CETA, TTIP : doit-on avoir peur des accords de libre-échange ?
Le CETA, pour EU-Canada Comprehensive Economic and Trade Agreement a finalement été signé le 30 octobre 2016. Ce traité a attiré et attire encore des critiques virulentes d’une partie de l’opinion des deux côtes de l’Atlantique, en particulier de la part de certaines ONG. A l’autre extrême, la Commission européenne cite cet accord en exemple et souhaite s’en servir comme référence pour la signature d’autres accords de commerce international, dont le principal : le TTIP entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis (E-U), aussi dénommé TAFTA (Transatlantic free trade area) en France. Qu’en est-il ?
Rappelons l’objectif du CETA : développer le commerce, renforcer les relations économiques entre l’UE et le Canada afin de créer des emplois.
Le CETA a largement atteint ses objectifs, en :
- éliminant 99% des tarifs douaniers ;
- harmonisant les barrières non-tarifaires, constituées de règles, normes et pratiques qui font obstacle au commerce transatlantique, restreignent l’accès des marchés publics aux sociétés étrangères et augmentent considérablement le prix des produits[1] ;
- offrant de meilleures protections pour l’investissement étranger ;
- renforçant la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle afin de favoriser l’innovation ;
- protégeant les appellations d’origine de nombreux produits traditionnels, notamment de vins, spiritueux et produits laitiers français.
Cet accord constitue une grande première, grâce à deux percées historiques.
D’abord, il consacre pour la première fois l’acceptation de la notion d’Indication Géographique Protégée (IGP) par un grand exportateur du groupe de Cairns[2], qui s’y était jusque-là opposé dans le cadre de l’OMC. Cet accord est ainsi très favorable à l’UE, en tant que premier exportateur mondial de produits agricoles (notamment de produits agricoles transformés) et en particulier à la filière laitière française dont on connaît les difficultés.
Ensuite, le CETA consacre l’ouverture des marchés publics au niveau fédéral comme à celui des provinces. C’est un point très important, car l'essentiel des marchés publics se trouve au niveau inférieur au niveau fédéral, au Canada comme aux E-U (60% dans le cas des E-U). C’est une percée commerciale majeure que même les E-U n’ont pas réussi à obtenir du Canada dans le cadre de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain), et un excellent précédent vis-à-vis du TTIP, où les intérêts européens sont de même nature et beaucoup plus importants en volume.
C’est aussi l’accord de libre-échange le plus ambitieux du monde, plus ambitieux même que l’accord Trans-pacifique (TPP) signé récemment par les E-U et 11 pays de la zone Asie-Pacifique, et plus ambitieux que l’ALENA avec le même Canada et le Mexique.
Du côté canadien, il correspond au désir de ce pays de diversifier son commerce extérieur par rapport à son grand voisin, le commerce international du Canada étant actuellement tourné à 75% vers les E-U et à seulement 10% vers l’UE.
Les enjeux de ces accords commerciaux
1/ La croissance intrinsèque de l’Europe est faible. Les principaux moteurs de croissance se trouvent dans le commerce avec le reste du monde.
Dans l’UE, 31 millions d’emplois dépendent du commerce international. Ce chiffre a augmenté de 50% en 15 ans. Compte tenu du différentiel de croissance des pays émergents, 90% de la croissance de la demande, au niveau mondial, viendront, dans les années à venir, de l'extérieur des frontières européennes.
Or, depuis le blocage de l’OMC lors du round de Doha, la seule facon de développer le commerce mondial est la négociation bilatérale. D’où l’importance des grands accords commerciaux du type CETA et TTIP.
2/ La montée des pays émergents pose un défi à l’UE, car la régulation internationale a encore des trous dans de nombreux domaines, permettant la concurrence déloyale de la part de nouveaux acteurs. Il existe peu de règles relatives au contexte social et environnemental du commerce, à la prise en compte du capitalisme d’Etat (Chine…), à l’accès aux ressources naturelles (terres rares en Chine, énergie en Russie…).
L’UE négocie actuellement des accords de libre-échange avec de nombreux pays : Japon, Inde, Mercosur, E-U…. Ces accords contribueront à définir les normes qui règlementeront le commerce mondial.
Du succès de ces grandes négociations dépendent l’organisation du commerce dans le monde et la place de l’UE dans la mondialisation.
3/ L’UE est :
- La 1ere zone d’investissement étranger dans le monde ;
- 1er exportateur mondial ;
- 1er partenaire commercial de 80 pays dans le monde, c'est-à-dire la moitié des pays membres de l’OMC ;
- 2e partenaire de nombreux autres pays (dont Canada, Argentine) qui souhaitent diversifier leurs flux commerciaux par rapport à leur grand voisin.
Le poids économique et commercial de l’UE dans le monde lui permet d’obtenir des engagements de la part de partenaires commerciaux qu’aucun de ses membres ne pourrait obtenir seul (c’est l’un des principaux problèmes du Royaume-Uni en conséquence du Brexit).
La stratégie de négociation bilatérale de l'UE constitue d'ailleurs un levier puissant vis-à-vis de ses autres partenaires : le Brésil et la Chine suivent de très près les négociations du TTIP, et la Chine frappe à la porte de l’UE.
