5,1 millions : le rapport France Travail met en lumière le vrai nombre de demandeurs d'emplois
Le Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises a remis son rapport de préfiguration à la mise en place de France Travail à Olivier Dussopt. Les 99 propositions du rapport seront-elles suffisantes à remettre sur le chemin de l’emploi les 5,1 millions de personnes qui ne sont pas en emploi ? Car c'est la véritable révélation de ce rapport que de lever le voile sur ce chiffre qui donne une toute autre mesure du chômage... loin des 2,2 millions de demandeurs d'emplois officiellement comptés.
Les mesures les plus emblématiques du rapport sont l’obligation pour toutes les personnes en recherche d’emploi et de réinsertion de s’inscrire à France Travail et la mise en place d’un accompagnement approfondi qui devrait se traduire, en particulier les allocataires du RSA, par 15 à 20 heures par semaine d’engagements d’insertion. A la clé des moyens supplémentaires pour le sevice public de l'emploi avec 2,7 milliards d'euros prévus sur 3 ans qui s'ajoutent aux 6 milliards d'euros (0,25% du PIB) que représentent les différents acteurs du service public de l'emploi.
5,1 millions de personnes éloignées de l'emploi malgré un millefeuille d'intervenants
A l’automne, le ministère du Travail avait chargé Thibault Guilluy d’une mission pour déployer le projet France Travail, annoncé par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle (« Nous transformerons Pôle emploi en France Travail pour mettre en commun les compétences de Pôle emploi, des régions, [des départements] et des missions locales. » Discours d’Aubervilliers du 17 mars 2022).
L’objectif avec ce projet dont le démarrage est prévu pour janvier 2024 est de viser le plein emploi (5% de chômage en 2027), mais aussi de rapprocher les entreprises, qui sont de plus en plus nombreuses à rencontrer des difficultés de recrutement (3 millions d'intentions d'embauche identifiées en 2023 indique le rapport) et les personnes sans emploi.
Le rapport chiffre à 5,1 millions les personnes éloignées de l’emploi, si on comptabilise l’ensemble des personnes de 15 à 64 ans qui ne sont pas en emploi là où les chiffres du chômage concentrent eux 2,2 millions de personnes inscrites à Pôle emploi. Le rapport montre donc que la situation sur le marché de l’emploi est bien plus grave que ne le laisse paraître le taux de chômage. La première conséquence de ce mode de fonctionnement pointé par le rapport est que toutes les personnes qui devraient bénéficier d’un accompagnement ne sont pas identifiées. L'exemple le plus frappant cité par le rapport de la Cour des comptes est sur le RSA : 40% des allocataires du RSA seulement sont inscrits à Pôle emploi et de nombreux jeunes sans emploi, ni en études ni en formation ne sont pas repérés par le service public de l’emploi.
En obligeant toutes ces personnes à devoir désormais s'inscrire à France Travail, le gouvernement risque bien de voir gonfler les chiffres du chômage (quasiment doubler par rapport à une population active de 30 millions de Français). Le fait qu'ils soient obligés de poursuivre des actions d'orientation ou de formation pourrait cependant les mettre hors du champ des chômeurs immédiatement disponibles à la reprise d'un emploi. Mais il n'empêche que ces chiffres jettent une lumière crue sur la réalité de notre marché du travail.
Ce que doit apporter France Travail
- Un portail unique... de façade car sans fusion des acteurs
Dès le début du rapport, le haut-commissaire pointe que la France est l’un des pays européens qui cumule le plus grand nombre d’acteurs intervenant dans ce champ : Etat, régions, départements, bloc communal, mais aussi une multitude d’opérateurs publics et d’acteurs associatifs et privés. Le message est qu’il faut en finir avec le travail en silos des différents acteurs et échelons qui crée de la complexité (données non partagées, essentiellement administratives et non d’insertion, sources d’erreur…) et des coûts de gestion administrative, tandis que des candidats à la réinsertion passent à travers les mailles du filet.D’où la proposition de mettre en place un portail unique France Travail qui ne doit pas seulement être un compte de renseignements administratifs mais un outil d’accompagnement. Ce portail sera le point d’entrée par lequel toute personne en recherche d’emploi et en réinsertion devra s’inscrire.
Le rapport n’oublie pas ceux qui ne sont pas à l’aise avec le numérique et propose de coupler cet accompagnement en ligne par un réseau physique en s’appuyant sur les 931 agences Pôle emploi, les 450 missions locales, 98 agences Cap Emploi et tous les partenaires (maisons de l’emploi Apec, Afpa, Caf, conseils départementaux, etc.) L’objectif est de permettre une accessibilité universelle avec des espaces FT a moins de 5 km de chez soi.
