France 2022 : l'envers du décor
Nous aimons tous recevoir de bonnes nouvelles et, quelle chance, notre gouvernement, comme beaucoup d'autres, adore en donner ! Surtout avant la présidentielle. Qu'on en juge : la France a une croissance de folie, le déficit est moins élevé que prévu, le chômage est à son plus bas, les investisseurs étrangers se précipitent pour investir chez nous, les licornes fleurissent… Que demande le peuple qu'il n'ait déjà ?
Cette tribune a été publiée dans les pages des Echos, le mercredi 9 février. |
Ce constat fait penser à un beau lambris tout neuf que l'on pose sur un mur couvert de salpêtre : ça tiendra ce que ça tiendra. Mais qui est vraiment dupe ?
Les citoyens français pensent-ils vraiment que la croissance de 2021 est la meilleure depuis 50 ans ? Ou ont-ils compris que cette croissance (environ 170 milliards d'augmentation de la richesse nationale entre 2020 et 2021), qui fait suite à une chute de la richesse de presque 8 points de PIB, était surtout le résultat en trompe-l'oeil d'un énorme déficit public de plus de… 170 milliards ? En clair, que cette « croissance record » est financée en partie à crédit ?
Le taux de prélèvements obligatoires n'a pas baissé
Idem pour le déficit public qui ne pèse plus 8 % de la richesse nationale en 2021 mais 7 %. Mais cette amélioration n'est pas due au fait que la dépense publique ait été résorbée. Au contraire, on dépasse encore le niveau de dépenses de 2020 avec un record de… 1.485 milliards d'euros. Non, c'est bel et bien parce que les impôts rentrent mieux que prévu grâce à l'inflation. Résultat : le taux de prélèvements obligatoires de la France en 2021 est probablement de 44,9 %, soit très proche ou quasi égal à ce qu'il était en… 2017. Où sont passées les baisses d'impôts ? Mystère.
Nos compatriotes sont-ils aussi candides face à ces magnifiques chiffres de chômage ? Entre 7,4 % (Eurostat) et 7,6 % (Insee) de demandeurs d'emploi - bientôt le plein-emploi, nous dit-on. Là encore, nous n'avons pas eu meilleurs chiffres depuis 2008. Sauf que… en plus de ces 7,6 % de chômeurs, il existe environ 1,9 million de personnes dans notre pays comptées dans le halo du chômage mais non comptabilisées comme chômeurs.
Ce halo du chômage a beaucoup augmenté (il était de 1,4 million de personnes en 2015). On parle ici des personnes en formation, des allocataires de minima sociaux qui ne cherchent plus vraiment d'emploi… Si l'on additionne chômage et halo, on atteint plutôt les 12 à 13 % de la population active, soit loin très loin derrière l'Allemagne ou les Pays-Bas qui sont, eux, déjà au plein-emploi et n'envient vraisemblablement pas le taux de chômage français.
Nous continuons à manquer cruellement d'ETI
Quant aux 26 licornes, à la création de presque 1 million d'entreprises, à l'industrie qui crée plus d'usines qu'elle n'en détruit… la réalité est un peu plus nuancée. 90 % des entreprises qui se créent en France le font avec 0 salarié (et le seul emploi du créateur). Et même si la France a créé 297.000 emplois depuis 2019, l'industrie, elle, en a perdu 38.200 (− 1,2 %). Nous continuons à manquer cruellement de PME et d'ETI (nous en avons deux fois moins qu'en Allemagne), qui grandissent en France, produisent en France et exportent depuis la France. Faut-il rappeler ici notre déficit commercial record - plus de 80 milliards d'euros en 2021, à comparer aux 48 milliards de 2016 ?
S'il est assez plaisant pour se rassurer (on en a tous envie après cette période kafkaïenne !) de lire chaque jour dans le journal une avalanche de bonnes nouvelles, il convient aussi de garder un esprit critique et une idée de ce que serait un vrai audit de la France 2022. Tout n'est pas noir mais tout n'est pas rose non plus. Et un citoyen averti en vaut deux.