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Le Centre d'Analyse Stratégique devient le Commissariat à la Stratégie et à la Prospective

Nouveau replâtrage du Commissariat au Plan

« Créer, dans l'esprit de l'ancien commissariat général au plan, un lieu de dialogue et d'expertise, ouvert à l'ensemble des acteurs sociaux ».

Conformément à cette demande du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le rapport de Yannick Moreau recommande de créer un Commissariat à la Stratégie et à la Prospective.

Vingt ans après le rapport « L'avenir du Plan, et la place de la planification dans la société française » préparé par Jean de Gaulle à la demande du Premier ministre, Édouard Balladur, huit ans après le rapport de Nicole Bricq sur le Commissariat au Plan, le nouveau rapport de Yannick Moreau sur la création d'un commissariat général à la stratégie pose toujours la même question : que faire de cet organisme ?

On a tout essayé

En 1993, à peine rédigées, les dizaines de milliers de pages du XIème plan quinquennal (1993-1997) avaient été rangées dans un tiroir. Les travaux préparatoires au XIIème plan (1998-2002) ne furent même pas entrepris. Mais il aura fallu attendre 2005 pour supprimer le Commissariat au Plan, aussitôt remplacé par le Conseil d'Analyse Stratégique. Sans plus réussir à transformer son intéressante production en quelque chose de nécessaire aux gouvernements. « Le CAS a échoué dans deux des missions centrales qui lui étaient données », affirme le rapport de Yannick Moreau. Les six derniers directeurs de ces organismes ayant pourtant travaillé avec passion à le sauver, il faut croire qu'il y a quelque chose de fondamentalement illusoire dans ce séduisant concept.

Alain Etchegoyen, philosophe, avait été recruté pour faire souffler un vent nouveau. Bousculant l'organisation historique, il remplaça les services permanents par une trentaine de groupes de projets aux noms ésotériques (Aleph, Astypaléa, Saraswati ...). Son action n'avait pas été bien accueillie en interne et peu reconnue en externe. En exigeant d'être rattachée directement au Premier ministre, son successeur, Sophie Boissard, avait cru s'assurer un impact fort sur les politiques menées par le gouvernement. En vain. Elle n'aura tenu que 17 mois à la tête du Conseil d'Analyse Stratégique. Une durée incompatible avec les stratégies de long terme. Sous la houlette de son directeur actuel, Vincent Chiriqui, le Centre aura eu une activité intense, très ouverte sur l'extérieur, organisant de nombreux colloques, produisant des études de haut niveau. Pour 2012 une douzaine de rapports sont disponibles, traitant de sujets divers : énergie, parents, climat, attractivité de la France, financement des gazelles, dispositifs médicaux, dépenses publiques, Chine, transports… . Baucoup sont aussi traités par d'autres organismes publics, mais lequel aura eu une influence notable sur les décisions du gouvernement ?

Les intitulés du Centre d'Analyse Stratégique actuel et du futur Commissariat à la Stratégie et à la Prospective sont très proches : « Commissariat à » au lieu de « Centre d'analyse » sans doute une nostalgie du défunt Plan ; « Prospective » ajouté au titre introduit un terme déjà très présent dans la description de 2003 « Le commissariat général du plan est recentré sur ses fonctions de prospective de l'État stratège ». Le changement de nom est cosmétique.

Centre d'Analyse Stratégique contre Conseil économique, Social et environnemental

[(Le CAS en bref

Le Centre d'analyse stratégique est une institution d'expertise et d'aide à la décision placée auprès du Premier ministre. Il a pour mission d'éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou technologique.)]

[(Le CESE en bref

Le Conseil économique social et environnemental est une assemblée constitutionnelle consultative. Par la représentation des principales activités économiques, sociales et environnementales, le CESE favorise la collaboration des différentes catégories socio professionnelles entre elles et assure leur participation à la définition et l'évaluation des politiques publiques.)]

« Doter la France d'un centre d'expertise sur les politiques publiques ouvert à tous les acteurs sociaux. » Le premier axe fort de la réforme préconisée par Yannick Moreau est de faire participer beaucoup plus les syndicats à cette activité stratégique. Mais le CESE n'est-il pas déjà le lieu de discussion entre tous ces acteurs [1] ? Les auteurs du rapport ont perçu cette contradiction et tentent d'y répondre : « Depuis des décennies, il y eut coexistence, sans difficulté entre ces deux institutions ». Pourquoi ? « Cela tient à leur nature différente : le CESE est une institution prévue par la Constitution. L'autre, institué par décret est un organisme placé auprès du Premier ministre ». En fait, l'influence de ces deux organismes sur les opinions et les politiques publiques étant très limitée, il leur est facile de travailler sur les mêmes sujets sans créer aucune tension.

