les deux ans !
[3] Du même ordre que celui du RSA pour les collectivités locales.