Entretien | L'efficacité des règles budgétaires
Suite à la parution de son ouvrage (Les règles budgétaires, un frein a l'endettement) éditions de Boeck, Bernard Schwengler revient pour la Fondation iFRAP sur les règles budgétaires et les exemples d'application à l'étranger, également le sujet de notre dernière étude mensuelle.
J'ai par conséquent souhaité rendre accessible à un public francophone les principaux éléments de la réflexion menée sur les règles budgétaires des années 1980 à nos jours, d'où cet ouvrage.
Quelle serait, selon vous, la priorité pour la France en matière de règle budgétaire ?
BS : La règle budgétaire française ne constitue pas une règle juridiquement contraignante. L'équilibre des comptes publics figure certes dans la Constitution (article 34 dernier alinéa) depuis 2008 mais seulement en tant que principe. La réalisation de l'équilibre – en fait l'équilibre structurel - dépend d'une loi de programmation des finances publiques, qui définit la trajectoire menant à l'équilibre. Cette loi de programmation des finances publiques constitue un engagement politique de la part des décideurs politiques mais elle ne s'impose pas au législateur au moment du vote des lois de finance annuelles. L'avantage de ce dispositif est la souplesse. En cas de choc économique imprévu il rend possible les déviations par rapport à la trajectoire budgétaire prévue. Il n'est par conséquent pas nécessaire de prendre des mesures d'ajustement budgétaire qui pourraient avoir des effets procycliques et aggraveraient la récession. Cette souplesse est compatible avec la soutenabilité des finances publiques à deux conditions. Il faut qu'en cas de croissance du PIB plus forte que prévue l'excédent de recettes par rapport aux prévisions soit intégralement affecté à la réduction de la dette. Il faut par ailleurs que les écarts positifs entre réalisations et prévisions soient au moins aussi fréquents que les écarts négatifs, ce qui suppose le recours à des prévisions macroéconomiques prudentes pour l'élaboration des lois de programmation des finances publiques.
Pour l'instant en France, la pratique budgétaire ne correspond pas à ces deux conditions. Les excès de recettes par rapport aux prévisions, peu fréquents par ailleurs, sont considérés comme des « cagnottes » et tendent à être utilisés pour augmenter les dépenses ou baisser les impôts. Et les lois de programmation des finances publiques sont basées sur des prévisions macroéconomiques optimistes. Il en va d'ailleurs de même en ce qui concerne les programmes de stabilité envoyés chaque année à la Commission européenne depuis 1999. Avec des prévisions optimistes, le retour à l'équilibre budgétaire est programmé à moyen terme…avant d'être reporté, du fait d'une croissance moins forte que prévue. L'institution en 2013 du Haut conseil des finances publiques, chargé de se prononcer sur la qualité des prévisions macroéconomiques, constitue certes un progrès, dans la mesure où le recours à des prévisions optimistes est plus visible qu'avant. Mais ce n'est pas suffisant.
En fait, l'action publique, qui suppose l'affichage d'une dose de volontarisme et d'optimisme, est peu compatible avec un état d'esprit favorable à l'établissement de prévisions prudentes. Pour les décideurs politiques, effectuer des prévisions prudentes consisterait à prendre le risque de se faire accuser de résignation ou d'immobilisme. Il est par conséquent nécessaire d'effectuer une séparation des tâches et de confier l'établissement des prévisions macroéconomiques au Haut Conseil des finances publiques. De même, il faudrait définir clairement et de façon rigoureuse ce que signifie « prévisions macroéconomiques prudentes ». Il s'agit de prévisions inférieures au consensus (OCDE, FMI, Commission européenne etc…), les prévisions réalistes étant des prévisions dans la moyenne du consensus, des prévisions optimistes étant des prévisions supérieures au consensus. Tout ceci devrait figurer dans la loi –ou dans une loi organique – afin de contrebalancer la faiblesse des incitations politiques au respect des règles en France.
Il faudrait également introduire une disposition prévoyant qu'en cas de surplus de recettes par rapport aux prévisions, ceux-ci soient utilisés pour réduire la dette et non pour augmenter les dépenses ou baisser les impôts. Cette disposition, appelée la règle de Zalm, du nom du ministre des finances aux Pays-Bas de 1994 à 2002, a fortement contribué à la diminution de la dette publique dans ce pays pendant cette période. Une disposition qui aurait le même effet consisterait à instituer un fonds de réserve, alimenté par les écarts positifs de recettes entre les réalisations et les prévisions et qui permettrait de financer les écarts négatifs entre réalisations et prévisions.
Il serait par ailleurs intéressant d'introduire un plafond de la dépense à horizon pluriannuel. Les règles sous forme de plafond de la dépense présentent certaines qualités que n'ont pas les règles ayant pour cible le solde ou la dette. La dépense est peu sensible à la conjoncture, à l'inverse des recettes et par conséquent du solde et de la dette. Par conséquent, là où ils existent, les plafonds de la dépense n'ont pas besoin d'être ajustés de l'influence du cycle économique. Ceci évite bien des complications. Un plafond de la dépense est par conséquent plus simple – plus compréhensible et plus visible – qu'une règle d'équilibre structurel. Ceci contribue à son efficacité. Par ailleurs, le plafond de la dépense, fixé de façon globale dans un premier temps, peut être décliné en plafonds par secteur d'activité ou par ministère. De cette façon chaque ministre peut être rendu responsable du respect du plafond dans son domaine. S'il souhaite augmenter une dépense, il doit lui-même en réduire une autre dans son domaine d'activité. Là où ils existent, les plafonds de la dépense sont des plafonds pluriannuels (plafond triennal glissant en Suède, plafonds de la dépense fixés pour la durée de la législature aux Pays-Bas, etc.). Le but des règles étant la soutenabilité des finances publiques, les indicateurs budgétaires les plus importants sont certes la dette et le solde. Mais des règles sur la dépense peuvent renforcer les règles portant sur la dette ou le solde.
