127 millions d'euros, le chômage des militaires en augmentation
La semaine dernière, la Fondation iFRAP se penchait sur le rapport entre fonction publique et cotisations chômage mais ce, hors militaires. Voici donc une mise en perspective des enjeux que cette question pose aussi au sein du ministère de la Défense et pour ces 13.025 anciens militaires indemnisés, qui quittent l'armée jeunes, pour 127 millions d'euros versés par le ministère.
Les conditions de l'indemnisation du chômage des anciens militaires12 :
- Les militaires qui sont involontairement privés d'emploi ont droit à une allocation de chômage dans les conditions prévues par le code du travail (articles L. 4123-7, L. 4132-5, L. 5422-20, L. 5422-21) ;
- Les durées pendant lesquelles l'allocation de chômage est servie sont précisées par le code du travail (article R. 351-1) ;
- La durée et le montant d'indemnisation est déterminée en fonction des conditions d'ouverture et d'épuisement des droits d'allocation précisées dans le code du travail (articles L. 351-3, L. 351-8 et L. 321-4-2) ;
Ainsi, sont considérés comme ayant été involontairement privés d'emploi :
- les militaires de carrière radiés des cadres dans les cas suivants : mesure disciplinaire (sauf en cas de désertion), perte du grade dans les conditions définies par le code de justice militaire et de la nationalité française, et réforme définitive ;
- les militaires d'active autres que de carrière dont le contrat est soit arrivé à terme3, soit résilié de plein droit4 par les ministres de la défense ou de l'intérieur (gendarmerie nationale), soit dénoncé pendant la période probatoire, soit résilié à l'issue d'un congé de reconversion ou d'un congé complémentaire de reconversion.
Sont assimilés aux militaires involontairement privés d'emploi :
- Les militaires de carrière radiés des cadres suite à leur démission acceptée par les ministres de la défense de l'intérieur pour différents motifs suivants : changement de résidence du conjoint, concubin ou partenaire d'un PACS pour raison professionnelle, mariage ou PACS et violences conjugales qualifiées par la justice, contrats de volontariat de solidarité internationale ou associatif d'une durée continue minimale d'un an, création ou reprise d'une entreprise dans certaines conditions ;
- Les militaires d'active autres que de carrière dont le contrat a été soit résilié sur leur demande après agrément des ministres de la défense ou de l'intérieur, soit dénoncé de leur fait pendant la période probatoire pour différents motifs : mise en réforme définitive, réduction de grade prononcée entre la date de signature et la date d'effet du contrat renouvelé, absence de promotion au grade ou d'acquisition du degré de qualification pour les militaires engagés, à l'expiration d'un délai de 3 ans de services accomplis après la signature du contrat, impossibilité non due à l'inaptitude d'être affecté à un emploi quand l'engagement a été souscrit pour une durée imposée par l'éventualité de cet emploi.
Ne sont pas considérés comme ayant été involontairement privés d'emploi :
- Les militaires de carrière radiés des cadres à la suite soit de mesure disciplinaire pour désertion, soit d'une démission acceptée par les ministres de la défense ou de l'intérieur, soit au terme de congés du personnel navigant ou de reconversion et complémentaire de reconversion, soit de mise en disponibilité en ce qui concerne les officiers, soit de liquidation de la pension militaire de retraite définie par le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- Les militaires d'active autres que de carrière dont la fin du contrat résulte soit d'une résiliation par mesure disciplinaire par les ministres de la défense ou de l'intérieur pour désertion, soit de l'acceptation par les ministres de la défense ou de l'intérieur de leur demande pendant la période probatoire.
Egalement, ne peuvent pas bénéficier de l'allocation de chômage les militaires involontairement privés d'emploi qui ont droit à la liquidation immédiate de leur pension de retraite au taux maximum prévu dans le code de la sécurité sociale et du code des pensions civiles et militaires de retraite qui précise les durées des services et bonifications admissibles en terme de trimestres. La radiation des cadres des militaires de carrière par atteinte de la limite d'âge n'ouvre pas droit à l'allocation de chômage.
