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Vrai ou faux : les investissements étrangers en France sont-ils en chute libre ?

Plutôt faux. L'effondrement des investissements étrangers en France signalé pour 2013 par la CNUCED ne peut pas encore être apprécié de façon fiable à l'heure actuelle. On assisterait plutôt à un recul marqué des investissements étrangers dans l'ensemble du monde. Il n'en demeure pas moins que d'autres signaux sont nettement moins encourageants, particulièrement ceux venant de l'autre rive de l'Atlantique – où le Président Hollande s'est opportunément rendu avec une délégation d'entrepreneurs. Espérons que le gouvernement en tirera les bonnes leçons, en notant toutefois la difficulté de satisfaire les revendications portant sur le droit du travail.

Les médias n'ont pas laissé passer l'occasion que leur offrait la très récente publication du 28 janvier de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), selon laquelle les investissements étrangers en France se seraient effondrés de 77% en 2013 à 5,7 milliards de dollars) par rapport à 2012, alors qu'en même temps ils progressaient de 392% en Allemagne (à 32,3 milliards), de 37% en Espagne (à 37,1 milliards), de presque rien en Italie à 9,9 milliards, de globalement 100 milliards en Irlande et au Benelux, il est vrai après avoir chuté de 169 milliards l'année précédente.

S'agit-il d'un véritable effondrement ? A Bercy, on ne s'affole pas : « On se trompe de thermomètre… Le rapport de la CNUCED ne se focalise pas sur les investissements créateurs d'emplois mais prend en compte tous les mouvements financiers. Résultat, des pays non industrialisés se retrouvent très bien classés ». Exact, mais tout dépend de quoi l'on parle.

D'abord, de quoi parle-t-on ? Focus sur les investissements « greenfield »

Il y a plusieurs catégories d'investissements internationaux. La catégorie la plus importante en valeur est celle des investissements financiers, qui comprennent les fusions et acquisitions, les prises de participation au-delà d'un certain pourcentage du capital (variable selon les instituts), les alliances et les investissements purement financiers. Ils s'opposent aux investissements appelés « greenfield » par les instituts internationaux, c'est-à-dire, ceux qui sont créateurs d'emplois et d'activités nouvelles, par voie de création ou d'extension de sites [1].

Dans la suite de cet article nous nous intéresserons aux investissements « greenfield » qui sont les plus significatifs pour la croissance et l'emploi.

Les statistiques sur 2013 ne seront pas fiables avant plusieurs mois, mais celles portant sur 2012 le sont probablement : or, pour la CNUCED et KPMG (réseau mondial de prestations de services d'audit), il n'y a rien de très particulier à noter…

La CNUCED est le seul organisme, à l'exception de KPMG comme on le verra, à avoir publié des statistiques sur 2013. Mais d'une part ces informations ne sont que provisoires, et susceptibles de changer du tout au tout comme on l'a vu les années précédentes, aussi longtemps qu'elles n'auront pas été confirmées dans le courant de 2014. D'autre part ces statistiques ne distinguent pas encore pour 2013 entre investissements globaux et investissements « greenfield », alors que la CNUCED a effectué cette distinction pour 2012. Voici les statistiques des investissements « greenfield » de 2012, d'abord par continent, et ensuite pour l'Europe.

On voit que l'année 2012 se distingue par une chute des investissements généralisée aussi bien dans le monde qu'à l'intérieur de l'Europe. La France ne fait pas exception si l'on en croit la CNUCED, mais pas de façon plus marquée que dans les autres pays, si l'on excepte toutefois le Royaume-Uni dont la situation paraît très particulière [2]. On observera aussi que la France n'est pas, suivant la CNUCED, la troisième destination européenne des investissements après le Royaume-Uni et l'Allemagne, mais qu'elle se place aussi derrière la Pologne, l'Espagne et la Roumanie.

KPMG effectue aussi chaque année un classement des investissements « greenfield ». Le dernier disponible se prolonge jusqu'au troisième trimestre 2013 et concerne 24 métropoles dans le monde, dont 11 en Europe. En France, il s'agit bien entendu de Paris-Ile de France, qui concentre 50% des investissements du pays (contre 38% pour Londres). KPMG note, de même que la CNUCED, un recul de 11% au niveau mondial, mais aussi que Paris assure en 2012 la meilleure progression dans le top10, passant avec 119 investissements de la dixième à la septième place, la seconde en Europe, très loin derrière Londres, première métropole mondiale avec 305 investissements [3]. KPMG indique aussi que la plus grande partie des investissements étrangers en France provient de l'Europe (62%), 28% provenant des États-Unis, la proportion étant inversée au Royaume-Uni (respectivement 33% et 49%). A noter que les deux années précédentes, la proportion des investissements en provenance des États-Unis était plus élevée, à 34% et 36%. En ce qui concerne les activités, le secteur des logiciels NTIC en assure à lui seul 30% à Paris et 38% à Londres, suivi dans les deux métropoles par le textile, l'habillement et les services aux entreprises.

