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Fillon et Macron : proches pour leurs concurrents, éloignés pour leur clientèle

Comment apprécier par comparaison les programmes respectifs de François Fillon et d’Emmanuel Macron, les deux candidats dont les orientations fondamentales se rapprochent incontestablement le plus parmi les onze se présentant à nos suffrages ? Une longue interview (dans les Echos du 31 mars 2017) de deux de leurs soutiens respectifs, Henri de Castries pour le premier et Jean Pisani-Ferry pour le second, apportent sur la partie économique de leurs programmes un éclairage intéressant que les déclarations des candidats ne peuvent plus fournir en cette période électorale dominée par les slogans.

Si, compte tenu des positionnements pour la plupart extrémistes de leurs concurrents, les orientations fondamentales de François Fillon et Emmanuel Macron (Europe, équilibres financiers, marché du travail et, jusqu’à un certain point seulement, entreprises) les rapprochent, on retrouve un clivage important entre un programme plus cohérent et orienté vers la croissance à long terme chez l’un, et un programme insistant sur l’amélioration immédiate du pouvoir d’achat chez l’autre.

Ce qui les rapproche

C’est essentiellement leur positionnement commun à l’égard de leurs concurrents qui les rapproche, que ce soit parmi les onze candidats ou dans le groupe des cinq les mieux placés dans les sondages.

Le « respect des engagements européens ».

Les deux soutiens de nos candidats tiennent à insister sur la nécessité de respecter ces engagements, et sur la « consolidation de la zone euro », dixit Henri de Castries. Tous deux vilipendent le programme de Marine Le Pen, qui « ruinera les travailleurs, les épargnants et les emprunteurs » (H. de C) tandis que la victoire de cette dernière « serait une vraie catastrophe géopolitique » (J. P-F).

Commentaire.

Les autres candidats s’étant exprimés se positionnent aussi contre l’euro, et même l’Europe pour certains, ou ont de cette dernière une vision opposée à  ce qu’elle est actuellement : c’est clair pour Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau, Jacques Cheminade, et évident pour Nathalie Artaud et Philippe Poutou, qui se déterminent comme anticapitalistes et opposés à l’économie de marché . Le positionnement de Benoît Hamon est plus ambigu, n’affichant aucun désir de quitter l’euro ni l’Europe, mais dont le programme est incompatible avec les engagements de la France, et surtout parce qu’il a confié la conduite de son programme international à Thomas Piketty, qui veut imposer l’institution d’un parlement de l’euro chargé de mutualiser les dettes des Etats membres.

La nécessité de réformes structurelles compatibles avec les engagements européens.

En premier lieu, le consensus existe sur la nécessité de baisser la dépense publique, pour la ramener, de 56,5% du PIB en 2016, dans la moyenne européenne pour H. de C, et à 53,5% en 2022 et 50% à l’horizon 2024 pour J. P-F. Corollairement, les deux programmes favorisent la baisse des déficits publics et celle de la dette publique, ce qui n’empêche pas d’après eux la baisse des prélèvements obligatoires. Le chiffrage de ces dernières baisses n’est toutefois pas fourni ni débattu par les deux soutiens.

Commentaire.  

Notre évaluation des programmes économiques des cinq candidats fait d’abord ressortir une divergence de fond entre les programmes de nos deux candidats avec celle des autres prétendants.  A l’horizon 2022, l’exécution des programmes Le Pen et Mélenchon ferait monter les dépenses publiques autour de 62%, passer les déficits publics entre 7 et 9% et les dettes publiques aux alentours de 115%, par rapport au PIB. La projection pour Benoît Hamon est nettement moins défavorable que celle de Le Pen et Mélenchon, mais n’introduit pas d’amélioration par rapport à la situation d’aujourd’hui, contrairement aux projections pour Fillon et Macron. En effet, à l’horizon 2022 les dépenses publiques ainsi que la dette publique resteraient au même niveau que maintenant, et le solde public diminuerait tout en restant négatif à 2,5% du PIB.

Les annonces faites par les soutiens de Fillon et Macron sont cohérents avec les résultats de notre évaluation, à l’exception près que nous ne nous prononçons pas sur la période au-delà de 2022, et avons quelque doute sur la possibilité de baisser la dépense de plus de 3 points en deux années, pour parvenir à des dépenses publiques de 50% du PIB comme le prétend J. P-F. pour 2024.

