Faire plus d'économies sur les achats publics
Les économies réalisées sur les dépenses de fonctionnement de l'Etat sont l'un des engagements phares pris par le gouvernement afin de lutter pour une résorption du déficit public à 3% du PIB en 2013. Il s'agit de parvenir à économiser près de 10% des dépenses de fonctionnement (18 milliards en 2010) sur trois ans, soit 1,8 milliard d'€ [1]. Au sein de ces dépenses, 13,3 milliards concernent les achats publics… ce qui devrait conduire à une économie de 1,3 milliard d'€. Or contre toute attente, les économies envisagées sur les achats publics ne sont que de 700 millions d'€ soit inférieures de 48% aux économies envisagées par les premiers audits de modernisation dès 2006… Explications :
Dépenses d'achats, des économies plus difficiles à dégager que prévu
Le Président de la République dans une lettre au Premier ministre du 28 juin 2010 [2], décide de « changer de braquet ». A la clé, la nécessité de dégager 1,8 milliard d'€ sur 3 ans à compter de 2011, dont la moitié dès le premier exercice (soit 900 millions). Le chiffrage de l'effort ne peut être effectué, provisoirement, qu'à partir de l'année 2008 soit sur un volume de 17,4 milliards d'€. Or il apparaît que les dépenses d'achats ne concernent que 13,3 milliards d'€ dont seulement 7,6 milliards au titre des dépenses civiles [3], ce qui correspond en définitive à un effort d'environ 700 millions d'€ soit 10%… montant confirmé le 30 juin 2010 par le ministre du Budget François Baroin [4]. L'engagement paraît respecté, sauf qu'en matière d'achats publics d'Etat, les prévisions de réduction de dépenses ont constamment été corrigées à la baisse, passant de 1,365 milliard en 2006 à 1 milliard en janvier 2010 pour atteindre enfin à l'été, 700 millions d'€… soit 48% d'économies en moins en 4 ans, tandis que les dépenses de fonctionnement croissaient de 16% sur la même période. En clair, soit les évaluations sont fantaisistes, soit il apparaît difficile aux pouvoirs publics de tenir leur objectif tant la résistance à la « professionnalisation » de la fonction achat au sein des ministères est importante. Une raison supplémentaire pour faire évoluer les structures… et dégager 600 millions d'€ de plus sur 3 ans !
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Réformer les structures d'achats de l'Etat, comment massifier sans déstabiliser les PME ?
La réforme des achats de l'Etat donne un peu l'impression d'une longue marche vers la performance publique, en partie parce que le gouvernement doit s'inscrire dans deux logiques :
Sur le plan interne, faire évoluer les services achats des ministères en assurant leur lente « professionnalisation », substituant une logique de coût à une logique de dépenses. C'est tout l'enjeu de la séparation des activités d'achat (centralisables), de celles d'approvisionnement [5] (ministères). Comme au sein des ministères, on continue de pratiquer discrètement des politiques d'« achats sauvages », la décision est prise d'amplifier le mouvement en centralisant davantage le processus de décision [6]. Le SAE (Service des Achats de l'Etat) est ainsi institué et pilote de façon centralisée la détermination des besoins en achats courants des ministères (hors économat des armées et directions achats spécifiques), conclut des accords-cadres pour la fourniture de services, peut déléguer cette fonction à d'autres services de l'Etat dont l'UGAP (voir infra) ce qui est beaucoup plus curieux [7] ...
Sur le plan externe, acheter moins cher c'est acheter en gros, donc recourir aux centrales d'achat, ce qui s'est traduit concrètement par l'inscription au cœur du dispositif dès 2004 de l'Union générale des groupements d'achats publics [8] (qui se lance dans la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics en direction des collectivités locales et de l'Etat [9]) sans couper les PME de leur accès à la commande publique. Bref, acheter moins cher tout en développant la concurrence.
La vraie difficulté va consister à arbitrer entre la volonté d'afficher des économies réalisables liées à une standardisation et à une massification des achats, sans se reposer exclusivement sur l'UGAP auquel le statut public confère des avantages [10]. Le risque : que les PME autrefois contractantes principales des collectivités locales et des ministères, se retrouvent évincées par des acteurs nationaux ou internationaux, seuls susceptibles de répondre efficacement aux exigences de la centrale d'achat publique, ce qui semble se confirmer dans les faits avec une baisse de 10% dans le chiffre d'affaires de la centrale entre 2008 et 2010, la part réservée aux PME s'établissant à 25%. La question est donc posée de l'accessibilité des PME à la commande publique dans le cadre de la politique de « massification des achats de l'Etat [11] » avec notamment la question du contournement de l'impératif d'allotissement (répartition en lots distincts de façon à ouvrir la commande publique à une pluralité de fournisseurs) par la centrale d'achat publique [12], dans la mesure où « il n'est pas possible en l'état actuel du droit, de fixer des quotas de PME dans les procédures de marchés publics car une telle mesure serait contraire aux principes d'égalité de traitement des candidats et de liberté d'accès à la commande publique. [13] » L'équilibre reste donc à trouver.
