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Va-t-on vers une redéfinition du rôle du logement social ?

La Cour des comptes a publié en février un référé (datant de fin 2018) appelant l'Ancols (agence nationale du contrôle du logement social) à consolider sa mission de contrôle s'agissant des aides publiques au logement. Un sujet a priori obscur mais pourtant lourd de conséquences puisqu'il devrait contribuer à redéfinir quelle est la mission du service public du logement social.

Les missions de l'Ancols

Ce référé adressé au Premier ministre est issu d'un contrôle de la Cour couvrant plus largement la gestion et les comptes de l'Ancols.

Cette agence, rappelons-le, est le fruit de la fusion de deux organismes de contrôle du secteur du logement social, le premier, la Mission Interministérielle d'Inspection du Logement Social (Miilos), dédié aux Offices HLM et SEM, et le second, l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l’effort de construction (Anpeec), dédié aux entreprises du 1 % logement.

L'Ancols a plusieurs missions :

Vérifier les dispositions législatives applicables aux organismes HLM : cela concerne en particulier l'emploi des fonds que les bailleurs sociaux perçoivent (subventions ou prêts consentis par l'État et les collectivités locales) et les conventions ouvrant droit à l'aide personnalisée au logement.

Examiner l'efficacité avec laquelle les bailleurs sociaux s'acquittent de leur mission et en particulier, la gouvernance, la gestion, la mission de construction, la capacité à assurer l'entretien du patrimoine locatif, etc.

Le contrôle de la Cour n'a pas appelé de remarque particulière, jugeant que la mission de l'agence s'exerçait dans des conditions satisfaisantes. Seule difficulté soulevée, l'Ancols n'avait pas encore mis en œuvre sa mission légale de contrôle du respect de la décision 2012/21/UE, objet du référé, la Cour rappelant au gouvernement les possibles sanctions financières contre la France.

Les services d'intérêt économique général (SIEG)

De quoi s'agit-il ? Le logement social rentre dans les services d'intérêt économique général (SIEG), au sens de l'Union européenne. Il s'agit des services économiques soumis à des obligations de service public. Avec la décision 2012/21/UE, la Commission rappelle que les entreprises en charge d'un SIEG peuvent bénéficier d'aides publiques pour compenser l'exécution d'obligations de service public et que ces aides n'ont pas à être notifiées à la Commission mais la Commission pose cependant plusieurs conditions : qu'un mandat légal précis soit donné à l'organisme qui gère le service public, que les paramètres du calcul de la compensation soient transparents et que l'aide n'excède pas les coûts liés aux obligations de service public (pas de surcompensation). Enfin, ces coûts doivent être calculés en tenant compte du bénéfice raisonnable que rechercherait une entreprise moyenne, compte tenu du niveau de risque.

C'est l'Ancols qui, depuis le vote de la loi Alur, loi sur le logement défendue par Cécile Duflot, est chargée du contrôle de conformité des aides au secteur du logement social. L'Ancols doit donc s'assurer qu'il n'y a pas eu une éventuelle surcompensation des obligations de service public. Or, en 2018, date de la mission de la Cour, le contrôle de l'Ancols n'avait toujours pas été mis en œuvre.

Connivence contrôleur (Etat) - contrôlés (HLM)

Pourquoi ? L'Ancols a bien mis au point une méthodologie de contrôle mais depuis 2015, la validation par le conseil d'administration de l'Ancols a régulièrement été mise au vote et à chaque fois été repoussée. Le référé de la Cour nous apprend que c'est l'État qui compte 4 représentants au conseil d'administration de l'agence qui a repoussé l'adoption de cette méthode. L'État avançant "le défaut d'accord des fédérations d'organismes HLM à la méthode proposée". Ces fédérations regroupées au sein de l'USH, union sociale pour l'habitat, principale organisation représentant les bailleurs sociaux, ont fait valoir que la méthode retenue remettrait en cause le modèle de financement du logement social "qui repose sur des aides l'investissement et non sur des subventions destinées à couvrir le résultat d'un gestion déficitaire".

Dans sa réponse, le Premier ministre indique que depuis le 23 janvier 2019, une méthodologie a été définitivement adoptée en conseil d'administration, soit tout de même près de 5 ans après l'adoption de la loi ALUR qui confiait cette mission à l'Ancols. Le Premier ministre précise que le fonctionnement du secteur du logement social a d'ailleurs été décrit à la Commission européenne, sans que celle-ci ait jamais fait part des moindres critiques.

