Actualité

Travail le dimanche : un premier bilan mitigé des négociations

Six mois après la promulgation des 12 premières zones touristiques internationales parisiennes, il est temps de faire un bilan de l’application de la loi sur le travail le dimanche et ce, alors qu’au début du mois de février, 6 nouvelles ZTI ont été décrétées en province et que l’autorisation du travail dominical s’applique aussi désormais dans 12 gares françaises. Mais l’autorisation ne suffit pas, car chaque enseigne doit obtenir, selon la loi, un accord majoritaire avec ses syndicats. Conséquence directe, le nombre d’ouvertures le dimanche est encore faible et concerne plutôt des enseignes qui possédaient déjà un accord de ce type, ainsi que des enseignes de petites tailles qui n'ont pas besoin de l'accord des syndicats pour avancer, tandis que les grandes enseignes peinent dans les négocations face à des syndicats très fermés.

De manière générale, les négociations avancent lentement, la loi Macron ayant conditionné l'ouverture le dimanche à un accord collectif mais le dialogue semble désormais impossible avec les syndicats. C'est notamment le cas sur l’ouverture dominicale des grands magasins parisiens où le refus des syndicats semble être plus idéologique qu’autre chose. Puisqu'ils négociaient ensemble à travers l'Union du commerce des centre-ville (UCV), tous les grands magasins sont bloqués pour l’instant mais la concurrence va évidemment se mettre en place puisque des négociations bilatérales sont en train de commencer (BHV ou Galeries Lafayette Haussman). D'ailleurs, la concurrence va aller en grandissant entre les enseignes pouvant ouvrir le dimanche et celles, équivalentes, qui ne parviennent pas à un accord : c’est notamment le cas de la FNAC en difficulté alors que Darty ouvre déjà la moitié de ses magasins parisiens. Même chose pour les bijoutiers : si le luxe est parvenu à un accord très avantageux pour ses salariés, l'union de la bijouterie-horlogerie négocie encore. Bien sûr, chaque négociation est différente mais les points de crispation semblent être du même ressort pour chaque enseigne :

Là où les négociations sont au point mort 

Dans les grands magasins parisiens comme les Galeries Lafayette,  le Bon Marché, C&A et le Printemps Haussmann, la négociation était menée par l’UCV. Le projet partait sur une distinction entre les équipes « classiques » et celles du dimanche qui bénéficieraient d’une majoration dégressive de 100% du salaire (x2) pour les 5 premiers dimanches, puis 7 dimanches à 50%, 37 dimanches à 40% et 3 dimanches à 30% et ce, avec un repos compensateur pour 5 dimanches travaillés et un plafond de 15 dimanches travaillés par an et par salarié afin de garantir le caractère exceptionnel du travail dominical. Après 5 mois de négociations sur ce projet plutôt avantageux pour les salariés, aucun accord n’a été trouvé avec les syndicats. Pour avancer aujourd’hui, si elle le souhaite, chaque enseigne devra lancer sa propre négociation. Celles des Galeries Lafayette se sont ouvertes en février avec une proposition de majoration du salaire de 200% (x3) et une vérification du volontariat régulière mise sur la table par la CGT. Mais la reprise des négociations est plus que timide, probablement à cause du résultat du referendum des salariés (qui avait seulement un poids consultatif) du BHV Marais : 640 voix contre l’ouverture, 627 pour et 533 salariés qui n’ont pas voté. Le projet d’ouverture au BHV Marais proposait un plafond de 15 dimanches travaillés pour les salariés en CDI, l'embauche d'équipes dédiées au week end et une majoration dégressive des salaires : 100% (x2) pour les 15 premiers dimanches et 50% pour les suivants.

La volonté de libérer le travail du dimanche dans les grands magasins parisiens était l’une des grandes avancées de la loi Macron et ce, alors que les touristes étrangers désertent désormais la France, le week end, pour faire leur shopping dans les grandes capitales européennes comme Londres et Berlin. Pour l’UCV, qui a échoué dans la négociation, cette dernière partait battue d’avance, la loi Macron ayant laissé trop de poids aux syndicats systématiquement opposés à l’ouverture. D’après l’Union, il aurait été préférable que l'ouverture le dimanche ait été préalable à la négociation : « Il faut simplement dire que le dimanche, on a le droit de travailler, et qu'un an après, on est obligé d'avoir négocié un accord et non le contraire ».[1]

Pour la FNAC, le projet prévoyait une majoration dégressive des salaires de 200% (x3) pendant les 12 premiers dimanches puis 100% (x2) pour les 40 suivants et ce, sans repos compensateur comme prévu dans la loi dite « du maire ». Etaient également négociées, la prise en charge des frais de taxi pour les salariés qui travailleront tard, la prise en charge par l’employeur d’une partie des frais de garde des enfants et la sûreté d’un volontariat réversible (réaffirmé ou infirmé tous les 3 mois). Seulement, si l’entreprise est parvenue à un accord avec la CFTC-CFDT et la CFE-CGC qui représentent 30% des votes, elle a dû faire face au veto de la CGT, de SUD et de FO qui, eux, représentent 50% des votes avec comme justification l’absence d’augmentation des salaires dans le groupe, l’inégalité que ces majorations salariales vont instaurer entre les salariés, le manque de volontaires et le fait que « 12 dimanches, donc 3 mois de l’année, sont déjà un sacré recul social[2] ».