Conclusion
Outre la difficulté de parvenir à dégager les économies budgétaires nécessaires dont le volume est sans cesse revu à la baisse entre 2005 et 2010 (de 1,3 voire 1,5 milliard d'€ d'économies à probablement 700 millions d'€ d'ici à 2013), laissant par ailleurs pendante la question de l'effort en la matière des opérateurs, la question est posée d'une politique intelligente de massification des achats, respectueuse de l'accessibilité des PME à la commande publique. Rappelons que c'est l'architecture actuelle de la commande publique qui place l'UGAP au centre du dispositif, qui pose question, avec un chiffre d'affaires de 1,3 milliard d'€ en 2009, et sa position ultra-dominante dans le secteur, voulue et soutenue par les pouvoirs publics. D'où l'idée de privatiser l'UGAP [14]. Cette proposition permettrait de remettre la centrale d'achat à égalité avec ses concurrentes et favoriser entre autres, la publicité de ses comptes [15], la transparence de son activité, à égalité avec les autres acteurs privés.
[1] Est-ce cependant suffisant ? On peut en douter… une vraie mesure d'économie de 10% aurait nécessité de compenser également l'augmentation spontanée de ces dépenses (1,5%/an) sur trois ans, soit un effort réel de 2,61 milliards d'€. L'effort actuel de l'Etat est donc inférieur de 31% par rapport à cet objectif de prudence.
[2] Voir : lettre du Président de la République. En substance : « En outre une rationalisation sans précédent des fonctions support sera réalisée, passant par le pilotage des systèmes d'information, la mutualisation de l'organisation des concours, de la formation des fonctionnaires et de la logistique des ministères. Elle facilitera la diminution de 10% des dépenses de fonctionnement qui est fixée comme objectif dans le prochain budget triennal. »
[3] Le reste étant dévolu aux fonctions support du ministère de la Défense à hauteur de 3,4 milliards d'€ et à celui de la sécurité intérieure pour 2,3 milliards, ce qui permet bien de reconstituer une fonction support globale de 13,3 milliards.
[4] Il précise que le reste des 1,8 milliard, soit 1100 millions, sera réparti entre 300 millions d'€ d'économies générées par l'informatique de l'Etat, 300 millions engrangés par de nouvelles cessions immobilières (1700 bâtiments cédés), les 500 millions restants n'étant pas précisément identifiés. D'ores et déjà, pour le moment les économies sur les projets en cours en phase de développement représentent 200 millions d'€, et la première vague Calypso a permis de dégager fin 2009 sur 10 catégories d'achats, un gain cible de 350 millions d'€ pour un périmètre concerné de 2,4 milliards, tandis que la seconde sur 10 catégories d'achats nouvelles a elle-même permis d'identifier également 350 millions d'€ d'économies sur un périmètre de 5 milliards d'€ (en février 2010 le SAE communiquait sur un potentiel de 450 à 600 millions d'€ identifiés dans les catégories d'achats qui devaient être réalisés par les prochaines vagues d'analyse des opportunités de segments (travaux immobiliers à la charge du propriétaire, micro-informatique, prestations intellectuelles, déplacements etc…). Les travaux immobiliers ont été reportés à la vague 3 qui devrait débuter début septembre, voir supra. Par ailleurs, afin d'accélérer la réduction des dépenses d'achats, les gains localisés seraient finalement fixés à 15% plutôt qu'à 10% sans doute par mesure correctrice, ce qui ne clarifie pas le problème.
[5] Avec à la clé la mise en place de mesures telles que la création en novembre 2004 de l'ACA (l'Agence centrale des achats) du Ministère des finances, service à compétence nationale qui va bientôt se charger de l'animation de la réforme au côté de la MIFA (Mission interministérielle France Achats) placée auprès du directeur de la DGME (Direction générale de la modernisation de l'Etat) dès 2005 dans le cadre de la RGPP, et ce, jusqu'en 2009.
[6] Des correspondants achats des ministères (les RMA, responsables ministériels des achats) ainsi que dans les services déconcentrés auprès des préfectures (les CRMA, chefs de mission régionale achat), sont progressivement initiés dans le cadre de la mise en place d'une professionnalisation des opérations d'achat dans chaque ministère en tentant de disjoindre les fonctions de gestion budgétaire et d'approvisionnement proprement dit. A cette fin, est projetée pour juillet 2008 la création d'une Agence des achats de l'Etat, à l'issue d'un rapport de la MIFA de février 2008 visant à accélérer l'ensemble de la mutualisation des achats. Une structure dotée d'un statut sui generis « d'agence de service public » directement rattachée au ministère du Budget. Devant les résistances administratives et les difficultés techniques, il faudra en réalité attendre le décret du 17 mars 2009 pour que celle-ci voie le jour comme un simple service à compétence nationale issu de la dissolution de la précédente ACA et de la MIFA.
