Treize maternités dangereuses : et les autres ?
France : 17e en Europe pour la mortalité néonatale à 27 jours
Même si notre pays n'aime ni les notes, ni les classements, ce constat est accablant pour le pays qui dépense le plus en Europe pour son système de santé. Mais pour tomber à un tel rang, les mauvaises performances des 13 petits établissements, sur un total de 545, dont la Cour des comptes demande la mise aux normes ou la fermeture, ne peuvent pas suffire : le problème est plus grave. Les interventions des politiques locaux pour maintenir en fonction "leurs" établissements, même dangereux, peuvent en partie expliquer cette situation. L'opacité qui entoure les informations concernant notre système de santé empêche aussi de connaître sa véritable performance, donc de l'améliorer. Et la connivence entre l'État régulateur et l'État opérateur des hôpitaux publics l'empêche d'appliquer ce que ses propres services ont décidé.
Des enquêtes et des rapports dénonçant des problèmes dans certains petits établissements de soins, il y en a déjà eu beaucoup [1]. En 2006, le résultat de l'étude dirigée par le Professeur Guy Vallancien [2] sur le sujet voisin de la chirurgie était clair :
Le nouveau rapport de la Cour reprend le même type de critiques ciblées cette fois-ci sur les caractères spécifiques des maternités.
Plateaux techniques
Les règles d'organisation des locaux des maternités datent de 1998, mais en 2014 elles ne sont pas toujours respectées dans un nombre significatif de maternités en ce qui concerne notamment « le nombre minimum de lits, la situation du bloc obstrétical, l'organisation des unités de néonatologie et de réanimation néonatale ». Même dans un CHU (Tours) où la maternité a été construite assez récemment, ces règles ne sont pas appliquées.
Moyens humains
Il existe aussi des normes précises fixant le personnel nécessaire pour faire fonctionner une maternité 24/24. Compte tenu des durées de travail en France (35 ou 32 heures, congés, absentéisme dans les hôpitaux, formation) il faut un minimum de six personnes pour assurer une présence constante d'un soignant à la maternité. Dans un service de 300 naissances par an, chacun d'eux ne participera donc qu'à 50 accouchements par an.
C'est peu pour maintenir sa compétence et encore moins pour retenir des professionnels dynamiques. Ce dernier point est clef, puisque même si la mise à disposition d'un plateau technique performant est un « simple » problème de moyens financiers, retenir des personnels compétents et motivés dans ces conditions est très difficile. La maternité de Valréas par exemple, qui avait été fermée puis rouverte à la suite d'une décision de justice, a été finalement re-fermée devant l'impossibilité de recruter un médecin. Un centre périnatal de proximité ouvert à la place assure un suivi et une orientation des femmes conformément aux caractéristiques de leurs grossesses [3].
Pour traiter ce problème de recrutement, deux palliatifs administratifs sont utilisés plus fréquemment par les petites maternités que dans les grandes : recrutement de personnels et médecins dits « mercenaires » pour des périodes limitées et à des coûts élevés (doubles) auprès d'agences spécialisées de travail temporaire [4], ou de médecins diplômés à l'étranger dont la Cour ne dit rien mais dont les compétences sont beaucoup plus variables que celles des diplômés français. [5] Pour traiter ce problème de pénurie, certaines équipes ont tendance à "programmer" (déclancher) les accouchements en fonction de leurs propres dates ou horaire de disponibilité.
Au total, la Cour des comptes demande que des actions soient prises pour 13 maternités dangereuses (2 privées, 11 publiques) [6] ne respectant pas les normes alors que : « Hors des cas, peu nombreux, d'isolement géographique avéré, le maintien des maternités les plus petites est loin d'être indispensable au maillage de l'offre de soins ».
13 maternités qui comptent moins de 300 naissances par an
- CH Die dans le Rhône-Alpes : 137 naissances
- CH Ariège Couserans en Ariège : 219 naissances
- CH Saint Palais (polyclinique Sokkori) dans les Pyrénées-Atlantiques : 231 naissances
- CH Lourdes dans les Hautes-Pyrénées : 234 naissances
- CH Privas en Ardèche : 238 naissances
- CH Bourg-Saint-Maurice dans le Rhône-Alpes : 237 naissances
- Clinique Porto-Vecchio en Corse : 240 naissances
- CH Ussel en Corrèze : 249 naissances
- CH Saint-Affrique dans le Sud-Aveyron : 249 naissances
- Clinique Saint Louis, Ganges en Hérault : 249 naissances
- CHU Brest Hôpital de Carhaix-Plouguer dans le Finistère : 252 naissances
- CH Apt dans le Vaucluse : 291 naissances
- CH Decazeville dans l'Aveyron : 296 naissances
Plus généralement, elle dénonce toute une série de dysfonctionnements : répartition géographique des établissements et fixation des prix en fonction de seules bases historiques, établissements dont la situation financière est précaire, la comptabilité analytique floue, les durées de séjour des patientes excessives, les taux d'occupation médiocre (60% dans le tiers des petits établissements) et une mauvaise utilisation des maternités de niveau 3 (celles qui disposent des moyens les plus avancés et qui devraient donc être réservées aux cas les plus aigus).
