71 700 guichets publics : +14% depuis 2015 !
Le 27 juin, le sénateur du Cantal Bernard Delcros et la députée de Seine Maritime Marie-Agnès Poussier-Winsback ont remis à Stanislas Guérini ministre de la Transformation et de la Fonction publique un rapport relatif au dispositif France Services, le réseau de points de contact permettant de renforcer l’accès aux services publics pour les populations qui en sont les plus éloignées (personnes âgées, milieu rural, ou urbain défavorisé (QPV etc.)). Le 6 juillet le ministre annonçait lors d’un déplacement dans le Cantal les mesures retenues pour renforcer et pérenniser ce réseau. Le seul problème c’est qu’à mesure que celui-ci se développe, il ne réduit pas par ailleurs l’ensemble des guichets existants. Et leur nombre littéralement explose : en 2015 les guichets de l’État et des collectivités représentaient déjà d’après l’annuaire de l’administration (base de données locales) près de 62.865 points de contact. En 2022 ces mêmes guichets sont au nombre de 71.762, soit +14,2% en 8 ans. Si le développement du réseau France Services représente un maillon essentiel de la chaîne d’accès aux services publics de 1er rang, il importe de gager ce déploiement sur des économies d’échelles et d’efficiences dans les services partenaires. Ce qui n’est pas fait, et ce que ne prévoit pas le rapport.
Un nombre de points de contact qui explose : +14,2% en 8 ans
L’exploitation des données contenues dans l’annuaire service-public.fr, annuaire de l’administration et sa base de données locales, permet de calculer le nombre de guichets administratifs présents sur le sol national (sans pour autant viser à l’exhaustivité notamment s’agissant des points relatifs à la sécurité sociale et au système hospitalier). Pour autant sur ce périmètre le nombre de guichets explose : +14,2% en 8 ans, passant de 62.865 points de contact en 2015 à près de 71.762 points, dont parmi les services qualifiés de « déconcentrés » (base RAF/systèmes institutionnels local), un quasi-doublement, passant de 1.013 guichets à 2.047 guichets (hors doublons) et pour les services localisés, une augmentation de 11%, dans laquelle apparaît notamment à sa juste place le déploiement des guichets France Services.
Or cette multiplication tous azimuts des guichets, cache mal l’absence d’un véritable travail de rationalisation. On comptabilise pêle-mêle les guichets des administrations de premier niveau, les guichets de second niveau (mesures complexes), soit une multiplication des points d’entrée physiques dans le tissu administratif, contrairement à la simplification de l’accès internet des guichets en cours, via France Connect (espace fiscal, espace CAF, Améli etc.).
France Services, des points de contact spécifiques en forte croissance
D’après les données fournies par l’ANCT (Agence nationale de la Cohésion des territoires), entre janvier 2020 et janvier 2023, le réseau des maisons France Services a dépassé ses objectifs de déploiement initiaux via labellisations :
Un réseau de 2.561 France Services dès janvier 2023, soit un maillage plus étroite encore que l’objectif initial visé qui était celui d’une structure France Services par canton (2.054 cantons[1]) et un objectif de 2.500 France Service d’ici la fin 2022 comme annoncé lors du lancement du processus de labellisation en 2019. Une dynamique qui serait encore accrue au cours de l’année 2023 dans la mesure où « une nouvelle vague de labellisation mi-2023 devrait permettre d’atteindre 2.600 France Services. ». Une projection du comité de pilotage du 21 octobre 2022 fixe l’atteinte fin 2023 un maillage territorial de 2.750 France services. A la clé, un taux de 99% des Français à moins de 30 minutes d’un espace France Services (et même 95% à moins de 20 minutes[2]).
Ce déploiement a par ailleurs été réalisé avec un taux de satisfaction significatif montrant par là même qu’il répondait à un vrai besoin : « ainsi, 95,3% des usagers estiment que la réponse qui leur a été donnée est adaptée à leur demande » étant par ailleurs « 97,4% à recommander France Services. » Par ailleurs la mission a relevé que les espaces France Services ont réalisé près de 10 millions d’actes depuis 2020 dont 5,5 millions pour la seule année 2022. Soit une croissance de 2 millions d’actes chaque année (1,3 million en 2020, 3,5 millions en 2021, 5,5 millions en 2022). Le cap des 500.000 accompagnements mensuels a été franchi en 2022.