[7] C'est d'ailleurs à cette fin que le SEA et l'UGAP ont récemment conclu plusieurs accords-cadres visant la fourniture massive d'achats avec pour but la réalisation d'économies d'échelle (marché du papier éco-responsable en 2008 pour un contrat unique de 50 millions d'€ sur trois ans et livraison de 22 millions de ramettes de papier, renouvellement du parc automobile et gestion de flottes en 2009 etc…).
[8] Union des groupements d'achats publics, un service créé en 1968 (mais devenu EPIC en 1985) à l'initiative des ministères du Budget et de l'Education nationale, afin de disposer d'une centrale d'achat commune.
[9] Cette vente de services de mise en relation double sa propre offre aux différents acteurs de la filière publique, ce qui n'est pas sans incidence sur l'accès direct des PME à la commande publique. Cette position hégémonique n'étant pas sans incidence sur le difficile accès des PME à la commande publique, voir, Laure Chretin-Rochette, L'accès des PME aux marchés publics, 7 septembre 2005. Par ailleurs, l'UGAP a signé le Pacte PME en direction des PME innovantes. L'organisme communiquait en 2008 sur le fait que les PME constituaient 68% de ses titulaires de marchés (fournisseurs), représentant 28% de son chiffre d'affaires. En 2010 cependant la proportion semble moins bonne puisque les PME forment 70% de leurs fournisseurs, mais seulement 25% de son chiffre d'affaires… ce qui témoigne en creux des progrès de la massification…
[10] Puisqu'en vertu de l'ancien article 32 (2004) devenu l'article 31 du Nouveau code des marchés publics (2009), tout organisme public contractant avec la centrale d'achat est dispensé de publicité, l'EPIC devant prendre en charge cette formalité dans le cadre de ses achats groupés.
[11] Voir, notamment les très nombreuses questions parlementaires et la réponse unique du ministère de l'Economie et des finances : http://www.marche-public.fr/SAE-Uga..., mais aussi pour une critique constructive, la réaction de la Fédération de l'Equipement du Bureau et de la Papeterie, http://www.la-feb.org/Le-mecanisme-....
[12] Ainsi que le relève Laure Chretin-Rochette, op.cit, « Il est évident que la seule massification des achats ne saurait l'expliquer. Les PME pourraient se regrouper pour remporter des appels d'offres de la centrale d'achat (UGAP). C'est plutôt le mécanisme dans sa globalité qui constitue un frein à l'accès des PME aux marchés passés par l'UGAP. Il prive celles-ci de plus petits marchés qui auraient pu être passés au niveau de la collectivité (…) l'UGAP va organiser des appels d'offres « nationaux » qui échappent, par leur taille, aux PME régionales (…) il est donc logique que les références demandées par l'UGAP favorisent les entreprises nationales voire internationales. »
[13] Voir en particulier la Réponse ministérielle (JO Sénat du 15/07/2010 p.1861) à la question écrite n°13464 du sénateur Rémy Pointereau (Cher-UMP) : http://www.senat.fr/questions/base/.... Précisons que cette réponse, « générique » aux nombreuses questions parlementaires sur le sujet est disponible sur un site dédié du SAE : http://www.marche-public.fr/SAE-Uga...
[14] Un député avait soulevé dès 2004 cette idée de bon sens, Pierre-Christophe Baguet. Voir son intervention à la Séance du 9 décembre 2004, J.O, p.10880 : « Concernant l'UGAP (…) notre groupe estime qu'il faut ouvrir ce dossier avec plus d'ambition [à l'époque l'UDF ndl]. Nous proposons une réforme de fond de la gestion des marchés publics par l'UGAP. Il s'agirait d'abord de transformer cet établissement public en société anonyme tout en garantissant à l'Etat la propriété de la majorité du capital – 67% – et aux personnels le maintien de leur statut. En effet, ce n'est pas le rôle d'un établissement public d'être un acteur de centrale d'achat dans une économie de marché. Ensuite nous souhaitons encourager la concurrence saine et loyale entre entreprises du secteur privé et mettre un terme à la situation de quasi-monopole de l'UGAP, issue d'une interprétation abusive de l'article 32 du nouveau code des marchés publics qui exonère de l'appel d'offres préalable pour fournir l'ensemble des acheteurs publics…
[15] Actuellement ces derniers sont simplement remis (sous la forme d'un rapport d'activité) au ministère de tutelle, actuellement le Secrétaire d'Etat en charge des PME/PMI.