Déficit, dépenses, dette, impôts, les graves risques de la censure
Pour la directrice de la Fondation IFRAP Agnès Verdier-Molinié, trois milliards d'impôt sur le revenu en plus risquent de s'abattre en 2025 sur les 10% qui déclarent plus de 4 000 euros par mois.
Cette tribune a été publiée dans les pages du journal Valeurs actuelles le vendredi 6 décembre 2024 |
Soi-disant, la censure du gouvernement et de ses textes financiers n'aurait pas d'impact sur le sujet budgétaire ? On rêve. On entend les artisans de la censure se défausser de leur responsabilité en expliquant que la loi spéciale résoudra tous les problèmes et qu'ils pourront l'amender si besoin... C'est beaucoup plus compliqué que cela et beaucoup plus risqué aussi car, plus que jamais, la signature de la France est sous surveillance. L'agence Moody's a alerté dès le lendemain de la censure sur le fait que «cet événement est négatif pour le crédit».
Il va peut-être falloir sortir du déni. Quel dommage que nous n'ayons pas en France le système de censure constructive comme en Allemagne, c'est-à-dire une obligation de présenter un projet alternatif, crédible et chiffré au texte censuré, porté par une majorité en capacité de proposer un Premier ministre. Cela aurait été intéressant de voir comment les différents partis qui ont voté la censure auraient proposé de financer la Sécu et l'État. L'impression que cela donne, c'est plutôt que nos représentants de la Nation se sont fait plaisir, et ce en partie sur le dos de nos finances publiques et donc sur le nôtre.
Le déficit public va vraisemblablement s'aggraver suite à la censure
Tout d'abord sur le déficit public. Il va vraisemblablement s'aggraver suite à la censure . Avec le PLF, on était partis sur un déficit 2025 à 5%. Avec les diverses concessions, le déficit atterrissait plutôt entre 5,3% et 5,5% du PIB. Mais là, suite à la motion de censure, il existe un risque de déficit public beaucoup plus important : 5,8%, voire plus de 6%... Notamment parce que toutes les mesures nouvelles en impôts, de l'ordre de 25 milliards, vont sauter en cas de vote d'une loi spéciale pour prélever l'impôt. Dans cette cacophonie, c'est plutôt une bonne nouvelle pour les entreprises et les entrepreneurs qui étaient malheureusement les premiers visés par le choc fiscal.
Sur les dépenses, elles vont vraisemblablement déraper. En effet, il faut se souvenir que la loi initialement votée en 2024 prévoyait plus de dépenses que ce que l'on devrait exécuter au moins au niveau de l'État. Il y a eu des gels de crédits pour plusieurs milliards. Le risque ? Qu'au lieu de dépenser 485 milliards en 2025, l'État dépense 7 milliards de plus. Adieu à une partie des économies sur l'État. Ce qui n'empêche pas les fonctionnaires de faire grève pour réclamer, et n'ayons pas peur du ridicule, dès le lendemain de la motion de censure, « des moyens en plus »... on ne sait jamais.
Les collectivités ne seront pas gagnantes. Certes, les collectivités, qui étaient si remontées contre les 5 milliards d'euros d'économies du texte de Michel Barnier, ne verront pas leurs recettes amputées. Les transferts de l'État vers les collectivités locales devraient rester autour de 150 milliards comme prévu . Elles bénéficieraient du fait que les bases cadastrales seraient revues de 4% comme en 2024 au lieu de 2% comme prévu par la loi de finances 2025 (soit environ 1 milliard de recettes en plus). Ce sont encore les propriétaires qui vont trinquer avec la taxe foncière en hausse, au-delà de l'inflation et la THRS aussi...