Des maisons de service au public (MASP) aux espaces France Services « le déploiement du programme France Service s’est appuyé sur les initiatives préexistantes, notamment les Maisons de services au public (MASP) ainsi que diverses expériences locales de mutualisation ou de mise en réseau plus anciennes. » Les MASP en juin 2018 représentant 1.277[3] unités, dont 44 hébergés au sein du réseau d’opérateurs PIMMS, qui restera ensuite dissocié du réseau France Services. En décembre 2021, 300 MASP n’étaient pas encore labellisées[4] tandis que le réseau atteignait les 2000 France Services. Ces espaces s’organisent autour de services dispensés par 9 partenaires nationaux historiques « qui se sont engagés à garantir un accompagnement des usagers dans les démarches administratives relevant de leur champ de compétence : La Poste, Pôle Emploi, la Caisse national des allocations familiales, la Caisse nationale d’assurance maladie, la Caisse nationale d’assurance Vieillesse, la Mutualité sociale agricole, le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, le ministère de la justice, la Direction générale des finances publiques. » La répartition des structures d’accueil s’effectuant d’abord à l’initiative des collectivités territoriales (67%), suivie par La Poste (16%) des associations parapubliques (13%), la MSA (3%) et l’État (1%). Précisons en outre que les points de contact France Services sont également constitués par des bus (145) itinérants et 153 structures multisites. La gouvernance du réseau est quadripartite : l’ANCT s’occupe du pilotage du programme national, en lien avec la Banque des territoires (Caisse des dépôts), le CNFPT s’occupant de la formation des agents des espaces France Services, et la DGCL du financement. |
Un coût budgétaire grandissant en ligne avec l’expansion du réseau : +81,2% en 4 ans
Le déploiement du réseau France Services s’est effectué avec une augmentation grandissante du coût budgétaire du dispositif. Celui-ci est passé de 45,2 millions d’euros en 2020 à 61,56 millions d’euros en 2021, puis à 76,29 millions d’euros en 2022 avec un coût prévisionnel de 82,5 millions en 2023, soit +83% entre 2020 et 2023, alors même que le nombre des entités labellisées était multiplié par 4,6.
La particularité du financement est qu’il est « paritaire », mobilisant l’État via le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT), et de l’autre les opérateurs via le fonds national France Services (FNFS).
Source : ANCT (calculs et corrections Fondation iFRAP juillet 2023). *Var à partir de 2021 pour le ministère de la Justice.
On relèvera que la Poste contribue via un fléchage spécifique du FNFS ainsi que d’un financement spécifique via le Fonds postal de péréquation territoriale. A noter qu’en cours d’expérimentation l’AGIRC/ARRCO s’est retiré du dispositif à compter de 2022[5], tandis que le ministère de la Justice y est entré uniquement à partir de 2021.
Mais des « difficultés » qui interrogent
La mission relève un certain nombre de difficultés réelles derrière les bonnes statistiques d’accessibilité et de satisfaction :
- La formation des agents assurée par le CNFPT est ultra-courte pour répondre aux problématiques complexes de guichet de 1er niveau : 2,5 jours pour le socle commun, 3 jours pour le socle métier.
- Les conseillers numériques sont peu nombreux à travailler en espace France Services, sur les 4.000 présents dans les territoires, 765 seulement exercent dans 544 MFS, soit 19% des conseillers actifs travaillent dans seulement 21,2% des MSF. C’est sans doute beaucoup trop faible pour réduire la fracture numérique.