Dès les premiers pas de la concertation, le Haut-Commissaire s’était défendu de préparer une réforme systémique visant à fusionner tous les acteurs de l’emploi et de l’insertion (sorte de guichet unique). Il faut dire que la compétence sociale en particulier l’insertion étant l’une des principales compétences des départements, mettre cette activité sous la tutelle d’un opérateur, Pôle emploi, même rebaptisé France travail n’aurait pas été du goût des départements. Cependant, le rapport ne permet pas de lever totalement l’ambiguïté de l’accompagnement des allocataires du RSA à la fois par les départements et par Pôle emploi.
Le rapport parle ainsi de conforter le principe d'autorités régulatrices des régions (sur la formation et l’orientation notamment) et des départements (sur l’insertion des personnes éloignées de l’emploi) en apportant les financements complémentaires nécessaires et en territorialisant plus fortement l’action du service public de l’emploi.
Au sein du réseau France Travail, l’Etat au travers du préfet, des directions régionales et départementales de l’économie et de l’emploi, les collectivités et les partenaires sociaux se verront conforter dans « une place de gouvernance stratégique, politique et financière » de l’ensemble du réseau France Travail. Cette organisation ne permet pas en tout cas de clairement établir de qui relève la compétence emploi qui demeurera éclatée entre différents acteurs.
- Réduire les délais : un objectif louable mais peu réaliste
La volonté du rapporteur de mettre en place une gouvernance en capacité de mieux piloter l’offre de solutions et d’aides sur son territoire, identifier les doublons ou les « zones blanches » montre qu’une autre voie aurait été possible : celle de la régionalisation de la politique de l’emploi.
Autre défi qu’entend relever France travail : réduire les délais pour faire entrer les personnes recherchant un emploi dans un parcours d’orientation. Grâce à différents outils exposés dans le rapport, une première évaluation de la situation de la personne et de ses besoins pour un retour à l’emploi sera effectuée en moins de 15 jours là où dans certains cas cela peut prendre actuellement jusqu'à 6 mois. Un objectif louable mais qui paraît peu réaliste, si l’on compte 5 millions de personnes éloignées de l’emploi.
D’autant plus que le rapport pointe bien la diversité des accompagnements entre Pôle emploi, les missions locales ou encore les départements. La personne en insertion ou en recherche d’emploi passe par deux étapes : un diagnostic puis un rdv d’orientation/accompagnement. Le rapport indique qu’à Pôle emploi, ces délais restent limités (en moyenne de trois semaines avant le premier rendez-vous puis de deux semaines avant le second). Mais pour les personnes au RSA, la loi prévoit une orientation en moins d’un mois alors que les délais peuvent parfois prendre jusqu’à trois mois pour la première échéance, et deux mois ensuite pour la seconde, avec une grande disparité selon les organisations locales. La réduction des délais serait permise ici grâce à des référentiels partagés et une base de données partagée pour éviter justement que le demandeur d’emploi passe son temps à répéter des renseignements administratifs à ses différents interlocuteurs et se concentre sur son accompagnement.
L'expérimentation d'activités d'insertion enfin lancée Le point fort de l’accompagnement proposé par France Travail c’est l’expérimentation, sur le modèle du contrat d’engagement jeune, de 15 à 20 heures d’activités d’insertion par semaine pour ceux qui en ont besoin. Cet accompagnement intensif mené par les départements, notamment pour les allocataires du RSA, devrait conduire à réduire le nombre de personnes par conseiller dédié à quelques dizaines de personnes suivies pour permettre un accompagnement de qualité, organiser des revues d’objectifs régulières et accélérer ainsi la résolution des problématiques et le retour à l’emploi durable. Pour appuyer cette démarche, le Haut-Commissaire cite les chiffres suivants :
Ces accompagnements sont tardifs souligne le rapport, voire plus formels que réels dans certains cas :
S’agissant de l’accompagnement, le rapport estime les jauges suivantes :
Pour préparer cette étape, le ministre Olivier Dussopt a souhaité que la mission lance un pilote avec l’association des départements de France visant à tester, à l’échelle de plusieurs bassins d’emploi, les conditions de mise en place de l’offre d’accompagnement plus intensive des allocataires du RSA annoncée par le Président de la République, avec le repère des 15 à 20 heures hebdomadaires d’activité. 18 départements parmi les 45 candidats ont été retenus en vue d’un démarrage début 2023. La position de l’association des départements de France sur cette expérimentation est mitigée : les départements avaient jugé d’abord « l’Etat comme trop prégnant pour le pilotage et potentiellement intrusif dans le champ de leurs compétences », et s’ils sont désormais rassurés sur leur place au sein du dispositif, ils souhaitent que soient pérennisés les financements prévus permettant aux départements de poursuivre leurs politiques d’insertion et que la politique de sanction soient mise en œuvre par les départements de manière individualisée et avec plus de souplesse… |
- Enfin des contreparties ?
