Actualité

Échec de la mission Parlementaire sur la compétitivité des entreprises

Le cahier de doléances oublié des entreprises

En janvier 2011 était créée par l'Assemblée Nationale la « Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale ». Doté de 32 membres, avec deux corapporteurs issus de bords politiques différents, cette mission auditionna de février à juin pas moins de 62 personnes, parmi lesquelles une grande majorité de ce que la France compte comme professeurs d'économie émérites, penseurs brillants et responsables d'organismes administratifs prestigieux.

Le 9 novembre dernier, le Président Accoyer clôturait les travaux par cette déclaration dépitée : « Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour prendre malheureusement acte de l'impossibilité qu'ont les corapporteurs de la mission sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale, MM. Jérôme Cahuzac et Pierre Méhaignerie, de parvenir à un rapport commun. Les nombreux contacts entre eux n'ont en effet pas pu permettre d'aplanir les difficultés résiduelles… Je le regrette évidemment beaucoup. J'avais en effet l'espoir que les enjeux électoraux ne viendraient pas polluer l'objectif fixé par la Conférence des Présidents…, parvenir à des constats objectifs sur la situation de la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale. Je me doutais qu'il n'était pas envisageable d'aller au-delà, c'est-à-dire de formuler en la matière des préconisations communes aux deux rapporteurs, mais j'osais espérer que les arrière-pensées électorales ne prendraient pas le pas sur l'intérêt général et l'évaluation sereine des faits. »

Que s'est-il passé ? Quelque chose qui est symptomatique d'un certain mal politico-administratif français, à savoir d'un côté l'aversion pour l'analyse pragmatique et microéconomique et la réflexion « bottom up », et de l'autre le goût immodéré pour la pensée abstraite, la généralisation au niveau macroéconomique effectivement « polluée » par l'idéologie.

Sur les 62 personnes auditionnées, il n'y eut que 7 entrepreneurs. Et pourtant sur un sujet concernant la compétitivité des entreprises, n'aurait-il pas été normal de leur donner majoritairement la parole, en essayant de couvrir tous les cas de figure, avec des représentants des différents secteurs de l'industrie et des services, suivant leur taille, l'exposition à la concurrence internationale etc. de façon à parvenir à une expression la plus complète possible des difficultés que ces entrepreneurs rencontrent ? La Mission a sur ce point manqué son objectif par une méthode inappropriée.

En témoigne ainsi une phrase du communiqué de presse du président Accoyer : « Dans cette dernière année de législature, des points de vue trop éloignés, notamment sur l'impact des 35 heures sur la compétitivité de notre pays, n'ont pas permis d'aboutir à un constat partagé. » Mais aucun entrepreneur n'a expressément mentionné les 35 heures dans ses remarques ! On n'a pas écouté ces entrepreneurs, ou on n'a pas tenu compte de leurs messages, pour se précipiter sur une dispute politico-idéologique stérile nous replaçant une décennie en arrière. Ce n'est pas que les entrepreneurs ne se plaignent pas actuellement des conséquences des 35 heures, mais le train est déjà passé, et ils se préoccupent de ce qu'il faut faire maintenant pour remédier à leurs difficultés.

Et pourtant, même s'ils n'étaient que 7, ces entrepreneurs ont délivré des messages clairs et nombreux, mais ces messages ont été apparemment oubliés puisqu'il n'en est nullement question dans les résumés qu'ont tenté de faire les parlementaires présents à la réunion de clôture du 9 novembre.

En substance, voici quelques-unes des doléances championnes de l'audimat. Globalement, les entrepreneurs se plaignent bien plus des interventions inopportunes de l'État que de son inaction. L'un d'eux déclare : « Si la suppression de la taxe professionnelle a engendré des gains, ceux-ci ont été compensés par beaucoup de « tracasseries » administratives : en 2007, une taxe sur l'horlogerie et les arts de la table ; en 2009, une taxe sur le linge, rétroactive jusqu'en 2007, et la modification du « forfait social » applicable aux cadres ; en 2010, des cotisations nouvelles par rapport aux conventions collectives ; en 2011, une baisse des réductions dites « Fillon » en raison de l'annualisation des calculs et la majoration de 25% de la rémunération des heures supplémentaires pour les temps partiels. » Et il termine ainsi sans ambages : « si vous voulez vraiment faire quelque chose pour nous, évitez-nous les « tracasseries » administratives ! » Il y a unanimité pour se plaindre d'une réglementation tatillonne, d'une complexité illisible et d'une instabilité redoutable, source de lenteurs considérables et d'inefficacité. Il faut souvent plus d'une année pour obtenir une autorisation administrative. Cette critique se retrouve dans les relations du travail : droit du travail illisible et tracassier, décisions interminables à obtenir, jugements kafkaïens. Les investisseurs étrangers ne sont pas en reste. Pierre Méhaignerie, corapporteur de la Mission, rappelait au cours d'une audition deux remarques de dirigeants, la première prononcée par le président d'American Express s'adressant à des chefs d'entreprise américains : « Surtout n'allez pas en France, tout y est trop compliqué », et la seconde due au président de Nestlé : « Je mets tellement de temps en France pour fermer une usine qui ne correspond plus aux besoins des consommateurs que je n'en ai plus pour en créer de nouvelles ». Où trouve-t-on dans le monde politique, et les programmes des partis, ces thèmes abordés et discutés ? Nulle part.

La Mission a bien identifié quant à elle la profitabilité insuffisante des entreprises et le montant trop fort des cotisations patronales, mais les représentants de la gauche ont cru devoir souligner qu'en fin de compte la compétitivité « hors coût » était un facteur plus important que la « compétitivité-coût », ce qui ne ressort nullement de l'audition des entrepreneurs. Focalisé sur les 35 heures, le débat ne s'est pas porté notamment sur les taxes diverses à la production qui sont une plaie de la France, à côté d'une imposition sur le bénéfice des sociétés déjà forte. Et en fin de compte on se rend compte que les personnalités du monde politico-administratif font grand cas de l' « État-stratège », alors que les entrepreneurs n'ont pas grand goût pour les interventions de ce dernier. Voilà qui mériterait pourtant d'intéressants débats !

L'augmentation des réglementations et taxes et celle du nombre des fonctionnaires nécessaires pour gérer toute cette complexité se nourrissent mutuellement et rendent peu crédible la cure d'amaigrissement que l'on veut imposer à l'administration. Le résultat est triplement désastreux : pour la compétitivité des entreprises françaises qui s'en vont ou ne se développent pas, pour l'attractivité du site France à l'égard des étrangers qui s'en vont aussi ou ne viennent pas quoi qu'on en dise, pour les dépenses publiques. Quand donc écoutera-t-on les entrepreneurs français au lieu de disserter gravement et sans aucun résultat puisque d'année en année on ne fait qu'entraver un peu plus leur activité ?