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La privatisation d’ADP, une opération normale, mais à bien négocier

L’Assemblée nationale vient de voter la loi PACTE dont les articles 44 à 50 concernent la privatisation de la société Aéroports de Paris dans laquelle l’Etat détient actuellement une participation de 50,6 %. Cette privatisation agite beaucoup les esprits. Certains y voient la braderie d’un bijou de famille, qui plus est un d’un précieux monopole. Nous entendons montrer qu’il ne s’agit que de la continuation d’une concession dans les termes identiques, voire renforcés pour assurer la protection de l’Etat. C’est une opération financière, comme l’était d’ailleurs la participation de l’Etat jusqu’à maintenant. Mais il faudra pour l’Etat s’assurer de bien négocier avec le concessionnaire, et ne pas omettre de bien mener son contrôle en sa qualité de concédant, pendant toute la durée de la concession. Et qui n’est pas gagné d’avance.

ADP gère un service public et continuera à le gérer pendant 70 ans

ADP gère un service public, et continuera à le gérer pendant 70 ans aux termes d’une concession datant de 2010 et prolongée pendant 70 ans. Un service public est « une activité d'intérêt général, assurée sous le contrôle de la puissance publique, par un organisme (public ou privé) bénéficiant de prérogatives lui permettant d'en assurer la mission et les obligations (continuité, égalité, mutabilité) et relevant de ce fait d'un régime juridique spécifique (en France : le droit administratif) ».[1]

ADP, précédemment établissement public, est devenu en 2005 une société anonyme, introduite en Bourse en 2006 et titulaire depuis 2005 d’un contrat de concession du service public des aéroports parisiens, passé avec l’Etat pour une durée illimitée.

La concession est un des moyens d’exercice du service public lorsqu’il est délégué à un tiers, qui est normalement privé. C’est un contrat soumis au droit administratif lorsqu’il comporte délégation de service public, comprenant des clauses « exorbitantes du droit commun » conférant des prérogatives de puissance publique au concédant public, l’Etat en concurrence. Le régime de la concession publique est très règlement et répond à l’Ordonnance du 29 janvier 2018.

Caractéristiques et intérêts de la concession.

La concession de service public est définie comme un contrat qui charge un particulier, ou une société, d’assurer un service public, à ses frais, et que l’on rémunère en lui confiant l’exploitation l’exécution du service public, avec le droit de percevoir des redevances sur ceux qui en bénéficient.

Le concessionnaire se voit déléguer un service public, qu’il doit gérer en prenant les risques, bénéfices et pertes, à sa charge, et en étant tenu au respect des obligations du service public, notamment celles de continuité, égalité et mutabilité (adaptation permanente aux exigences nouvelles correspondant à la satisfaction des « usagers »).

Pour le concédant, l’intérêt de la concession est de ne prendre aucun risque financier, et de voir son patrimoine s’enrichir sans participer à son financement, et en profitant de plus au terme de la concession du retour dans son patrimoine des biens concédés, biens que le concessionnaire aura dû entretenir, améliorer à ses frais pour les remettre en bon état de fonctionnement.

Enfin, la délégation n’étant en aucune façon une cession, le concédant conserve ses droits d’intervenir dans l’exécution de la mission. Il en a même l’obligation, afin d’exercer son contrôle, ce dont l’Etat s’acquitte souvent de façon insuffisante, ayant trop l’habitude de s’en décharger sur son concessionnaire. Cette question sera à n’en pas douter cruciale dans le cas de la concession ADP.

Rien n’est changé au régime de la concession et au rôle de l’Etat.

La même concession datant de 2005 continue au profit d’ADP – sous réserve d’évolutions du cahier des charges, notamment pour renforcer les droits de l’Etat pour tenir compte de la privatisation du capital. L’Etat, au lieu de se retrouver en même temps aux deux bouts de la chaîne comme précédemment, c’est-à-dire à la fois en tant que concédant et comme actionnaire majoritaire de la société concessionnaire, reste l’autorité concédante avec l’ensemble de ses prérogatives, dont les principes figurent désormais dans la loi (articles 44 à 50 de la loi PACTE). C’est cela qui est important.

Cette concession, auparavant accordée sans limitation de durée, présente une particularité. ADP est en effet propriétaire des biens nécessaires à son activité, à savoir les terrains et les installations. Ces derniers ne pouvaient donc faire l’objet d’une concession qu’à condition d’en exproprier ADP, et d’en indemniser les actionnaires minoritaires, ce qui aurait coûté beaucoup trop cher (ADP est propriétaire de 6.700 hectares et des installations portuaires). Il est donc prévu que ces biens reviendront de plein droit à l’Etat en fin de concession moyennant des conditions financières fixées dans la loi. Rappelons par ailleurs que les installations sont qualifiées dans le Code des transports d’ « ouvrages publics » en raison de leur affectation dans le cadre du service public, et que la loi en interdit la vente, ou toute disposition, ainsi que la saisie, sans l’accord de l’Etat.