Un point particulier dans l’accompagnement doit en particulier retenir l’attention : les engagements réciproques reposent sur une logique de droits et devoirs. Pour les allocataires du RSA, la Cour des comptes notait dans son rapport de janvier 2022 qu’« il n’existe pas de statistique nationale sur le non-respect des droits et devoirs. Les données disponibles dans les départements étudiés confirment cependant que les sanctions pour non-respect des engagements sont rares». Il apparaît en tout cas que les pratiques sont hétérogènes. Pour remédier à cette situation, les actes de contrôle liés aux engagements France Travail seraient confiés à des équipes territoriales dédiées, régionales voire départementales qui verraient leurs effectifs renforcés. Les départements qui le souhaiteraient pourraient déléguer les contrôles aux équipes France Travail. Concrètement, ces équipes territoriales de contrôle auraient la charge de la procédure, par exemple en l’absence répétée à un entretien ou au démarrage d’une prestation ou d’une formation. L’usager reçoit alors systématiquement un courrier l’informant du fait que son manquement a été détecté. Un contrôle ne démarre en revanche que sur la base d’un faisceau de manquements. Une adaptation des éléments de preuve attendus selon la nature du parcours pourrait être prévue, par exemple pour les plus fragiles socialement avec une approche centrée sur des actions permettant leur insertion. Le contrôle des droits et devoirs serait donc mis en œuvre de façon graduelle. Au contraire des exemples étrangers notamment allemand ou anglais qui montrent que les sanctions démarrent dès la première absence à une convocation et font l’objet d’un barème clairement établi dont sont informés les allocataires.
Reste toutefois de nombreuses zones d'ombre
Le rapport indique que 70 millions d’euros seront affectés à la préparation du lancement opérationnel au 1er janvier 2024 (ex. système d’information, formation, pilotes départementaux et préfigurations régionales, etc.) et les moyens dédiés aux mesures d’accompagnement sur les trois prochaines années représenteront 2,7 milliards d’euros pour la période 2024 à 2026 pour augmenter le nombre de conseillers (en s’appuyant aussi sur les 2,5 milliards d'euros par an dédiés à la formation dans le cadre du Plan d’investissement dans les compétences).
Les personnels en charge de l'emploi tous secteurs confondus sont près de 100.000. Le but de la réforme étant entre autre de réduire le nombre de dossiers traités par les agents, des recrutements sont à attendre. Cela contrevient aux derniers éléments de budgétisation transmis par la direction du Budget pour préparer le PLF 2024 et la perspective à 3 ans. Et France Travail (ex-Pôle Emploi) sera désormais un opérateurs de l'Etat.
Le coût de la réforme serait amorti par les gains réalisés sur les indemnisations, soit une compensation quasi-exacte pour les personnes au RSA mais près de 50% d'économies générées pour ceux qui touchent des allocations chômage ; malheureusement aucune modélisation n'est fournie en appui de la présentation, alors même que le rapport affirme l'avoir réalisée.
Enfin, comme le volet "formation" n'est pas particulièrement développé, on ne voit pas bien quels seront les liens entre France Travail et France Compétences. On sait déjà que l'opérateur de formation est en déficit structurel puisqu'une subvention exceptionnelle lui a été accordée en 2022 (4 milliards d'euros). Une partie des sommes injectées dans France Travail, viendront-elles abonder les crédits que Pôle Emploi affecte déjà au financement de la formation dans le cadre de France Compétences ?... là encore aucune précision.
Les entreprises ne passaient déjà plus par Pôle Emploi pour recruter : Dernier élément à mentionner : le point de vue des entreprises dans cette nouvelle organisation. Le rapport dit bien que le service public de l’emploi pâtit d’une perception négative des entreprises. Mais seulement une partie des entreprises passe effectivement par le service public de l’emploi en raison d’une méconnaissance des services existants et d’une perception négative sur la qualité de service. Entre septembre 2021 et 2022, 26 % des établissements ayant fait au moins un recrutement en emploi durable ont posté une offre sur Pôle emploi. Le haut-commissaire pointe la nécessité de mieux coordonner les différents et très nombreux acteurs impliqués dans la relation entreprise, donnant parfois le sentiment d’être sur-sollicités : : « Il y a des périodes de l’année où on est contacté à la fois par Pôle emploi, les départements, les missions locales, on a le sentiment qu’ils ne se parlent pas » (Directrice d’une entreprise de service client au Lab employeur du 27/09/2022). Pour répondre à ces difficultés, France Travail devra améliorer son ciblage et mettre plus d’effectifs dédiées à la relation entreprises et en particulier à la prospection. |