La rémunération servant de base au calcul de l'allocation de chômage servie aux anciens militaires comprend la solde budgétaire, l'indemnité de résidence au taux de métropole et, le cas échéant, le supplément familial de solde au taux de métropole, à l'exclusion de toute autre prime ou indemnité accessoire et des prestations familiales. Le nombre de trimestres rémunérés est défini selon les dispositions des différentes lois portant réforme des retraites votées depuis 2003 et le code de la sécurité sociale.
Par une convention cadre interministérielle du 2 septembre 2011 relative à la délégation de la gestion du chômage des agents de l'Etat par l'Etat à Pôle Emploi5, la totalité des ressortissants civils et militaires du ministère de la défense est indemnisée par Pôle emploi depuis le mois de novembre 2012 sous couvert de l’annexe conventionnelle à cette convention signée par le ministère délégué aux anciens combattants et cet organisme. Le centre de traitement de l’indemnisation du chômage (CTIC - Bordeaux) du ministère de la défense qui est un organisme extérieur de l'agence de reconversion de la Défense (ARD - « Défense Mobilité »)6 est notamment chargé de contrôler les factures reçues de Pôle Emploi et de procéder aux études relatives au chômage en s'appuyant sur les données transmises par Pôle emploi et les éléments extraits des systèmes d'information des ressources humaines (SIRH) des 3 armées, de la gendarmerie et du service de santé des armées.
Les chiffres de l'indemnisation chômage des anciens militaires 7 :
Le nombre des anciens militaires bénéficiaires de l'indemnisation chômage connaît une augmentation sensible : si entre 2004 et 2008, leur nombre est relativement stable (environ 8 500), il est en décembre 2013 de 12 056 et en décembre 2014 de 12 927 (+ 7,2 % par rapport au 31 décembre 2013).
Effectifs moyens prévisionnels | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | Prévision 2015 |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Physiques au 31 déc. | 9060 | 9031 | 9007 | 10975 | 12056 | 12927 | 13025 |
Source : ministère de la défense
En 2014, les caractéristiques de la population des anciens militaires bénéficiant de l'indemnisation chômage mettent en évidence les éléments suivants : le départ des 2/3 militaires du rang avant 8 ans de service et les 3/4 d’entre eux ont moins de 30 ans, le départ de 60% des sous-officiers entre 8 et 24 ans de service et 80% d’entre eux ont moins de 40 ans, une augmentation entre 2013 et 2014 des militaires ayant moins de 4 ans de service (+ 4 points) ayant le plus souvent des problèmes d’employabilité et une diminution des demandeurs d’emploi ayant plus de 15 ans de service (17% en 2013 contre 14% en 2014).
Durée de service | Pourcentage 2013 | Pourcentage 2014 |
---|---|---|
Moins de 4 ans de service | 30,00% | 34,00% |
De 4 à 7 ans de service | 34,00% | 33,00% |
De 8 à 14 ans de service | 19,00% | 19,00% |
De 15 ans à 24 ans de service | 14,00% | 13,00% |
Plus de 25 ans de service | 3,00% | 1,00% |
Source : ministère de la défense
En outre, la population des anciens militaires allocataires de l'indemnité chômage concerne plus particulièrement l'armée de terre :
Armée de terre | Marine nationale | Armée de l'air |
---|---|---|
72,00% - (9 312 personnels) | 15,00% - (1 860 personnels) | 13,00% - (1 525 personnels) |
Source : ministère de la défense
Enfin, ce sont en majorité les militaires du rang qui bénéficient de l'indemnité chômage :
Officiers | Sous-officiers | Militaires du rang |
---|---|---|
2,00% | 18,00% | 80,00% |
Source : ministère de la défense
Le coût de l'indemnisation du chômage des anciens militaires8 est en constante augmentation. Il faut d'ailleurs y ajouter les 1,5 million d'euros de frais de gestion versés par l'Agence de reconversion de la défense à Pôle Emploi (2014).