- Par ailleurs la présence minimale de 2 agents formés polyvalents en permanence pour répondre efficacement à l’accompagnement du public dans ses démarches n’est pas toujours véritablement assurée ;
- Le lien entre les opérateurs et les MSF est très perfectible. En effet si « les neuf partenaires entendus (…) ont tous assuré (…) que ces désignations [d’un correspondant référent] avaient été effectués et que le lien entre France Services et ces référents était opérationnel dans tous les départements, la mission constate que leur implication est très inégale d’un département et d’un partenaire à l’autre. »
- Tous les opérateurs n’ont pas mis en place de ligne téléphonique dédiée (58%[6]), beaucoup privilégient des mails avec des délais de réponse pouvant atteindre 48h voir 72h « ou encore dans un délai pouvant aller jusqu’à 7 jours si la demande est considérée comme non urgente. » Pire, 8% des France Services ne sont pas dotées de moyens de contact spécifiques. Dans ce cadre et alors que les horaires d’ouverture des différents services partenaires ne sont généralement pas synchronisés (les maisons France Services ayant des plages horaires beaucoup plus importantes que les opérateurs), il n’y a toujours pas de systématisation d’agendas partagés interrogeables en temps réel.
- Les rendez-vous par visioconférence à partir des MSF vers les opérateurs partenaires devraient permettre de faciliter l’accès aux points de contact de second niveau pour traiter en ligne les demandes les plus complexes sans déplacement des usagers… or ce n’est toujours pas le cas. À cet égard la mission relève que suivant les MSF la réactivité oscille entre 1,7/5 et 5/5 (pour une moyenne de 3,9/5) et pour la qualité de la réponse entre 1,6 et 5/5 pour une moyenne de 4,1/5 pour la qualité de la réponse.
- L’animation départementale du réseau France Services reste à consolider. En effet, en sus des agents travaillant dans les espaces France Services, un animateur départemental est chargé sous l’autorité du préfet de les accompagner au quotidien, il n’existe que dans 73 départements. Ce poste est aujourd’hui « majoritairement porté par des collectivités territoriales et des associations » (respectivement à 42% et à 40%), les opérateurs ne s’en chargeant que de 11% des cas et l’État dans 7%. Et peu financé (25.000 € via l’ANCT). Par ailleurs la plateforme de suivi de l’activité des France Services développée par la Banque des Territoires (CdC) est jugée trop complexe et « inadaptée aux contraintes des conseillers France Services ».
- L’accès aux France Services doit être optimisé, car de nombreux publics ne connaissent pas assez leur existence. Il faut pour cela demander aux 9 opérateurs partenaires actuels de développer une communication spécifique à son endroit. Les MFS n’étant connues d’après l’ANCT encore par le « bouche à oreilles » à 57,8%. Cela passe par une amélioration de leur identification et de leur visibilité, mais aussi de leur accessibilité ; aux bus itinérants il faudrait sans doute prévoir la possibilité de les saisir depuis son ordinateur en « visio », déployer des offres « dans des zones commerciales à des moments de forte fréquentation » mais également dans des EHPAD et des maisons de retraite et renforcer les liens entre le réseau France Services et les mairies, mais aussi via le réseau des buralistes (23.000 points de contact) et de la Poste (8.000 bureaux et 7.000 agences) sur le territoire, avec des solutions d’itinérance lorsqu’il n’existe pas de point postal.
Augmenter le champ d’intervention des espaces France Services
Au-delà des 9 opérateurs partenaires et du rôle de point de contact de 1er niveau joué par le réseau France Service à leur endroit, d’autres partenariats sont envisageables pour augmenter leur utilité auprès de la population : la mission en identifie 3 :
- Accentuer les partenariats avec les autres réseaux présents sur le territoire : les points-justice, les permanences des délégués du Défenseur des droits etc… mais aussi certains partenariats en cours, notamment avec la Fédération des services à la personne (FEDEM) dont le réseau de 365 points relais, sont déjà partagés à hauteur de 260 d’entre eux au sein de MFS.
- Mais aussi s’agissant des procédures dématérialisées touchant à la transition écologique développer de nouveaux partenariats avec les ministères concernés : Ma Prime Rénov’, primes délivrées au titre des Certificats d’Economie d’Energie (CEE), crédit d’impôt transition énergétique, éco-PTZ, aides de l’ANAH, bonus vélo etc… qui aujourd’hui ne peuvent être demandées qu’en ligne.