Pour l'endettement de la France, les nuages aussi s'accumulent
Les dépenses sociales vont déraper de manière incontrôlée. Les dépenses de Sécurité sociale sont les moins pilotées, car les plafonds votés au Parlement sont plus indicatifs qu'autre chose... Les mesures de freinage prévues dans le PLFSS disparaissant (absentéisme, transports sanitaires, baisse du remboursement des consultations, sous-indexation des retraites...), la dépense sociale va s'emballer. De surcroît, il manquera des recettes nouvelles. Nos comptes sociaux risquent de virer au rouge avec un déficit d'au moins 25 milliards d'euros contre 18 milliards prévu en PLFSS 2025.
Pour l' endettement de la France , les nuages aussi s'accumulent. Là encore, soi-disant, il n'existe pas de « shutdown » à la française mais, normalement la loi spéciale n'autorise pas à augmenter le plafond d'endettement de l'État pour 2025 par rapport à 2024. Car le tableau de financement repris dans la loi spéciale doit être le même que l'année précédente. Et ça risque de piquer. Là où il nous fallait 285 milliards d'emprunts pour l'État en 2024, il va nous falloir 300 pour 2025. Une impasse de 15 milliards. Est-ce que le Conseil constitutionnel autoriserait une augmentation de ce plafond ? Personne ne le sait vraiment.
Idem pour le plafond d'endettement autorisé pour la Sécurité sociale. Là l'écart est de 20 milliards pour l'Acoss. Est-ce que le plafond pourra être relevé avant le début de l'année prochaine ? Ce n'est pas sûr. Au total, en comptant aussi le besoin d'emprunt supplémentaire pour les pensions des agents des collectivités et des hôpitaux publics, il y a un risque d'impasse de 37 milliards qu'on ne pourrait pas emprunter à court terme. Si cela venait à se concrétiser car impossibilité de changer les plafonds avant la fin de l'année et pas d'accord sur les textes financiers dans les prochains mois, nous pourrions nous retrouver en novembre 2025 à ne plus pouvoir financer l'État et la Sécu.
La loi spéciale revient à geler le barème de l'IR, soit une augmentation de 3,7 milliards d'euros
La posture qui consiste à affirmer que cela ne change rien d'avoir fait tomber le gouvernement demande quand même de régler ces trois sujets : hausse du déficit, des dépenses et des plafonds d'endettement insuffisants par rapport aux besoins de financements publics. Pas une paille.
Enfin, reste le sujet crucial car éminemment politique de l'impôt sur le revenu. Le RN a participé à faire tomber le gouvernement pour éviter que les Français voient leurs impôts augmenter et leur pouvoir d'achat baisser. Mais la loi spéciale revient à geler le barème de l'IR et donc à ne pas l'indexer de l'inflation, soit une augmentation de l'IR des ménages de 3,7 milliards d'euros (plus que le montant des économies prévues sur les retraites...). 400 000 ménages rentreraient dans l'impôt et 18 millions de ménages verraient leurs impôts augmenter. Pour pallier cela, il suffirait de faire un amendement à la loi spéciale sur l'IR comme en 1979. Sauf que cet amendement ne pourra pas proposer de baisser la recette en vertu de l'article 40 de la Constitution, comme en 1979. Donc, comme en 1979, la proposition du RN qui se garde bien de la dire est de ne pas faire entrer de nouveaux ménages dans l'impôt, de ne pas augmenter les impôts des revenus des moins aisés et de faire peser toute la charge sur les soi-disant plus aisés qui paient déjà... 75% de la note de l'IR. C'est peu ou prou ce qui s'est passé en 1979.
Bilan des courses : 3 milliards d'impôt sur le revenu en plus risquent de s'abattre en 2025 sur les 10% qui déclarent plus de 4 000 euros par mois et qui paient déjà 75% de la recette d'IR. Les ménages propriétaires paieront aussi en plus par rapport à ce qui était prévu dans la loi de Finances, environ 1 milliard, avant même les hausses de taux votés par les élus locaux au cas par cas. On a bien compris qui risque de payer à la note de la censure. Et là ce ne seront pas que les hauts revenus qui seraient les plus touchés, mais aussi les classes moyennes.