A certains égards, un discours pro-entreprises.

Encore une fois par comparaison avec leurs concurrents, F. Fillon et E. Macron affichent un discours favorable aux entreprises. On verra en examinant les divergences des programmes combien celles-ci sont importantes, mais cela n’empêche pas de constater que, à la différence de quasiment tous les autres, nos deux candidats maintiennent en vigueur les avantages des entreprises consacrés par la loi El Khomri, et pérennisent le CICE en le transformant en baisse de charges. Tous deux ont surtout une approche du droit du travail résolument orientée vers la flexibilité et ce qu’on appelle l’« inversion des normes », avec le désir de favoriser la prise de décisions au niveau de l’entreprise plutôt qu’au niveau national ou à celui des branches. C’est un point important qui distinguent les deux candidats des autres.

Ce qui les sépare

La discussion entre les soutiens des deux candidats a beaucoup porté sur une question de méthode, H.de C reprochant à E. Macron de se contenter de demi-mesures au surplus trop lentes à produire leurs effets, et inversement J. P-F dénonçant le caractère radical et brutal du programme Fillon. A les entendre, on croirait presque que les divergences ne portent que sur des questions de méthode et non sur le fond. Ce serait pourtant une erreur que de s’en tenir là.

La compétitivité de l’économie.

La divergence est ici fondamentale. J. P-F estime que le gouvernement Hollande en a assez fait sur ce sujet en faveur des entreprises avec le CICE (qui sera pérennisé comme on l’a dit) et les différents pactes, que « la priorité n’est pas d’engager une nouvelle vague d’allègements du coût du travail », que « les entreprises doivent tenir leurs coûts et faire de la productivité, non pas se tourner tous les cinq ans vers l’État pour qu’il passe l’éponge ». Il met en avant au contraire le manque de « compétitivité-qualité » en insistant sur la nécessité de réaliser des investissements.

H. de C., tout en ne voyant pas en quoi le programme Macron résoudrait le problème compétitivité-qualité, réfute que la compétitivité-coût ne soit plus une priorité. Il relève que les salaires moyens et élevés restent très handicapés par des charges élevées, qu’un ingénieur coûte plus cher qu’en Allemagne et que nous n’aidions « que les bas salaires au détriment des emplois qualifiés ». D’où le choix de F. Fillon de baisser les charges pesant sur les entreprises (suppression de taxes diverses pour 12,5 milliards), ainsi que les cotisations patronales pour tous les niveaux de salaires (12,5 milliards également), à quoi il faut ajouter la baisse progressive du taux de l’IS (10 milliards). Le financement de ces mesures serait assuré en grande partie par le relèvement de deux points des taux de TVA les plus élevés – ce que J.P-F. qualifie d’« erreur » dans le cadre d’une économie « en voie de redressement » (car pénalisant la consommation.

Commentaire.

Cette question de compétitivité voit s’affronter deux positionnements classiques qui renouent dans une certaine mesure avec l’opposition droite-gauche (sociale-démocrate).

Le premier concerne la cible des allègements de charges. E. Macron suit le raisonnement développé par les économistes Pierre Cahuc, André Zylberberg et Gilbert Cette, selon lequel pour conduire à la résorption du chômage, la baisse des charges doit être ciblée sur les bas salaires car elle touche l’employabilité des non-qualifiés dont la productivité serait autrement insuffisante, alors que la baisse des charges pour les salaires supérieurs à tendance à ne se traduire que par une hausse des salaires. Ce raisonnement a influencé l’ensemble des mesures du quinquennat, et a notamment conduit à n’accorder le bénéfice du CICE que jusqu’à 2,5 smics au lieu du seuil de 3,5 smics que préconisait Louis Gallois dans son rapport de 2012. Quelle que soit la vérité économique du raisonnement, on peut fortement en contester la justification, dans la mesure où l’incitation ne porte pas sur l’emploi des plus qualifiés, qui sont les plus à même d’améliorer la compétitivité-qualité de la production française dont le même E. Macron relève la nécessité comme on l’a indiqué. Et aussi, l’effort devrait porter essentiellement sur la formation des moins qualifiés pour hausser leur niveau d’employabilité. La France pèche lourdement sur ce sujet d’efficacité de la formation malgré son coût, ce que tous reconnaissent. Le ciblage des baisses de charges est peut-être plus efficace à court terme pour l’emploi – encore que les résultats n’ont pas été au rendez-vous, mais à moyen terme il ne contribue pas à améliorer la compétitivité des entreprises. On rappelle à ce sujet que les charges patronales sont à la fois plus basses en taux et plafonnées en Allemagne.

