Jeux olympiques, quand nos dirigeants cèdent au chantage de la SNCF et lâchent des millions d’euros
C’était début avril, le Sénat votait une proposition de loi (LR) visant à instaurer des périodes de 15 jours maximum (avec un total de 60 jours par an) où le gouvernement pourrait interdire les grèves dans les services publics et les transports. L’objectif non caché ? Garantir une période olympique sans grève. Un mécanisme équivalent existe en Italie pour les périodes de fêtes, d’élections ou de vacances… Sauf que le gouvernement n’en veut pas. Pourquoi ? Les arguments ne sont pas très clairs. On parle de « mauvais timing », d’enjeux constitutionnels ou d’un accord tacite entre l’exécutif s’engageant à ne pas reprendre ce texte pour que les syndicats ne bloquent pas les JO.
Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le 27 avril 2024. |
Dans les faits ? Sous la menace de l’épée de Damoclès des grèves en période olympique, nos dirigeants sont en train de lâcher des millions d’euros d’argent public sous forme de primes exceptionnelles (de mobilisation, pour ne pas avoir posé des congés, de gardes d’enfants, etc.)… et d’avantages salariaux qui, eux, continueront d’être versés, et financés par les Français, bien après les Jeux.
Une économie de 300 millions d’euros
Le plus choquant est, bien sûr, la retraite spéciale (ou cessation progressive d’activité) que les syndicats de la SNCF ont réussi à obtenir de leur direction alors même que les primes pour les agents pendant les Jeux ont été actées (50 euros par jour, jusqu’à 500 euros de prime supplémentaire, etc.). Qui se souvient qu’en 2008, Nicolas Sarkozy affirmait avoir réformé la retraite des régimes spéciaux ? À l’époque déjà, un accord intégrant un échelon supplémentaire, une majoration de rémunération et une disposition de cessation progressive d’activité pour les agents annulait quasiment les économies induites par la réforme.
En bref, les contrôleurs pouvaient partir plus tôt avec une période de 18 mois moitié travaillée et moitié non travaillée payée à 75%, tandis que les conducteurs bénéficiaient du même dispositif sur 15 mois. Rebelote, 16 ans plus tard, avec l’accord qui vient d’être passé et qui « améliore » le dispositif de 2008 pour, dixit SUD-rail, compenser « les effets néfastes de la réforme des retraites ». Désormais, les contrôleurs auront 18 mois travaillés payés à 100% et 18 mois non travaillés payés à 75% contre 15 mois de chaque pour les conducteurs.
Pour quel coût ? Rien n’est moins clair. En 2017, ce dispositif de « cessation progressive d’activité » de la SNCF coûtait 30 à 35 millions d’euros par an aux Français et 12% des agents utilisaient ce dispositif. Si l’on extrapole ce coût au nouveau dispositif, beaucoup plus incitatif, ce serait un coût maximum de 300 millions d’euros par an qui pourrait être atteint. Un montant qui s’ajoute aux 3 milliards de subventions annuelles que le contribuable verse déjà pour équilibrer le régime de pension ultra-déficitaire des agents de la SNCF. En face de cela, les économies annuelles liées à la réforme des retraites peuvent être estimées avec le décalage d’âge de 2 ans à 300 millions d’euros par an, comme en 2008. Les syndicats ont donc raison : cet accord annule potentiellement les effets de la réforme. Les Français ont donc supporté les grèves SNCF de 2022 et 2023 contre la réforme des retraites pour presque rien.
Il est vraiment naïf de croire que cet accord signera la fin des grèves à la SNCF. Et par ailleurs, cet accord signifie bien aux syndicats du public que les vannes sont désormais ouvertes avant les Jeux olympiques. Comment expliquer autrement que les contrôleurs aériens, qui s’étaient engagés à une « trêve olympique », déposent un préavis de grève pour le week-end de l’Ascension (après un mouvement de grève pendant les vacances de Noël et de la Toussaint en 2023) ? Comme pour l’accord SNCF, impossible de savoir le coût de cet accord… Les syndicats demandaient 25% d’augmentation de salaire, vraisemblablement autour de 50 millions de coût par an, car la DGAC veut mettre fin aux « clairances », un système qui permet aux aiguilleurs du ciel d’être payés 25 % de leur temps de travail sans travailler. Qu’ont-ils réellement obtenu ? Mystère. Un accord « gagnant-gagnant », selon le ministre des Transports…
Des compensations pour éviter les grèves
Cela donne des idées dans les autres services publics. Dans les trois fonctions publiques où la CGT a déposé des préavis de grève, courant du 15 avril au… 15 septembre. Un préavis équivalent a été déposé par FO. Côté RATP, des préavis de grève courent depuis le 5 février et ce, jusqu’au 9 septembre prochain, soit le lendemain des Jeux paralympiques. Le 25 avril, un accord RATP a été signé et les agents du département métro transports services (MTS), les plus mobilisés en juillet, août et septembre, pourront toucher une prime allant jusqu’à « 2500 euros » à condition de ne pas être absents… plus de 5 jours !
Primes exceptionnelles, revalorisation salariale et mécanisme de préretraite, nos chers agents des services publics et leurs syndicats l’ont bien compris : pour eux, c’est le moment de s’octroyer des avantages considérables, pérennisés et financés par les Français mais dont le coût n’est pas publiquement assumé, le tout grâce à des accords de dernière minute avant les Jeux. Résultat, le coût complet des Jeux olympiques pour nos finances publiques annoncé initialement pour 1,5 milliard pourrait bien doubler à 3 milliards, voire 5.
Si la logique de période de travail exceptionnel avéré et donc de primes exceptionnelles peut être comprise pour l’été 2024, rien ne justifie les centaines de millions de dépenses pérennes que les syndicats sont en train d’arracher en utilisant le chantage aux Jeux olympiques. Le gouvernement semble être prêt à tout céder alors même qu’il a refusé l’opportunité offerte sur un plateau par le Sénat de mieux encadrer le droit de grève. Quitte même à s’asseoir, pour les cheminots ou les aiguilleurs, sur les effets des réformes déjà votées ou actées comme la réforme des retraites ou l’augmentation de la productivité du contrôle aérien ? Dans une période de recherche tous azimuts de milliards d’économies, c’est incompréhensible pour les Français.