Si un accord a été si difficile à trouver sur la méthode à appliquer par l'Ancols c'est que les bailleurs sociaux estimaient que la surcompensation devait se calculer au niveau de chaque opération et non au niveau global du résultat comptable et financier de chaque organisme, certains présentant des bilans confortables. Dans sa réponse à la Cour, le Premier ministre précise d'ailleurs que la méthode d'évaluation adoptée par l'Ancols pourrait faire l'objet d'adaptation le cas échéant. Un choix étonnant étant donné les délais qu'il a déjà fallu pour mettre au point la méthode de calcul.

Plaintes à Bruxelles

Cependant, le gouvernement omet de dire que l'UNPI, représentant les bailleurs privés, avait porté plainte en 2012 à Bruxelles contre les organismes de logements sociaux pour concurrence déloyale : l'association des bailleurs privés avait considéré que les aides publiques au logement social entraînaient une distorsion de la concurrence sur le marché immobilier locatif résidentiel en France justement car les aides publiques étaient jugées trop importantes par rapport au coût d'un véritable service d’intérêt économique général. Cette plainte avait obligé le gouvernement français à justifier la politique de soutien au logement social même si, à notre connaissance, Bruxelles n'a pas à ce jour rendu de décision.

Le problème de fond

On pourrait croire cette bataille technique comme étant un simple témoignage des dysfonctionnements de notre administration. Mais pour les bailleurs sociaux, cette décision est révélatrice d'un mouvement d'une toute autre nature. Dans un communiqué de presse, l'USH Europe, représentant les intérêts des bailleurs sociaux à Bruxelles, a publié une mise au point sur cette affaire. Pour l'USH, il n'y a aucune lacune du contrôle de conformité sur les aides aux SIEG et pas de crainte à avoir d'éventuelles sanctions de la part de la Commission puisque la France notifie tous les deux ans les aides accordées aux SIEG et notamment aux bailleurs sociaux (6 milliards d'euros d'aides dans le dernier rapport de 2018).

L'USH soupçonne l'Ancols, la Cour des comptes et le gouvernement de vouloir créer une insécurité juridique autour des aides publiques aux bailleurs sociaux. L'organisation va plus loin et estime qu'il s'agit là d'une instrumentalisation du droit européen.

Si l'ANCOLS et la Cour des Comptes craignent une telle saisine d'office de l'autorité européenne de concurrence contre la France, il faudrait donc qu'ils la saisissent en déposant une plainte contre l'Etat français, un peu dans la continuité de l'UNPI...

On est loin très loin des affirmations hasardeuses de la Cour des comptes : "si le Conseil d'administration de l'Ancols tardait à consolider sa mission de contrôle", elle affirme que "l'Etat s'expose à un recours en manquement formé par la Commission devant la Cour de justice de l'Union européenne".

Pour les tenants du logement social, le risque est celui d'une remise en cause du modèle français du logement social comme cela a été le cas aux Pays-Bas. Dans ce pays, en effet, des bailleurs privés ont porté plainte devant la Commission pour concurrence déloyale des bailleurs sociaux qui n'appliquaient pas de critères de revenus pour être éligible à un logement social. Sous la pression de la Commission, le gouvernement néerlandais a donc réorienté sa politique de logement social pour destiner les logements en priorité aux personnes défavorisées (un plafond de revenus de 33.000 € annuels a été imposé, indépendamment de la taille du ménage et de la localisation.) Les bailleurs sociaux ont bien fait appel de cette décision devant la Cour de justice de l'union européenne arguant de l'immixtion de la Commission dans une politique publique de la responsabilité d'un État membre, la CJUE a tranché en faisant valoir que les Pays-Bas ont proposé cette réforme de leur propre initiative.

Pour les défenseurs du modèle universel du logement social, la Commission a poussé à une définition "résiduelle" du SIEG logement social aux Pays-Bas (cantonné à une certaine partie de la population). Et c'est bien ce qu'ils redoutent pour la France, craignant sans doute que la Commission n'impose de choisir entre logement des plus défavorisés et mixité sociale.

On n'en est sans doute pas là puisque le dernier rapport semestriel sur la situation économique de la France dressé par la Commission européenne appelle notre pays à relancer l'investissement en logement social dans les zones tendues (le gouvernement vient d'ailleurs de signer avec la Caisse des dépôts et consignations et Action Logement, un nouveau pacte d'investissement pour le logement social).

Mais le vrai problème, c'est l'offre insuffisante de logements à la location dans les zones tendues, due notamment à une fluidité trop faible dans le parc existant, notamment le parc HLM et à une fiscalité immobilière de plus en plus oppressante dans le secteur libre. Dès lors, la construction de logements sociaux est une fuite en avant : il en faut toujours plus. Entre 1985 et 2011, on observe une augmentation de 53 % du parc social. Sur la même période, les bailleurs privés ont été peu à peu dégoûtés (+1%). Simplification des structures, simplification des financements, baisse des coûts de gestion, il est temps de poser la question de la réforme du logement social.