Le second sujet concerne l’éventuelle suffisance, selon J.P-F., des baisses de charges et cotisations accordées par le gouvernement au titre du CICE et du pacte de responsabilité. S’ajoutant à ce que nous venons de relever concernant le ciblage trop restreint de ces baisses, nous n’estimons pas qu’elles soient suffisantes et appuyons la remarque exprimée par H. de C. En Allemagne les cotisations patronales se montent à 21% du salaire brut alors qu’elles avoisinent 50% en France. C’est dire que baisser les cotisations (en prenant l’hypothèse d’une pérennisation du CICE) de 6% (jusqu’à des salaires de 2,5 smics seulement) est très loin de faire le travail de rapprochement entre le coût du travail français et le coût allemand. D’autant plus qu’il faut encore tenir compte des taxes sur la production, très élevées en France et quasiment absentes en Allemagne (autrement que par la Gewerbesteuer, calculée sur les résultats et non sur le chiffre d’affaires).

En France, compte tenu de son assiette sur le salaire brut, le CICE aboutit à une baisse du coût du travail comprise entre 5% au plus et 4% de ce coût selon qu’il s’agit d’un salaire au smic ou à la limite de 2,5 smics (au-delà de cette limite le CICE disparaît et le coût de toute augmentation de salaire devient prohibitif !). Ce qui signifie qu’il faut entre 20 et 25 employés pour que le CICE qui leur est attribuable finance un seul emploi rémunéré au même niveau de salaire…C’est dire que le compte n’y est vraiment pas pour estimer que le CICE suffise à résoudre le problème de la compétitivité-coût et de l’emploi.

Et les 35 heures ?

Etrangement, c’est un sujet qui n’a pas été débattu entre les soutiens des deux candidats. H. de C. l’a bien évoqué comme un point important de clivage, mais il ne s’est attiré aucune réponse de la part de son interlocuteur. C’est que la position d’Emmanuel Macron est ambigüe. Lorsqu’il était au gouvernement, il critiquait clairement les 35 heures, comme une idée fausse consistant à penser que la France « pourrait aller mieux en travaillant moins », puis a évoqué la modulation du temps de travail en fonction de l’âge, pour reculer en affirmant maintenant que « la durée légale du travail restera à 35 heures ». Toutefois, il n’a pas exclu que les entreprises puissent « négocier d’autres équilibres » …ce qui est contradictoire avec le principe d’une durée légale.

On aura compris qu’Emmanuel Macron n’ose pas toucher à ce qui représente encore un tabou (peut être le plus important de la gauche) mais qu’il n’en pense pas moins. Il est certain que F. Fillon s’engage plus franchement, au prix de susciter de considérables résistances lorsqu’il s’agira d’étendre les 39 heures à l’emploi public. De son côté, on voit mal E. Macron s’engager dans une flexibilité dans l’emploi privé sans l’étendre à la fonction publique.

La relance par le pouvoir d’achat versus les baisses de prélèvements au profit des entreprises.

Les deux candidats ont l’intention de baisser les prélèvements obligatoires, tout au moins pour F. Fillon (de 44,6% à 43,8% du Pib à l’horizon 2022 selon notre évaluation) alors que le programme d’E. Macron n’aboutirait qu’à une baisse de 0,1%). Mais les deux programmes diffèrent complètement quant aux bénéficiaires et quant aux moyens utilisés.

On l’a indiqué, F. Fillon entend baisser les taxes et les cotisations des entreprises pour un total de 25 milliards, en contrepartie d’une hausse de 2 points des taux forts de  la TVA. E. Macron entend quant à lui baisser les cotisations des salariés à hauteur de 18,5 milliards (suppression des cotisations maladie et chômage), en contrepartie d’une hausse de la CSG, et exonérer 80% des contribuables de la taxe d’habitation –pour un coût de 10 milliards) . Ce qui fait dire à H. de C. que « cette mesure déresponsabilise un peu plus les Français puisque 60% ne paient pas l’impôt sur le revenu et près de 80% ne paieront pas la taxe d’habitation. Comment les convaincre de faire baisser la dépense publique ? »  A quoi J. P-F ; réplique que la taxe d’habitation est un impôt injuste car régressif, et plus généralement que « avec une économie encore en redressement, augmenter les prélèvements sur les ménages pour réduire les prélèvements sur les entreprises est une erreur ».