La loi Pacte contient par ailleurs un ensemble très nombreux de dispositions déterminant les prérogatives de l’Etat et les conditions financières des accords, qu’il serait trop long de détailler ici.

Ces explications permettent de se rendre compte que la privatisation ne saurait être qualifiée de vente des « bijoux de famille », mais seulement d’une concession limitée dans le temps et enserrée dans des conditions strictes déterminées par l’Etat, et dont il existe de très nombreux exemples en France.

De quelques arguments pour et contre la privatisation.

Les aéroports concédés seraient un monopole où toute concurrence serait exclue.

On entend souvent utiliser cet argument pour justifier une différence de traitement entre, par exemple, le cas d’ADP et celui des sociétés issues des P et T (France Telecom et La Poste). Le fait que ces dernières se soient trouvées en concurrence avec des entreprises privées, et donc en nécessité de leur faire face dans les règles du marché et surtout avec des capitaux pas à portée de l’Etat, aurait justifié leur privatisation. Mais, si les aéroports d’Ile de France sont effectivement en situation de monopole (de fait, pas juridique), ce monopole n’est que régional, pour une activité mondiale. Roissy-Charles de Gaulle a une fonction très importante de hub international pour laquelle elle est en concurrence avec les aéroports des pays voisins, et surtout en nécessité de trouver des capitaux pour le développement indispensable de l’équipement aérien de l’Ile de France, ressources qui ne sont pas davantage à la portée de l’Etat français, et qu’une société privée est plus à même de trouver.

En fin de compte, on ne voit pas en quoi le fait qu’il s’agisse d’un monopole change la nature du problème.

L’Etat en conflit d’intérêts permanent.

On ne peut pas passer sous silence la situation permanente et malsaine de conflit d’intérêts née de la participation majoritaire de l’Etat à la fois dans ADP et Air France, cette dernière ayant intérêt à payer le moins cher possible les taxes d’aéroport et les slots d’atterrissage, et ADP l’inverse. L’arbitrage est impossible, l’Etat soutenant Air France pour des raisons politiques au détriment de l’intérêt économique d’ADP. Ce qui n’empêche que la même personne représente l’Etat dans les conseils d’administration respectifs des deux entreprises !

L’intérêt financier de la privatisation suffit à la justifier… Attention à la négociation !

Il apparaît donc que les arguments d’opposition à la perte de contrôle de l’Etat consécutive à la privatisation ne sont guère convaincants. Ils reposent encore une fois sur une conception rétrograde et erronée des services publics alors que les intérêts généraux de la Nation sont préservés par la nature du contrat de concession.

Il est par ailleurs acquis que l’intérêt de la privatisation est essentiellement financier. Actuellement les dividendes versés par ADP en 2016 et 2017 ont été respectivement de 130 et 132 millions d’euros. La valeur boursière d’ADP est d’environ 17 milliards, mais il n’est pas possible de savoir à quel prix seront négociés les 50,6% détenus par l’Etat, compte tenu notamment de la valeur de la prime de contrôle, en admettant une cession totale du bloc à un seul acquéreur.

L’Etat cherche donc à empocher la valeur actualisée des dividendes futurs. Ce que l’Etat compte faire des fonds n’est guère intéressant à savoir, étant acquis que ses besoins sont de toutes façons considérables et qu’il lui est nécessaire de cesser de s’endetter davantage. On notera d’ailleurs que l’entreprise annonce pour objectif de distribuer régulièrement en dividendes 60 % de ses profits, ce qui est un pourcentage important, conséquence des besoins de l’Etat. Il est loin d’être certain à ce sujet que la vision de l’investisseur privé qui prendra la suite de l’Etat ne sera pas à plus long terme que celle d’un Etat avant tout préoccupé par la recherche de dividendes…

En fin de compte, tout le problème de cette privatisation réside dans la difficulté de la négociation dans une perspective aussi longue que 70 ans, et dans la nécessité, compte tenu par ailleurs de la présence d’actionnaires minoritaires dont les intérêts doivent être préservés, d’obtenir un prix qui se révèlera justifié sur la longueur de la période. Autre problème potentiel, celui de la qualité du contrôle exercé par l’Etat en qualité de concédant. C’est en effet un défaut fréquent de l’Etat de ne pas exercer un contrôle suffisant sur son concessionnaire. Attention donc !


[1]  Il existe plusieurs définitions doctrinales du service public. Celle-ci, fournie par le site Wikipedia, a l’avantage d’être un bon résumé.