En millions d'€ | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | Prévision 2015 |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Montants | 98 | 109,5 | 103,2 | 106,13 | 119,8 | 125,68 | 126,969
|
Source : ministère de la défense
Cette indemnisation du chômage servie par le ministère de la défense est depuis le 1er janvier 2015 imputée sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense », action 61 « politique des ressources humaines », sous-action 02 « chômage personnel militaire ».
- La durée d'indemnisation du chômage des anciens militaires qui était de 249 jours en décembre 2013, est de 273 en novembre 2014.
- L'indemnisation moyenne mensuelle par chômeur ancien militaire qui était de 834 euros en 2008, est de 871 euros en 2014 (812 euros en moyenne en 2015).
Où sont reclassés les militaires ?
La reconversion des militaires se fait très largement en faveur du secteur privé (plus de 80%) et pour seulement 19% dans le secteur public où de nombreux dispositifs existent pour eux.
Reclassements dans le secteur privé | Reclassements dans les 3 fonctions publiques |
---|---|
8 891 | 2 135 |
80,6 % | 19,3 % |
Source : ministère de la défense
La reconversion dans les 3 fonctions publiques s'appuie sur les 5 dispositifs suivants :
Au titre des procédures de droit commun :
- le concours (L. 4139-1 du code de la défense) qui est la voie d'accès commune aux 3 fonctions publiques : 3,32% des reclassements dans la fonction publique.
- le détachement/intégration (L. 4138-8 du code de la défense) qui est une position statutaire dans laquelle le militaire est placé hors de son corps d'origine en continuant à figurer sur la liste d'ancienneté de celui-ci et à bénéficier des droits à l'avancement et à pension de retraite ; 5,76% des reclassements dans la fonction publique.
- le recrutement sur contrat qui représente une part significative des reclassements des militaires : 33,58% des reclassements dans la fonction publique.
Au titre des procédures dérogatoires au droit commun10 et spécifiques à la défense :
- l'accès par la voie de l'article L. 4139-2 du code de la défense ouvert, après obtention d'un agrément ministériel, qui permet aux militaires comptant plus de 10 ans de service d'accéder à des postes de catégories A, B et C, après une sélection sur dossier et entretien par l'administration d'accueil : 32,2% des reclassements dans la fonction publique.
- la procédure dite des « emplois réservés » (article L. 4139-3 du code de la défense) qui, conformément à l'article L398 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, permet aux militaires11, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, et aux anciens militaires sous certaines conditions de durée de service d'accéder aux corps et cadres d'emplois des catégories B et C de la fonction publique : 25,1% des reclassements dans la fonction publique.
Enfin s'agissant des actions d'aides à la reconversion financées hors titre 2 par l'action 6 « Politiques des ressources humaines » et l'action 10 « Restructurations » du programme 212 et délivrées par l'agence de reconversion de la défense « Défense mobilité », le dispositif actuel de la formation et la reconversion professionnelle des anciens militaires mériterait d'être revu dans le cadre de la recherche d'une nécessaire synergie avec les acteurs du secteur privé compte tenu de son coût :
- 31,1 millions d'euros de crédits des titres 3 et 5 au titre des prestations, du fonctionnement (notamment la formation des agents en matière d'orientation des anciens militaires) qui a augmenté de 53% entre 2013 (2 millions d'euros) et 2014 (3,07 millions d'euros), et de l'investissement ;
- la masse salariale (titre 2) du personnel de l'agence de reconversion de la défense pilotée depuis le 1er janvier 2013 par le BOP « RH » du secrétaire général pour l'administration (SGA) du ministère de la défense, s’est élevée en 2014 à 46,1 millions d'euros.
Conclusion
Les droits à l'indemnisation chômage pour les anciens militaires comme pour le personnel civil des 3 fonctions publiques sont fixés par le code du travail qui concerne tous les salariés mais les cotisations ne sont pas identiques (voir notre note sur le sujet).
Il s'agit donc de diminuer le coût de l'indemnisation chômage des anciens militaires qui passe par la réussite de leur reconversion pour faciliter leur retour à la vie civile, ce qui est aussi un point majeur pour l'attractivité des forces armées en matière de recrutement. En outre, l'augmentation du nombre de chômeurs anciens militaires ne peut qu'obérer le budget du ministère de la défense : ainsi, que l'augmentaion du coût de l'indemnité chômage entre 2009 et 2015, de 40 millions d'euros équivaut à l'acquisition d'environ 150 véhicules légers ou lourds des forces spéciales12.