Un exemple éclairant : l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud
L’UE a conclu un accord très ambitieux avec ce pays le 1er juillet 2011. Cet accord va beaucoup plus loin que l’accord négocié précédemment entre les Etats-Unis et la Corée.
Résultat, 5 ans plus tard :
- exportations de l’UE en Corée +75% (entre 2010 et 2015) ;
- part de l’UE dans les importations coréennes : passe de 9 à 13% ;
- part des E-U : stable a 10% ;
- part du Japon : passe de 15% à 10% ;
- exportations de voitures de l’UE vers la Corée : +300%
Ni la France ni l’UE n’ont été inondées d’automobiles coréennes contrairement aux prédictions de certains, dont Arnaud Montebourg, un an après la signature de l’accord. Cet accord est l’exemple de ce que la Commission a négocié avec le Canada et de ce qu’elle essaye de négocier avec les E-U à travers le TTIP.
Le cas du TTIP
La négociation du TTIP (Trade and Investment Partnership) entre la Commission européenne et les Etats-Unis a commencé en 2013.
Les négociations sont difficiles sur l’ouverture des marchés publics au niveau des Etats américains et sur la reconnaissance des Indications géographiques protégées (IGP) européens. Le précédent du CETA est ainsi particulièrement utile sur ces deux aspects.
Concernant les droits de douane, peu élevés en moyenne, il existe des pics tarifaires qui représentent un enjeu important pour la France dans le ferroviaire, les pneumatiques, les textiles à forte valeur ajoutée et pour certains produits agricoles taxés à 20 ou 30%.
La question des produits agricoles
Les E-U sont dans une passe difficile par rapport à l’UE dans le secteur agricole. Sa part dans les importations européennes s’est effondrée en 15 ans de 21 à 8%.
Ils ont perdu face au Brésil, à l’Australie, l’Ukraine et au Canada dans les produits de base (céréales, viande). Cette position de relative faiblesse donne un levier à la Commission pour obtenir l’ouverture des E-U a des produits européens plus élaborés (IGP en particulier).
Par ailleurs, malgré les fausses affirmations largement diffusées, il n’est pas question pour la Commission de transiger sur les exigences sanitaires européennes en matière de produits alimentaires (notamment : poulet nettoyé au chlore). Symétriquement, les E-U ne transigent pas sur la présence de germes dans les produits laitiers français. Il n’est pas davantage question pour les deux parties d’abaisser leurs normes respectives en matière de santé, d’environnement, de produits culturels et de services publics.
La question des tribunaux arbitraux
Ces tribunaux sont nécessaires à la sécurisation des investissements étrangers. Il s’agit notamment de rendre impossible la captation de sociétés européennes par des tribunaux américains de droit commun, comme par exemple la captation des droits de Pernod Ricard sur la marque Havana Club par la société Bacardi en 2011.
La France a signé une centaine d’accords internationaux qui incluent l’arbitrage comme moyen de protéger les investissements. Le procès qui en est fait par de nombreuses ONG est alimenté par des mensonges.
Le procès intenté par Phillip Morris contre des Etats qui voulaient imposer le paquet neutre est largement invoqué pour montrer que l’arbitrage permettrait à des multinationales de s’opposer aux politiques publiques.
Cette thèse, comme beaucoup d’autres qui inondent internet et les réseaux sociaux, est fausse. D’abord Phillip Morris a été débouté de ses procès en Australie et en Uruguay ; ensuite, les clauses d’arbitrage du CETA et du projet TTIP excluent formellement la possibilité d’intenter de tels procès et garantissent explicitement le droit des Etats à réguler dans l’intérêt public.
La transparence des négociations
Contrairement à une opinion très répandue en France (moins dans le reste de l’Union), les négociations du CETA et du TTIP ont été les plus transparentes de tous les grands accords internationaux. L’accusation d’opacité est infondée et méconnait non seulement les exigences de confidentialité inhérentes à la négociation de grands contrats internationaux, mais aussi les évolutions qui sont intervenues depuis le lancement des négociations.
Conclusion
Avec le CETA et l’accord conclu avec la Corée en 2011, l’UE a pris une place enviable (et enviée) sur la scène du commerce international et a démontré sa capacité à peser sur ses règles, pour son plus grand profit.
Le nouveau président américain s’est exprimé contre le TTIP. Il est possible que, confronté aux réalités, son avis évolue. En effet, l’adversaire commercial désigné du nouveau président est la Chine. Or, sa position de négociation vis-à-vis de ce pays sortirait renforcée par l’affirmation de règles s’appliquant à 40% des échanges commerciaux mondiaux (UE et Etats-Unis réunis). Le cas échéant, le TTIP constituera pour l’UE une occasion exceptionnelle d’influencer les normes du commerce mondial.
[1] En Europe même, par exemple dans le domaine ferroviaire, les différences de règlementations (types de courants électriques, systèmes de signalisations, règles de sécurité, etc.) handicapent considérablement ce système de transport par rapport aux camions très standardisés.
[2] Cairns : organisation internationale fondée à Cairns (Australie) réunissant la plupart des grands exportateurs de produits agricoles