L'efficacité des règles budgétaires peut reposer soit sur des mécanismes contraignants d'un point de vue juridique soit sur l'existence d'incitations politiques au respect des règles. Le premier cas de figure correspond à une règle ancrée dans une norme juridique de niveau élevé (la Constitution) et ayant une procédure de mise en œuvre pilotée par un organisme indépendant du pouvoir politique (tribunal, Cour constitutionnelle, etc.). La fonction de ce type de règle est de contraindre les décideurs politiques, enclins au « biais pour le déficit », à la discipline budgétaire. On peut appeler ce type de règles des règles dures ou des règles-contrainte. Les règles allemandes, suisses ou espagnoles correspondent à ce type de règles.
Dans certains pays cependant, les règles budgétaires permettent la discipline budgétaire alors même qu'elles ne sont pas juridiquement contraignantes. Leur efficacité est liée à l'existence d'un contexte politique et institutionnel favorable au respect des règles. Le non-respect des règles se traduit par un coût politique pour les décideurs politiques. Les éléments de ce contexte peuvent être les suivants :
- Le souvenir de la crise du début des années 1990 (en Suède), qui a également été une crise des finances publiques. Le souvenir de cette crise a pour effet que l'opinion publique suédoise est sensible aux questions relatives à la discipline budgétaire et au respect des règles budgétaires.
- Le consensus autour des règles budgétaires. Ce point est lié au point précédent mais aussi au fait que les règles budgétaires ont été négociées au moment de leur institution entre les partis de gouvernement et les partis d'opposition. En Suède par exemple, elles ont été l'objet d'une négociation entre le gouvernement social-démocrate et les partis d'opposition de centre-droit (en Suède)
- La forme de gouvernement (aux Pays-Bas ou en Belgique par exemple). Dans de nombreux pays existent des gouvernements de coalition. Les partis politiques, qui participent à ces gouvernements, ont signé un accord de coalition, suite à des négociations. Cet accord de coalition contient des mesures de politique économique et des budgets pluriannuels, pour la durée de la législature, avec des cibles numériques. Ne pas respecter les cibles figurant dans l'accord de coalition, qui ont été négociées, peut constituer un danger pour la survie du gouvernement, ou du moins nécessite une nouvelle négociation. Le gouvernement – ainsi que la majorité parlementaire – ont par conséquent intérêt au respect des règles. Et utiliser des prévisions macroéconomiques prudentes (en général fournies par un comité budgétaire indépendant) au moment de la détermination des cibles budgétaires, est rationnel. Il est en effet plus facile de respecter une trajectoire budgétaire établie à partir de prévisions prudentes qu'à partir de prévisions optimistes.
- Les incitations politiques au respect des règles s'appuient également sur l'intervention de comités budgétaires, dont les missions varient selon les pays, mais qui disposent d'une forte légitimité auprès des opinions publiques de ces pays. Ces comités budgétaires sont considérées comme des comités d'experts en matière budgétaire et il est difficile pour un gouvernement de ne pas tenir compte des recommandations ou des analyses effectuées par ces comités budgétaires.
Mais ce contexte politique et institutionnel favorable au respect des règles est un contexte spécifique, qui n'existe pas dans tous les pays. En France, il n'existe pas de consensus en faveur de la discipline budgétaire et la forme de gouvernement est très différente de celle des pays dirigés par des gouvernements de coalition. On pourrait penser que la solution pour la France aurait été d'adopter une règle contraignante d'un point de vue juridique avec un ancrage constitutionnel. Cela aurait signifié modifier la Constitution. Mais modifier la Constitution suppose l'obtention d'une majorité de 60% au Congrès. Adopter une règle constitutionnelle suppose en fait un consensus politique autour de l'idée de règle, qui justement fait défaut en France. La tentative de modification de la Constitution de 2011 autour du projet d'introduction d'une règle prévoyant certains éléments contraignants s'est heurtée à l'absence de consensus. Des échecs de ce type se sont également produits dans d'autres pays (USA pendant les années 1990, Autriche en 2011). En Allemagne et en Suisse les règles constitutionnelles ont pu être adoptées suite à un consensus politique qui dépassait les clivages habituels. Ce consensus politique peut être rattaché à une culture de la stabilité qui existe dans chacun de ces deux pays et qui pour l'Allemagne est liée au souvenir de l'hyperinflation des années 1920. En Espagne la réforme constitutionnelle de 2011, votée par les parlementaires PPE et PSOE, a eu lieu dans une situation de crise économique et financière aiguë.
Les éléments de contexte politique qui rendent possible l'adoption d'une règle constitutionnelle sont en partie les mêmes que ceux qui rendent efficaces les règles dont la mise en œuvre repose sur des incitations politiques.
Bernard Schwengler