Par conséquent, l'effort pourrait être porté sur la fidélisation des militaires au-delà de 4, voire 8 années de service qui reste assez faible (exemple dans l'armée de terre : en 2015, les objectifs quantitatifs sont de 1 170 ETP à comparer avec le recrutement qui est de 4 430 ETP). La fidélisation passe aussi par l'amélioration de l'administration des militaires13 : perte de proximité entre soutenants et soutenus concernant plus particulièrement l'armée de terre14 avec la mise en place des bases de défense, conditions d'hébergement des militaires, défaillance du système de rémunération de l'écosystème SIRH-LOUVOIS, mobilité géographique assez importante15, ruptures de livraison de certains articles d'habillement... à laquelle pourrait s'ajouter un relatif sentiment de lassitude en ce qui concerne l'exécution de missions intérieures. Cette fidélisation pourrait aussi passer par une augmentation des avancements internes au sein des armées et services interarmées. Cet avancement interne que privilégie opportunément la Marine nationale, présente l'intérêt de diminuer les coûts de recrutement externe16 et de formation initiale des militaires et de capitaliser les savoir-faire notamment opérationnels des militaires bénéficiant de cet avancement en interne.
1Sous-section 3 de la section 2 du chapitre III du titre II du livre Ier de la partie 4 du code de la défense.
2Articles R4123 – 30 à 37 du Code de la défense.
3A l'exception du cas prévu au b du 2° de l'article R. 4123-35
4A l'exception du cas prévu au a du 2° de l'article R. 4123-35
5Conformément à l'article L. 5424-2 du code du travail dans les conditions résultant de l'application des accords relatifs à l'assurance chômage mentionnés à l'article L. 5422-20 du code du travail (convention, règlement général, accords d'application et annexes)
6Arrêté du 27 juillet 2015 portant attributions et organisation de l'agence de reconversion de la défense.
7Confer le bilan social 2014 du ministère de la défense (direction humaines du ministère de la défense).
8Confer l'avis n° 166 (2015-2016) des sénateurs, MM. Robert del PICCHIA et Gilbert ROGER, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat déposé le 19 novembre 2015.
9Auxquels il faut rajouter 1,5 millions d'euros de frais de gestion versés en 2014 à Pôle emploi pris sur les crédits de fonctionnement de l'Agence de reconversion de la défense.
10La mise en œuvre de ces 2 procédures dérogatoires relève de la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) en collaboration avec les directions de ressources humaines des armées et services, les administrations relevant de la fonction publique de l'Etat, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière.
11A l'exception des officiers de carrière et des militaires commissionnés.
.12La Direction générale de l’armement (DGA) a notifié le 30 décembre 2015 à Renault Trucks Défense (RTD) la réalisation de 241 Véhicules Légers des Forces Spéciales et de 202 Véhicules Lourds des Forces Spéciales (les 2 types avec des équipements spécifiques : armement, transmissions, télécommunications, protection mines et anti-engins explosifs non identifiés, commandement, logistique...) : livraison de 25 véhicules lourds en 2016 pour répondre aux besoins les plus urgents et des premiers véhicules légers à partir de 2018.
13Confer le 8éme rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire de mai 2014.
14La Marine et l'armée de l'air dont les unités sont basées dans un nombre restreint de sites géographiques sont moins concernées, ce qui pose inévitablement la question de la redéfinition à terme de la cartographie des formations militaires des armées qui ne sont pas un outil d'aménagement du territoire national.
15Qui est due en partie aux nombreuses mesures de restructurations de sites militaires engagées depuis 2008.
16Dont les délais entre la constitution du dossier de candidature à l’engagement et la signature du contrat d’engagement sont assez longs (ex pour 2012 : plus de 400 jours pour un officier sous contrat (OSC) mais qui sont de 90 jours pour un militaire du rang du service de santé des armées (confer le 8éme rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) de mai 2014).