Pour l’américain Apple, les négociations sont apparemment au point mort depuis les fuites dans les médias. Il semble que le problème portait sur la différenciation des régimes : par boutique, par zone et par dimanche. En effet, comme beaucoup d’enseignes, les magasins d’Apple sont répartis sur différentes zones avec différentes législations sur le travail le dimanche. Au final, les majorations de salaires varieraient entre 65 et 100% pour les salariés d’Apple travaillant le dimanche. Dans le cas des ZTI, le projet d’accord aurait mis sur la table une aide de 400 euros pour la garde d’enfant le dimanche et une réaffirmation du volontariat dominical tous les 6 mois.

Là où les négociations sont à la peine… mais avancent encore 

Sephora est l’une des enseignes qui avait relancé le débat sur le travail en soirée et le dimanche dès 2013 après qu’une intersyndicale non représentée dans l’entreprise et que le jugement de la Cour d’appel de Paris aient forcé le Sephora des Champs-Elysées à fermer ses portes à 21h. Pendant plus de 2 ans, les négociations ont perduré et c’est seulement depuis octobre 2015, suite à l’accord par référendum des salariés "pour" à 96%, que l’enseigne peut ouvrir sa boutique des Champs Elysées jusqu’à minuit. Grâce à ce travail de longue haleine, l’entreprise a déjà un accord prévoyant une majoration de salaire de 100% (x2) pour les heures de travail entre 21 heures et minuit et le volontariat des salariés. Cet accord servirait de base aux négociations sur le travail le dimanche dans les ZTI qui commencent à peine.  

Même chose pour son concurrent, Marionnaud, qui  dispose déjà d'un accord sur le travail en soirée pour sa boutique des Champs-Elysées, qui prévoit une majoration de salaire de 115% pour les heures de travail entre 21 heures et minuit. La négociation sur le travail du dimanche, commencée en novembre, avance toujours.

Chez le suédois, H&M et ses marques parallèles, les négociations continuent. Idem, chez Celio et chez l’Union de la bijouterie-horlogerie (Histoire d’Or, Marc Orian, etc.) qui représente 850 enseignes et 2.700 points de vente et qui peinent sur la négociation avec les syndicats. Evidemment, ces enseignes qui ne parviennent pas à trouver un accord avec leurs syndicats, restent fermées dans les centres commerciaux qui sont parvenus à un accord, comme le centre Beaugrenelle où le ministre Emmanuel Macron est venu inaugurer l’ouverture dominicale des soldes, lui-même : sur les 136 boutiques du centre, 23 restent fermés fautes d’accord.

Les négociations abouties 

Comme dit précédemment, le centre commercial parisien, Beaugrenelle, a ouvert le dimanche 3 semaines seulement après la promulgation du décret. Pourtant, pas de négociation éclair pour le centre qui dispose de beaucoup de petites boutiques de moins de 11 employés et de petites surfaces. « Dans ces cas, la décision se fait par référendum auprès des employés. Il n’y a pas besoin de négociations, ce qui facilite l’ouverture » (voir MétroNews). Résultat, alors que plus d’une dizaine de commerces (alimentation, bricolage ou cinéma) étaient déjà ouverts dans le centre, leur nombre était porté à 86 fin décembre et les ouvertures continuent. 50 employés auraient été engagés pour l’ouverture dominicale, les autres bénéficieraient d’une majoration de salaire de 100%[3]. Pour le reste, les négociations perdurent pendant l’ouverture dominicale.

Une négociation complètement aboutie, par contre, a été votée récemment par l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles (Baccarat, Boucheron, Cartier…). L’accord, obtenu en janvier 2016, se fait contre un engagement de la part des employeurs de créer 100 emplois directs et indirects. L’accord porte sur une majoration des salaires de 150% (x 2,5), une prise en charge des frais de garde des enfants de moins de 12 ans (avec un plafond annuel de 1.830 euros), une prise en charge par l’employeur du transport de retour au domicile pour les salariés terminant leur travail après 22 heures, un plafond de 26 dimanches travaillés par an et par salarié et que le travail dominical n’empêche pas aux salariés de participer aux scrutins publics. Au final, l’accord s’étend aux 220 enseignes que regroupe l’Union et qui peuvent désormais ouvrir le dimanche… à condition d’être dans leurs propres magasins puisque le personnel détaché dans des centres commerciaux ou grands magasins dépend également des accords négociés par ces derniers. Une demi-victoire donc.