- Intégrer au réseau les CROUS, les Bureaux et points d’information jeunesse, réintégrer dans le dispositif l’AGIRC-ARRCO qui en est sorti depuis 2021, certains services de la Banque de France, ainsi que les PIMMS Médiations qui auparavant étaient assurés dans les MASP (maisons de service au public) jusqu’en 2018.
- Equiper les maisons France Services de dispositifs de recueil pour les titres d’identité et de voyage (CNI, Passeport etc.). Aujourd’hui 2.700 mairies sont équipées pour un volume total de 5.500 dispositifs de recueil d’empreintes digitales (DR). La mission « encourage le déploiement de nouveaux DR dans les France Services gérées par des communes qui n’en sont pas elles-mêmes équipées en mairie » ce qui concernerait 183 communes. Le déploiement serait d’ailleurs d’ores-et-déjà en cours dans une centaine d’entre elles. La question se pose d’aller au-delà et d’installer des DR dans des France Services itinérantes avec des conseillers assermentés (puisque seuls des agents communaux avec qualité d’agent de l’État par habilitation des maires, peuvent intervenir sur les DR).
Mais pour quelle cohérence d’ensemble et quelle mutualisation ?
La mission propose d’augmenter l’attractivité de postes de conseillers et de l’animation départementale du réseau en augmentant les rémunérations salariales. Le financement annuel de chaque MFS s’effectue déjà à hauteur de 30.000 euros et vient d’augmenter à 35.000 euros (soit +12,5 millions d’euros des moyens de l’État pour le réseau), et devrait passer ensuite à 40.000 euros pour les fonctions « socle » via un abondement de 5000 euros/MFS via le FNFS en 2024 et atteindre 50.000 euros en 2025. Par ailleurs, en 2024, on augmenterait de 10.000 euros supplémentaires à parité via le FNADT et le FNFS pour les France Services situés en ZRR (zones de revitalisation rurale).
Mais aucune mesure de gage n’est prévue. Le déploiement du réseau MFS s’effectue en sus des réseaux existants, sans mutualisation du front office... dans aucun des opérateurs partenaires, alors même que ces derniers tentent parfois de désengorger leurs accueils en renvoyant aux MFS pour les demandes de premier niveau (les plus simples). La Fondation iFRAP s’interroge sur l’augmentation continue du nombre de points de contact des administrations, soit +14,2% en 8 ans, alors même que l’offre numérique se structure. Il vaudrait mieux repenser à mesure que le réseau France Services croît, le nombre et la variété des points d’accueils physiques des réseaux déjà en place et de les restructurer en conséquence. Et faire que cette rationalisation finance le déploiement du réseau dominant.
Les décisions de l’exécutif Sur base de ce rapport le ministr e a effectué des annonces le 6 juillet pour pérenniser et développer le réseau tout en pointant que les 2.600 structures France Services n’avaient pas été épargnées par les émeutes survenues fin juin, faisant été de 25 maisons France services attaquées dont 15 brûlées… En substance les évolutions seraient les suivantes :
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[1] Etant précisé que la maille cantonale a été significativement dilatée par la réforme de 2013, celle-ci passant de 4.035 cantons en 2013 à 2.054 cantons en 2015, par l’intermédiaire de la loi du 17 mai 2013.
[2] Pour une visualisation SIG des espaces France Services, voir https://anct-carto.github.io/france_services/?lat=46.414033&lng=-7.020483&z=5.550000000000001
[3] https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/fiches-didentite-des-maisons-de-services-au-public/, 27 juin 2018, consulté le 24 juillet 2023.
[4] https://www.lagazettedescommunes.com/779918/que-vont-devenir-les-maisons-de-services-au-public-non-labellisees-france-services/?abo=1
[5] https://www.vie-publique.fr/en-bref/278692-france-services-des-services-publics-au-coeur-des-territoires
[6] Le pourcentage des opérateurs ayant mis en place une telle ligne variant entre 17% et 66%.