Investissements étrangers : la France est-elle vraiment si attractive ?
La Presse s’est faite largement l’écho d’un « effet Macron » pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) en France. Malgré le report de Choose France 2022, à raison de la crise sanitaire, l’exécutif compte annoncer opportunément 6 mois seulement après la dernière édition (juin 2021), une nouvelle salve de 4 milliards d’investissements étrangers (21 projets) après les 3,6 milliards (22 projets annoncés en juin). Pourquoi une telle multiplication de ces roadshow ? Il s’agit d’un argument fort de pré-campagne pour expliquer au grand public les avantages tirés par la France de ses mesures pro-attractivités auprès des investisseurs étrangers. Mais sommes-nous champions des IDE en Europe ? On doit en douter…
Le baromètre EY sur l’attractivité de la France présente un nombre d’IDE encourageant…
La firme EY (Ernst & Young) publie chaque année un baromètre de l’attractivité de la France[1]. Dans son millésime 2021 qui traite de l’année 2020 on observe un resserrement du nombre d’IDE dans les principaux pays européens :
On constate que la France se paie même le luxe en 2020 de dépasser l’Allemagne et le Royaume-Uni, consolidant ses acquis obtenus depuis 2019. La France accueille 985 IDE contre 975 pour le Royaume-Uni et seulement 930 pour l’Allemagne… celle-ci semblant « décrocher » depuis 2018.
Malheureusement cette approche ne se focalise que sur le nombre des opérations réalisées. Interrogé sur le sujet des emplois créés Business France communique sur 40.000 emplois créés ou maintenus en 2019 (soit +30% par rapport à 2018[2]), tandis que la moisson réalisée par Choose France 2021 revendiquait la création de 7.000 emplois[3] et que les annonces de janvier 2022 doivent en créer +10.000 auxquels s’ajoutent + 16.000 CDI intérimaires[4]. Marc Lhermitte associé chez EY et interrogé par Les Echos, précise d’ailleurs que « Depuis 2017, les entreprises étrangères ont une appréciation de plus en plus positive de la France. Elles comprennent dans quelle direction elle va. Le fait que, malgré la crise sanitaire, elle n’ait pas changé de cap les a aussi rassurées… »
… mais les montants publiés par la CNUCED invitent à être plus modérés
Cependant, le Tableau de bord de l’attractivité de la France, publié par la Direction du Trésor et Business France nous invite à être beaucoup plus tempérés lorsqu’il s’agit des montants investis…
Dans son édition de 2020 (donc portant jusqu’en 2019), les montants des IDE comparés entre les principaux pays européens sont moins en faveur de la France[5] :
En 2019, les IDE entrant en France s’établissent à 30 milliards d’euros d’après la Banque de France, soit un montant légèrement plus faible que l’année précédente (32 milliards d’euros). La France a accueilli le 12ème flux d’investissement au monde et le 5ème européen derrière les Pays-Bas, l’Irlande, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les flux entrant en France étant composés en grande partie d’acquisition de capitaux propres (25 milliards en 2019 comme en 2018) ; les bénéfices réinvestis représentant 4 milliards d’euros (contre 7 milliards en 2018) et les flux liés aux autres opérations (+1 milliard). En 2020[6], la CNUCED relève un volume d’IDE entrants de 16 milliards d’euros (contre 4 milliards selon la Banque de France). La France devenant le 17ème pays d’accueil des flux d’investissements mondiaux et le 6ème pays européen derrière le Luxembourg, l’Allemagne, l’Irlande, la Suède et le Royaume-Uni.
Ainsi touchés comme les autres pays par la crise, les volumes d’investissements entrants se sont plus affaissés en direction de la France qu’envers les autres pays développés.
Exprimés cette fois en dollars, les investissements comparés dans les différents pays développés publiés par la CNUCED se répartissent suivant la distribution suivante[7] :
Conclusion
La France choisit de communiquer sur le nombre de ses investissements plutôt que sur leur volume. Le hiatus entre les deux (1ère place en Europe contre 5ème place en 2019 et même 6ème place en 2020 montre que l’on a encore en la matière beaucoup de chemin à parcourir. Avec l’Allemagne le différentiel est gigantesque : 36 milliards de dollars en 2020 pour l’Allemagne contre 18 milliards pour la France, soit du simple au double, et hors crise en 2019 54 milliards contre 34… Ce différentiel peut s’expliquer par un effet stock de capital étranger déjà investi, mais aussi par les difficultés toujours actuelles de l’économie française. Ainsi que le relevait récemment Marc Lhermitte[8] : « le coût du travail et la pression fiscale restent les deux points gris de [la] compétitivité [française] » Ce qui milite pour une nouvelle vague de baisse des impôts de production et une baisse des prélèvements obligatoires pesant sur les salaires de façon à augmenter la compétitivité hors coût et la montée en gamme de l’économie française « La réputation de la France s’est améliorée dans les 4-5 dernières années. Il y a encore beaucoup de dirigeants dans le monde qui pensent que la France reste un pays complexe et peu cher. Le coût du travail reste probablement l’un de nos points noirs. »
Une amélioration qui ne pourra être durable que si la politique de l’offre se poursuit résolument et à marche forcée. Or pour être soutenable, cette dernière a besoin de finances publiques en ordre… ce qui n’est pas encore le cas et qui pourrait intimider encore certains investisseurs.
[1] https://www.ey.com/fr_fr/attractiveness/barometre-de-l-attractivite-de-la-france-2021
[2] https://www.en-bourse.fr/les-investisseurs-etrangers-vont-ils-sauver-notre-economie-en-2020/
[3] https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/macron-renoue-le-contact-direct-avec-les-patrons-etrangers-a-choose-france-1327429
[4] https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/leffet-macron-attire-toujours-linvestissement-etranger-en-france-1379525
[5] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/365e4239-683f-42d0-88b0-5060378cf4ea/files/f774bce1-8ee8-4771-8f87-ace1bc0d0cc4#page=15
[6] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/c6737dd2-44fa-48ac-930e-432426b62e65/files/e46d7878-a501-4059-a707-e606fa427be0#page=8
[7] Voir rapport annuel World Investment Report 2021, p.23, https://unctad.org/system/files/official-document/wir2021_en.pdf#page=23
[8] Voir également son interview de juin dernier https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/franceinfo/l-eco/l-eco-du-lundi-7-juin-2021_4654133.html