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L'affaire Cahuzac, point de départ d'un "choc de transparence" dans la vie publique

« Le bon fonctionnement de la démocratie passe par l'existence d'un lien de confiance entre les citoyens et ceux qui les gouvernent. Cette confiance ne se confond pas avec la légitimité donnée, directement ou indirectement par le suffrage universel. Elle échappe d'ailleurs aux clivages politiques. Elle se construit jour après jour, au vu de l'action du gouvernement et de l'image donnée par ceux qui en sont membres. Un manquement isolé peut, à lui seul, suffire à l'entamer durablement. » C'est par ces paroles (prémonitoires ?) que le Président François Hollande le 17 mai 2012 a jeté les bases de son gouvernement exemplaire, dans le cadre de sa Charte de déontologie des membres du gouvernement organisée autour de cinq axes : Solidarité/collégialité, Concertation et transparence, impartialité, disponibilité et intégrité/exemplarité.

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Charte de déontologie du gouvernement Hérault Hollande 17 mai 2012

Significativement, c'est à la rubrique « impartialité » qu'il fallait rechercher les dispositions de la circulaire, relatives à la déclaration d'intérêts des ministres : « c'est la raison pour laquelle ils remplissent et signent une déclaration d'intérêt lors de leur entrée en fonction, déclaration qui est rendue publique, à l'exception des informations concernant les tiers », et qu'un mandat de gestion par un intermédiaire agréé était décidé afin de gérer au jour le jour leur patrimoine mobilier.

Mais comment se prémunir contre des déclarations d'intérêt fantaisistes ou incomplètes ? La question mérite d'être posée d'autant qu'elle a été par ailleurs soulevée par la commission Jospin sur la déontologie et le renouveau de la vie publique en novembre 2012 [1]. Elle prévoyait, entre autres, de constituer une Autorité de déontologie de la vie publique, chargée de la vérification des déclarations d'activité et d'intérêt et de la réception d'alertes éthiques en provenance de l'administration ou de la société civile (Whistleblowing). En cas d'erreurs, d'omissions ou d'incompatibilité elle aurait alerté les pouvoirs publics et aurait pu prononcer de son propre chef une publication d'office de la déclaration d'intérêt rectifiée pour les responsables politiques ou leurs collaborateurs et lancer des enquêtes de vérification approfondies. Malheureusement un tel dispositif n'existe pas encore.

Dans sa très récente déclaration du 3 avril 2013, François Hollande a désiré couper court à la stupeur provoquée par la révélation de l'évasion fiscale et de la dissimulation de comptes bancaires à l'étranger de son ex-ministre du Budget. Celui-ci, afin de restaurer la confiance des citoyens envers l'Exécutif, prévoit une réaction en trois axes [2] :

1- Renforcer l'indépendance de la Justice (notamment à travers la réforme du CSM (Conseil supérieur de la magistrature),

2- L'inéligibilité pour les élus condamnés pénalement pour fraude fiscale ou pour corruption (mais cette disposition de nature administrative et pénale ne pourra pas s'entendre de façon rétroactive (problème de constitutionnalité) et ne pourra valoir que pour l'avenir c'est-à-dire hors du cas actuel de M. Cahuzac, par ailleurs prié de se retirer définitivement de la vie politique).

3- Lutter contre les conflits entre les intérêts publics et les intérêts privés et « assurer la publication ainsi que le contrôle sur les patrimoines des ministres et de tous les parlementaires. » Cette proposition est en partie satisfaite partiellement de façon spontanée (mais non sanctionnée) par le Sénat quant aux déclarations d'activités et d'intérêt hors déclarations de patrimoine qui ne sont pas rendues publiques, pas du tout par l'Assemblée nationale qui sera appelée à se mettre au diapason. Cette mise à plat prévue dans un prochain projet de loi, devra sans doute comporter un mécanisme clair de sanction en cas d'inexactitude des déclarations des parlementaires concernés, alors même que si l'Autorité de déontologie de la vie publique voyait le jour à cette occasion, elle ne pourrait pas (séparation des pouvoirs oblige et immunité spécifique des parlementaires) avoir d'autorité sur les Assemblées.

Quoi qu'il en soit, la multiplication des déclarations d'intérêts et des patrimoines ne résoudra pas la question de leur véracité ni de l'emploi illégal de fonds publics et/ou privés par les intéressés avant ou durant leur mandat. L'un des enseignements les plus importants de l'affaire Cahuzac est de faire jouer la transparence dans la vie administrative et la vie publique de façon à désamorcer les présomptions de fraude ou de prévarications. Il importe en particulier :

- De faire procéder à un contrôle systématique par l'administration fiscale des déclarations de patrimoine des titulaires de fonctions électives de niveau national, avec émission de demandes d'entraides administratives internationales en cas de soupçon. Cette possibilité devrait être facilitée puisque François Baroin a supprimé la cellule fiscale des situations individuelles près du cabinet du ministère du Budget, ce qui devrait rendre plus impartial et neutre le contrôle [3]. Il serait logique que ce contrôle ait lieu à l'entrée en fonction, à la sortie de fonction, avec une surveillance renforcée par les services compétents durant l'exercice du mandat.
- De supprimer la présomption irréfragable de conformité de la consommation des IRFM (indemnités représentatives de frais de mandat) des députés et des sénateurs, pour lui opposer une justification sur facture des frais et éventuellement leur publication sur le modèle britannique [4].
- De réfléchir à un statut ad hoc des « ministrables de l'opposition » en référence à l'institutionnalisation par ces groupes politiques de contre-gouvernements sur le modèle des Shadow Cabinets d'inspiration britannique [5]. En effet, cela permettrait par un parallélisme des formes de demander volontairement aux parlementaires concernés de se soumettre aux mêmes règles et à la même autorité de contrôle (par dérogation par rapport aux autres parlementaires) que les membres du gouvernement en exercice. Notons qu'en dépit des tentatives d'acclimatation jusqu'à présent fantaisistes en France car non sérieusement encadrées [6], la greffe mise en place par l'opposition à la Diète japonaise a réussi à prendre [7]. Cela ne limiterait objectivement en rien la faculté pour le Premier ministre arrivé au pouvoir de constituer son gouvernement comme bon lui semblerait, mais cela pourrait constituer un « pacte républicain de l'opposition », permettant de dégager des spécialistes (titulaires et suppléants) « ministrables » pour des politiques publiques précises.
- De mettre en place l'Autorité de déontologie (financée grâce à un redéploiement des moyens du Défenseur des droits et fusionnée avec la Comission de déontologie) aux pouvoirs étendus proposée par le rapport Jospin et aujourd'hui encore dans les limbes, habilitée à dialoguer avec la justice en toute indépendance, à raison de son statut d'autonomie (sous la forme d'une AAI, autorité administrative indépendante).