Commentaire.

Nous retrouvons ici l’affrontement classique droite-gauche, à savoir politique de l’offre contre politique de la demande. Ni de droite  ni de gauche, E. Macron ? Les deux à la fois en vérité, de droite lorsqu’il évoque les questions liées au droit du travail, la fiscalité sur les revenus du capital (sauf pour la CSG) et la demi-mesure concernant l’ISF ; de gauche lorsque ses mesures les plus visibles tendent à utiliser la fiscalité pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages. Nous sommes plus favorables à une politique de l’offre et avons plus haut démontré l’insuffisance des  mesures de baisses des charges en faveur des entreprises.

Indépendamment de la divergence portant sur les bénéficiaires, les moyens employés par F. Fillon nous paraissent aussi préférables. L’augmentation des taux de TVA, surtout quand elle ne concerne pas les taux bas concernant les produits de première nécessité, responsabilise les Français pour adapter leur consommation à leurs ressources, et présente d’autre part l’avantage de faire contribuer les importations. Notons aussi qu’une partie de la hausse de la TVA restera prise en charge par les entreprises dans le cadre d’une logique de concurrence librement acceptée.

A l’inverse, baisser les cotisations salariales, comme l’a remarqué le secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert, ne profite qu’aux salariés et laisse en dehors du bénéfice de la mesure jusqu’à 25 millions de Français (indépendants, fonctionnaires, retraités, chômeurs, personnes en arrêt maladie). C’est une question de justice. De plus, et au moins pour les prestations chômage, remplacer un financement par les cotisations qui correspond à une logique contributive par un financement par l’impôt (la CSG) payé par des contribuables qui n’ont pas droit aux prestations (retraités, titulaires de revenus du capital) pose un sérieux problème constitutionnel. Ce principe de logique contributive a déjà été rappelé par le Conseil constitutionnel en 2014. Enfin, c’est encore une question d’opportunité économique : la mesure viendrait contredire le retour prévu par E. Macron à une taxation forfaitaire des revenus du capital, aussi programmée par F. Fillon, en augmentant cette taxation par le biais de la CSG.

Conclusion

Ce qui rapproche F. Fillon et E. Macron est-il plus important que ce qui les sépare ? Tout dépend du point de vue d'où l’on se place. Si on observe les programmes - ou les professions de foi – des onze candidats, incontestablement les deux que nous avons isolés font bien chambre à part, sauf à admettre que Benoît Hamon puisse les y rejoindre. Mais ce dernier a flouté son programme, particulièrement en ce qui concerne sa mesure phare, le revenu universel, son positionnement à l’égard de l’Europe est loin d’être clair, et le sort des entreprises ne fait manifestement pas partie de ses préoccupations. Quant aux huit autres, on ne peut, comme l’a fait Nathalie Artaud avec une totale franchise – et vérité - en répondant à la dernière question des journalistes pendant le débat, que constater qu’aucun d’eux ne cherche à « rassembler » les Français autour de valeurs susceptibles d’être partagées.

Si l’on se place maintenant du seul point de vue de nos deux candidats, un clivage important apparaît. On peut accorder à F. Fillon le bénéfice de la cohérence de son programme, bâti autour de réformes structurelles destinées à ancrer davantage la France dans son destin européen, ainsi qu’à assainir les finances publiques, tout en menant une politique de long terme favorable aux entreprises et à la résorption du chômage.

Malgré un discours très pro-européen et relativement pro-entreprises, E. Macron ne fait pas montre d’une semblable cohérence lorsqu’il s’attaque au financement du modèle social et à la situation des entreprises dont il ne modifie en rien la fiscalité. Les mesures les plus saillantes de son programme sont orientées, de façon assez démagogique peut-on juger, en faveur du pouvoir d’achat des Français. Ce qui rapproche finalement ce programme de celui de Benoît Hamon, à la différence près que la population ciblée n’est pas la même.