[(Commissariat d'Analyse Stratégique contre Cour des Comptes

Pour tenter de justifier la nécessité d'un « Commissariat d'Analyse Stratégique », le rapport de Yannick Moreau lui confie aussi un rôle « d'évaluation des politiques publiques ».

Mais la Cour des comptes n'est-elle pas déjà chargée de cette mission-là ?)]

Recherche « forte personnalité de grand talent »

Le second axe clef de ce nouveau Commissariat est l'impératif de nommer une forte personnalité à sa tête. Comme Acteurs publics l'a bien résumé : « Gouvernement socialiste désargenté cherche forte personnalité capable d'audace intellectuelle et de doigté pour éclairer choix stratégiques. » L'idée est de choisir une personne capable de s'imposer face aux cabinets ministériels et aux administrations. Un espoir vain quand les cabinets comptent chacun des dizaines d'experts et les administrations des centaines ou des milliers. Et que tous les ministères possèdent déjà de puissantes cellules de prospective comme celui de l'Agriculture (Centre d'Étude et de Prospective), ou ceux des ministères des Transports, de la Santé, de l'Énergie ou de l'Éducation nationale.

L'illusion du Conseiller-Guide tout-puissant

Vu la tâche écrasante que ce rapport assigne à cet organisme, nommer une personnalité exceptionnelle à sa tête est en effet nécessaire. En matière de finances de l'État, de marché du travail, de sécurité sociale, d'Éducation nationale, de fiscalité, de collectivités locales, de logement ou d'hôpitaux, des rapports sont disponibles depuis longtemps. Yannick Moreau propose donc d'aller plus loin. Ce nouveau Commissariat serait un Guide capable, pour remédier aux déficiences passées de nos politiques publiques, de persuader le gouvernement et le Parlement de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Malgré leurs fortes personnalités, ni Philippe Séguin ni Didier Migaud n'ont réussi à impulser de changements majeurs. Qui faudra-t-il mettre à la tête du Commissariat ? Gerhard Schröder ? Mario Monti ?

Royaume-Uni : Prime Minister's Strategy Unit

C'est le Prime Minister's Strategy Unit qui avait été cité comme modèle pour la précédente réforme du Commissariat au Plan. Mais cet organisme anglais a été supprimé après huit années d'existence, comme l'avait été vingt ans auparavant le Policy unit. Une excellente méthode : au lieu de conserver à tout prix des structures devenues inutiles, il est beaucoup plus efficace de les supprimer, quitte à en recréer une autre plus tard sur de nouvelles bases (nouveaux objectifs, nouvelles personnes, nouveau lieu) quand un besoin réel est identifié.

Cette fois-ci, trois organismes de référence sont mentionnés. Le « Scientific Council for Government Policy » du gouvernement néerlandais. Un organisme dont le budget est supérieur à celui du Commissariat mais dont les objectifs et l'organisation sont complètement différents. Les dix membres du Conseil qui dirigent effectivement le travail restent professeurs d'université et sont nommés pour cinq ans ; les études sont peu nombreuses mais approfondies et quasiment universitaires. Le second organisme cité est celui de Corée du Sud. Et le troisième celui de… la Chine.

[(Suggestion au CIMAP

Le Comité Interministériel de Modernisation de l'Administration Publique est chargé de redéfinir le périmètre de l'État et de réduire ses dépenses de 12 milliards d'euros par an.

Option n°1 : Vendre le luxueux hôtel particulier de Voguë dans le VIIème arrondissement de Paris et le bâtiment de bureaux qui le complète (total de 4.000 mètres carrés). Cela pourrait rapporter une centaine de millions d'euros. Et transférer les 120 personnes qui y travaillent dans les ministères, les universités ou le secteur privé, permettrait à l'État d'économiser de 15 à 25 millions d'euros par an.

Option n°2 : Mettre comme le préconisait la Fondation iFRAP le CAS au service du Parlement. Celui-ci a besoin aujourd'hui d'un outil puissant de chiffrage indépendant et d'évaluation des politiques publiques. En transférant avec les moyens correspondant le CAS auprès du Parlement, soit une augmentation de 25 millions d'euros des moyens de la mission "Direction de l'action du gouvernement", contre une baisse corrélative de la mission "Pouvoir publics", l'Assemblée nationale et le Sénat pourraient bénéficier d'un apport de poids susceptible de relayer l'action de leurs administrations respectives. Et permettre un renforcement substantiel de leur capacité de contrôle [2].)]

[1] Le Conseil d'Analyse Stratégique finance déjà l'IRES, Institut de recherches économiques et sociales des syndicats à hauteur de 3,5 millions d'euros.

[2] Il s'agirait en plus d'une stratégie cohérente avec l'approche développé par le CIMAP dans la mesure où celui-ci préconisait une évaluation contradictoire des études d'impact ex ante. La Cour des comptes intervenant elle quant aux évaluations ex post.