Conclusion

Une réflexion renouvelée sur la nécessité de règles claires et transparentes en matière de déontologie, d'alerte éthique et d'élévation de nos standards démocratiques s'agissant des intérêts, des activités et des patrimoines de nos élus est nécessaire. Le Président François Hollande propose des mesures concrètes qui devraient clairement déboucher sur une reprise approfondie des conclusions formulées par la commission Jospin de novembre dernier.

Cela dit, pour être crédibles, les dispositifs devront être dûment sanctionnés, mais également éviter les angles morts, avant, pendant et à la sortie de leurs fonctions. On pense, nous l'avons rappelé, à la nature même des rémunérations perçues et à leur statut fiscal dérogatoire (IRFM pour les parlementaires, option d'imposition faisant échec à la progressivité de l'impôt pour les indemnités des élus locaux lorsque le bénéficiaire est pluriactif) pendant l'exercice de leur mandat, publicité du répertoire des élus par le ministère de l'Intérieur de façon à connaître précisément la nature et les revenus des élus en situation de cumul, etc. Les frais, indemnités, jetons de présence, revenus, honoraires, cotisations, etc., devront nécessairement être publiés, puis archivés afin de rester librement consultables par les citoyens et structurés sur les sites concernés de façon lisible et homogène. À cette occasion, d'autres tabous devraient également tomber : la publication intégrale dans les deux assemblées de la répartition et de l'emploi de la réserve parlementaire [8] par exemple.

Contrairement à l'appréciation de nombre de spécialistes, le secret ou la discrétion ne peuvent combattre efficacement le populisme sur le long terme, la transparence seule le peut : c'est d'abord cela la logique de l'Open Data. La Fondation iFRAP propose que pour conjurer le risque de discrédit des décideurs et de l'action publique, les pouvoirs publics ajoutent au « choc de simplification » annoncé un « choc de transparence ».

[1] Voir Commission Jospin sur la rénovation et la déontologie de la vie publique « Pour un renouveau démocratique ».

[2] Se reporter à Déclaration du Président de la République, du mercredi 3 avril 2013.

[3] La DNVSF (direction nationale de vérification des situations fiscales), en lien avec la DNEF (direction nationale des enquêtes fiscales) pourraient suivre les mouvements anormaux ayant lieu sur les différents comptes des personnes titulaires de mandats électifs. Voir, Thierry Lambert, Procédures fiscales, Montchrétien Lextenso Editions, 2013 mais aussi sur le plan des conséquences en matière professionnelle, Olivier Debat, Droit fiscal des affaires, Montchrétien Lextenso Editions, 2013.

[4] Notamment par l'intermédiaire de l'IPSA (Independent Parliamentary Standard Authority), voir sur son site, http://parliamentarystandards.org.u…

[5] Précisons que l'approche britannique s'est structurée « coutumièrement » dès la moitié du XIXème siècle. Il n'empêche que c'est par la reconnaissance « du rôle vital joué par l'opposition résidait dans la présentation d'un gouvernement alternatif viable. Ceci incluant l'indication de qui pourrait prendre une position de ministrable après un changement de gouvernement », voir, Joel Bateman, In the Shadows, the shadow cabinet in Australia, 2008, Australian Parliamentary Library, p.8. Voir également pour le Parlement britannique, Her Majesty's Opposition, 21 juin 2006, Standard Note : SN/PC/3910. Le bipartisme dans la plupart de ces pays a conduit à dégager le concept « d'opposition loyale », dans la mesure où celle-ci était reconnue pour sa volonté de ne pas remettre en cause de la monarchie et les institutions publiques. Ce que l'on pourrait appeler en France « l'opposition de gouvernement » à distinguer d'une opposition anti-système ou révolutionnaire.

[6] Sur ce sujet, consulter : Libération, 14 novembre 2012, Chacun cherche son « shadow Cabinet ».

[7] C'est le Parti libéral-démocrate qui a décidé d'importer la pratique propre au gouvernement de Westminster, à la suite de sa défaite de 2010, au travers de son Jiyûminshutô Shadô kyabinetto.

[8] Un coin du voile a été soulevé récemment suites aux questions incessantes du député René Dosière, beaucoup reste à faire au-delà de la récente décision de certification des comptes de l'Assemblée nationale par la Cour des comptes, d'où la nécessité d'une publication enfin détaillée des comptes de nos deux assemblées et de leurs mesures d'organisation, de rémunération des personnels et des dispositions d'ordre intérieur. Il est choquant qu'à l'heure actuelle la Présidence de la République soit un organisme plus transparent dans sa gestion que le Parlement, ce qui déséquilibre la sincérité de la présentation de la mission "pouvoirs publics"