…mais des résultats nettement plus mitigés pour Ernst & Young, et pour le collectif des entreprises françaises filiales de grands groupes internationaux

Ainsi s'exprime le baromètre EY pour 2013 :« Alors que l'Europe n'enregistre, dans un contexte économique et financier pourtant mouvementé, qu'un léger fléchissement des implantations internationales, la France accuse un net recul, non seulement en termes d'implantations (471 projets d'implantation en 2012, en diminution de 13%), mais aussi, et surtout, en termes d'emplois créés (-20%)… Même si la France conserve sa 3ème place sur le podium des pays européens les plus attractifs, et le premier rang en matière d'implantations industrielles, elle se voit distancée par un duo de tête composé du Royaume-Uni et de l'Allemagne, qui ont accueilli respectivement 697 et 624 projets en 2012… /ecrire/&nbsp

Toutefois, «  il semblerait que la confiance des investisseurs étrangers n'ait pas pour autant été remise en cause comme on aurait pu le redouter : ils sont encore 63% à exprimer leur conviction que le pays surmontera la crise actuelle et 73%, parmi ceux qui sont implantés en France, à se déclarer satisfaits du site France ».

Quant au collectif des entreprises françaises filiales, sa lettre ouverte de décembre 2012 s'exprime ainsi : « Nous faisons partie de cette « communauté », celle des sociétés dont les capitaux sont étrangers mais qui créent de la richesse, ici en France, dont nous nous voulons citoyens. Nous en sommes les supporters et les ambassadeurs auprès de nos maisons mères pour que celles-ci fassent le choix d'y investir et d'y créer des emplois.

Depuis quelques années, nous avons de plus en plus de mal à les en convaincre, et nombre d'entre elles se sont installées dans une attitude prudente et attentiste vis-à-vis de notre pays, qu'elles ont mis « sous observation ». L'affaire n'est pas indifférente : les 20.000 entreprises qui partagent notre identité emploient 2 millions de personnes, soit 13% de la population salariée, un quart dans le seul secteur industriel, contribuent à hauteur de 29% du chiffre d'affaires de l'industrie française, assurent le tiers des exportations françaises, réalisent 29% de l'investissement corporel de l'industrie française et assurent 29% de la R&D des entreprises oeuvrant en France ».

Conclusion

Les instituts ne sont pas d'accord les uns avec les autres, ce qui ne simplifie pas l'évaluation de l'attractivité de la France. Néamoins, il n'apparaît pas dans les résultats jusqu'à présent disponibles que cette attractivité ait réellement souffert. Le point peut-être le plus remarquable concerne les relations avec les États-Unis, où l'on voit les investissements « greenfield » diminuer assez fortement par rapport aux deux années précédentes. Cette tendance est confirmée par la lettre ouverte écrite par le collectif des entrepreneurs de grands groupes, dont la majorité est américaine. Et on ne doit pas ignorer le danger de la chose, en raison du leadership américain en la matière, et du fait que l'Europe, qui concentre 62% des investissements étrangers en France, est à la traîne.

Raison de plus pour approuver la visite outre Atlantique du Président accompagné d'une délégation d'entrepreneurs français. On se doit quand même de ne pas passer sous silence que les demandes des entrepreneurs de grands groupes visent, à côté de revendications de stabilité fiscale, des réformes touchant au droit du travail : « Assouplir, en matière sociale, les procédures de consultation », « alléger les aspects pénaux du droit du travail en supprimant le délit d'entrave et en soumettant les relations du travail au droit civil de la responsabilité ». Et aussi, « engager une politique ambitieuse d'attraction et de rétention des talents internationaux et des quartiers généraux européens ». Ce sont là des revendications précises et renouvelées qui ne pourront plus être ignorées, mais sur lesquelles il va être très délicat d'obtenir un consensus. Un beau « challenge » en vue.

[1] Par exemple, lorsque le groupe américain Simon a en 2012 acquis de la BNP 28% du capital de Klépierre, il s'est agi d'un investissement financier, quelles qu'en soient les conséquences ultérieures sur le développement de l'entreprise. Si le groupe américain Titan acquiert l'usine de Goodyear, cette opération devrait pareillement être classée dans la catégorie des investissements financiers, encore que cela soit discutable. En revanche, lorsque Disney ou récemment Amazon se sont installés en France, ce sont évidemment des investissements « greenfield » dont il s'est agi.

[2] Cette particularité paraît s'expliquer surtout par le fait que de très longue date le Royaume Uni est la destination de prédilection des investissements en provenance des Etats-Unis vers l'Europe. Le RU a ainsi drainé à lui seul 26% de la totalité de ces investissements (non limités aux "greenfield") en 2012. La raison tient certainement à la communauté de culture, droit du travail compris. Par ailleurs, le fait que en données de stock et non plus de flux les Pays-Bas figurent en seconde position derrière les Etats-Unis dans les investissements étrangers au RU témoigne de façon générale de la situation très prépondérante du RU en matière financière, situation qu'il partage avec les Pays-Bas. Toutefois, il faut noter que si on raisonne en termes de stock, la France à fin 2011 arrive en seconde position en Europe, non loin du RU (963 milliards de dollars contre 1198), et devant l'Allemagne (713).

[3] Ce classement de KPMG ne fournit que le nombre des investissements, mais ni leur valeur ni le nombre d'emplois concernés.