Traiter le problème au fond
La quasi-totalité des audits réguliers de la Haute autorité de santé, et une partie de celui de la Cour des comptes se basent sur le respect formel des moyens mis en œuvre par les établissements : nombre et diplôme des personnels, niveau des équipements techniques et qualité et quantité des produits de santé utilisés. Dans le cas simple de la désinfection des mains, on a vu comme cette règle peut être bureaucratique : le respect de l'application des règles d'utilisation des gels hydro-alcooliques a été souvent mesuré par le niveau des commandes de ce produit ! Le contrôle des moyens n'est pas inutile, mais c'est le contrôle des résultats qui est décisif. Les performances d'une équipe nombreuse, très diplômée et disposant des meilleurs outils ne sont pas nécessairement meilleures que celles d'une équipe moins favorisée mais plus motivée ou mieux organisée. La détection précise des grossesses « à risques », puis leur bonne orientation vers un centre de compétence adapté constitue par exemple un facteur décisif de qualité d'un centre d'obstétrique. Une démarche qui n'est pas forcément hors d'atteinte d'un petit centre, ni garanti dans un grand.
Un manque de contre-pouvoirs
La médiocre performance de la France dans le domaine néonatal (17e rang sur 28) ne peut pas s'expliquer par les mauvais résultats des seuls 13 établissements incriminés par la Cour des comptes, parmi les 500 maternités. Ou bien alors leurs performances serait carrément dramatique. C'est tout le système qu'il faut améliorer.
Logiquement, notre assureur, la CNAM, devrait refuser de payer des soins s'ils font courir des risques anormaux à ses clients, et plus encore s'ils sont plus coûteux que la normale. De son côté, le régulateur ne devrait pas faire preuve de complaisance vis-à-vis des fournisseurs de soins. En France, ces deux garde-fous ne sont pas en place en raison de la confusion des rôles où l'État est à la fois régulateur, assureur et fournisseur très important de soins (hôpitaux publics). Donc très réticent à ce que des observateurs extérieurs aient accès aux donnée qui mettraient en évidence de graves anomalies dans le système de santé français.
Extrait de la conclusion du rapport de la Cour des comptes (page 94)
Le positionnemment très attentiste et plus que prudent des Agences régionales de santé dans un contexte toujours très sensible, voire passionnel, sur ces sujets, où se manifestent de constantes réticences à prendre pleinement en compte les considérations liées à la sécurité des soins jusqu'à la survenue d'un accident grave, n'est pas à la hauteur des enjeux et des exigences qui s'imposent pour pouvoir garantir une offre de soins adaptée aux besoins et pérenne.
Les audits de la Cour des comptes sont déjà très utiles, mais pour sortir de l'évaluation sur le critère des moyens, une large ouverture des données médicales anonymisées est nécessaire. Leur analyse par des équipes variées permettrait de mettre les responsables politiques, médicaux et administratifs (assurance-maladie, direction de la santé) face à leurs responsabilités de façon objective. Fermer 13 petites maternités, faire que la France retrouve son rang pour la prise en charge de la néonatalité (elle était 6e en 2004) est important, mais c'est tout le système de santé qui doit être reconstruit en rendant leur indépendance et leur responsabilite à chacun des acteurs : régulateur, payeur, fournisseur de soins et assurés/patients.
Témoignage du Maire d'une ville dont la maternité devait être supprimée
Avant les élections municipales, le projet de suppression de la maternité était devenu le sujet central de la campagne. Au conseil municipal, l'opposition et ma majorité critiquaient mes efforts pour aboutir à une solution de compromis que j'estimais inévitable vu le coût de fonctionnement de notre maternité, et surtout vu les problèmes de sécuité qui se posaient.
Le débat était vif jusqu'à ce que je pose la question au Conseil municipal "Levez le doigt celles et ceux dont les enfants ou petits enfants sont nés dans notre maternité" ?
Très peu de doigts se sont levés, soulignant bien que ce sont les personnes les moins bien informées, et souvent celles disposant de revenus les plus faibles qui accouchent dans les établissements les moins fiables. Les autres ont toujours disposé des canaux d'information suffisants pour ne pas se tomper, et maintenant de dizaines de site Internet qui ne permettent peut-être pas de choisir "la meilleure", mais certainement d'éviter les moins bonnes. Une injustice qui devrait faire réfléchir les défenseurs des petites structures à tout prix.
[1] Le précédent rapport de la Cour des comptes sur les maternités date de 2006
[2] L'évaluation de la sécurité, de la qualité et de la continuité des soins chirurgicaux dans les petits hôpitaux publics en France
[3] Comme dans la plupart des villes où une maternité ou un service de chirurgie a été supprimé, la mise en place d'une autre structure (ex. maison de retraite médicalisée) apaise les oppsitions locales.
[4] Une méthode peu favorable au développement d'un véritable esprit d'équipe dans le service
[5] Exemple cité par la Cour : dans les maternités de premier niveau de la région Centre, 60% des gynécologues obstétriciens ont des diplômes étrangers, et 100% dans quatre d'entre elles. Un résultat catastrophique de la politique de numerus clausus drastique mise en place par le gouvernement français pendant une trentaine d'années
[6] Les maternités publiques réalisent les deux tiers des accouchements.