L’enseigne Darty, quant à elle, précisait pendant les débats sur la loi Macron que le dimanche représentait 18% du chiffre d'affaires des magasins qui peuvent déjà ouvrir ce jour-là. Un premier projet d’accord prévoyant une majoration de salaire de 65% a échoué début octobre mais un accord, non divulgué, a été finalement trouvé : la création de 50 emplois en CDI, la sûreté du volontariat, un repos compensateur et le versement de primes pour les salariés travaillant le dimanche ont été décidés, permettant à l’enseigne d’ouvrir ses magasins parisiens en ZTI. Un accord illégal selon le regroupement de syndicats, Clic-P, qui manifeste encore contre avec le soutien de la mairie de Paris.

Le groupe Inditex qui détient notamment Zara (mais aussi Bershka, Oysho, Massimo Dutti, Pull & Bear et Stradivarius) pour 400 points de vente dont la moitié sont à Paris et qui emploient plus de 7.500 salariés, est aussi parvenu à un accord avec la CFDT et la CFE-CGC. L’accord prévoit une majoration de salaire de 110% le dimanche et de 100% en soirée (jusqu’à 21h30 en hiver et 22h en été) et ce, sans repos compensateur mais avec une prise en charge des frais de garde des enfants, le retour en taxi des salariés sans transports en commun en soirée et une réaffirmation du volontariat toutes les semaines Cet accord ne vaut qu’une fois « écoulées » les autorisations d'ouverture correspondant aux dimanches du maire, c’est-à-dire à partir du 13ème dimanche travaillé.

Du côté de chez Etam, un accord sur le travail dominical a aussi été trouvé avec les syndicats UNSA et CFE-CGC. L'accord prévoit une majoration de salaire de 100% avec un repos compensateur à prendre dans la semaine qui suit et toujours, sur la base du volontariat (les salariés se signalent auprès de l'employeur pour les dimanches où ils sont volontaires). 

La chaîne Nature & Découverte est, elle, aussi parvenue à un accord avec la CFTC, FO et la CGT qui prévoit une majoration de salaire de 100% et la vérification régulière du volontariat sur la base de l’accord préexistant pour ces boutiques déjà ouvertes le dimanche. En 2013, le tribunal de grande instance de Paris avait cependant interdit l’ouverture de la boutique du Bercy Village, ouverte depuis 10 ans le dimanche, ce qui avait forcé l’enseigne à renégocier un accord (et notamment au PDG de maintenir l’ouverture temporaire avec sa propre famille à la vente et à la caisse).

Conclusion

Ainsi, les contraintes d’application de la loi, les négociations forcées et à rallonge, les exceptions, les contournements, ont rendu le suivi des ouvertures dominicales impossible pour les citoyens et potentiels clients... et décourageant pour les entreprises. Les principaux freins à l'ouverture le dimanche, en plus de la difficulté de devoir négocier avec des partenaires opposés par principe sont :

  • Le poids financier des contreparties pour les salariés, imposées à la fois par la loi et la négociation. Quand on regarde le bilan des négociations ci-dessous, on comprend que l'intérêt pour une enseigne, d’une ouverture dominicale, peut être fortement diminué par les doubles (voire triples) rémunérations à verser pour ce jour de travail ainsi que les frais de garde des enfants et de taxis à couvrir par l’employeur ;
  • La vérification du volontariat qui penche plutôt pour une réaffirmation ou une infirmation toutes les semaines de la part du volontaire. Impossible, donc, pour l’employeur d’avoir une vision stable à long terme de sa gestion RH dominicale. L’américain Apple, avec une vérification du volontariat tous les 6 mois, est loin de parvenir à un accord. Mais pire encore, certains accords prévoient le plafonnement, pour le salarié, du nombre de dimanches travaillés, ce qui met à mal la notion de volontariat qui devrait permettre, à celui qui le souhaite, de travailler tous les dimanches de l’année ; 
  • La complexité des législations qui se superposent : ainsi, la majorité des négociations fait la différence entre les « dimanches du maire » (sur avis conforme de l'intercommunualité et nécessité d'une concertation dès le 6ème dimanche) pour lesquels des accords ont été négociés et ceux de la loi Macron pour lesquels il faut refaire tout le travail. Ainsi, Zara ne commence les majorations de salaire qu'à 110% et les avantages (frais de garde, taxis) qu’à partir du 13ème dimanche travaillé. Côté législation, la loi Macron a bien augmenté les ouvertures pour tous les commerces (mais l’ameublement, le bricolage et les jardineries disposent encore d’une législation à part) en faisant passer les « dimanches du maire » de 5 à 12 et en créant des zones touristiques internationales (ZTI), mais on compte toujours les zones d’ouverture dominicale commerciales, les frontalières, les périmètres d'usage de consommation exceptionnel (PUCE) et des zones touristiques simples qui permettent notamment au centre commercial de la Défense, Les Quatres Temps, d’être ouvert tous les dimanches de l’année depuis 2009. A chaque zone, sa négociation.

[1] Voir sur le site de l'Entreprise

[2] Voir sur le site du Figaro

[3] Voir sur le site de France Inter