Télémédecine en France : un pas en avant, un pas en arrière
Des opérations chirurgicales pourront, peut-être un jour, être effectuées à distance, mais en 2019, il est déjà possible de consulter un professionnel de santé par toute une gamme de moyens : téléphone, email, transmission d’images ou de données médicales, et véritables vidéo-consultations avec le support d’un médiateur près du patient (aide-médicale, infirmière, médecin).
La téléconsultation revient de loin : en 2010, une ouverture de principe a été mentionnée dans la loi HPST. En 2014, une possibilité d’expérimentation était introduite... mais il a fallu attendre 2019 pour qu'un cadre concret soit officialisé et financé. Problème ? Cette ouverture a été aussitôt entravée par un décret poussé par la CNAM afin de lutter contre un risque d'industrialisation. Ainsi, ce décret limite la téléconsultation à un médecin (traitant) que le patient aurait consulté physiquement dans les 12 derniers mois.
Diverses formes de télémédecine sont courantes depuis 10 ans au Canada, en Norvège, en Suède,en Suisse, en Australie, aux États-Unis ou au Groënland. Ces actes médicaux sont utiles pour les patients et les soignants pour des questions de délais, de temps et de déplacements. Pour le système de santé, l’objectif est d’améliorer les services et de réduire les coûts inutiles. En France, des expérimentations ont été conduites depuis 2005. La plupart de ces actes de télémédecine (téléphone, email, vidéo) ont été mis en place de façon informelle entre des patients et des médecins passionnés, dans des conditions incertaines de responsabilité, sans claire rémunération des professionnels, sans permanence 24/24. Et ils se sont arrêtés quand les porteurs de ces projets ont abandonné, découragés ou partis en retraite. De leur côté, des complémentaires santé, assureurs et mutuelles, ont mis en place des centres d’appel où leurs clients peuvent être conseillés, y compris par des médecins. Des initiatives intéressantes mais limitées, les complémentaires ignorant l’état de santé de leurs clients. Enfin, des entreprises de consultation en télémédecine sont apparues, avec un développement limité, leurs services (ex. Santéclair, Bewell connect, Dermadom, Pediatre-online..) n’étant pas pris en charge par la Sécurité sociale (CNAM) et rarement par les complémentaires santé.
Télémédecine
La télémédcine couvre les activités de téléconsultation, téléexpertise et télésurveillance. Deux principaux modes de prise en charge sont envisageables :
- Télémédecine programmée
- Télémédecine non programmée
L’organisation des téléconsultations ou téléexpertises programmées ne diffère pas de celles des consultations classiques. Les médecins peuvent fixer des heures de consultations, et les patients s’inscrire par téléphone ou sur l'un des sites spécialisés sur Internet pour être appelés. Dans les cas où soit l’état du patient soit la complexité de la consultation nécessitent l’intervention d’un médiateur près du patient, ce soutien devra être organisé simultanément. Ce mode de fonctionnement n’est pas révolutionnaire, mais peut être utile pour des patients résidant dans des endroits isolés.
Pour les consultations non-programmées, le système doit être organisé pour que le patient obtienne une réponse quand il en a besoin, soit 24/24, 7/7, 12/12, comme aux urgences. Une condition valable pour les malades, et aussi pour les médecins qui veulent consulter un confrère, et pour l’opérateur de radiologie ou de biologie qui veut que les informations qu’il a réunies soient expertisées. Il existe une très forte demande pour ce type de service, qu’il s’agisse de problèmes mineurs ou majeurs, la différence étant souvent a priori inconnue. Dans tous les domaines, les Français sont désormais habitués à obtenir ce qu’ils veulent dans de très brefs délais (commandes d'objets, de voyages, de repas, de services, d'inscription sur les listes électorales,...), c’est encore plus justifié pour la santé.
Le décret bloquant
Pour les téléconsultations programmées, les patients peuvent généralement consulter un médecin qu’ils connaissent. Pour les consultations non programmées, c’est généralement impossible.
Loi de finances de la Sécurité sociale 2019
« Pour toute téléconsultation, le patient doit être connu du médecin téléconsultant et avoir bénéficié d’une consultation physique au cours des 12 mois précédant la téléconsultation. Ces règles ne s’appliquent pas si le patient ne dispose pas de médecin traitant désigné ou si son médecin traitant n’est pas disponible dans le délai compatible avec son état de santé. Dans ce cas, la téléconsultation s’effectue dans le cadre d’une organisation territoriale. »
Quelques exceptions existent à cette règle, d'après le site d'Ameli :
- Dans le cadre d'un téléconsulation avec un spécialiste (gynécologie, ophtalmologie, stomatologie, chirurgie orale ou en chirurgie maxillo-faciale, psychiatrie ou neuropsychiatrie et pédiatrie),
- Pour les patients âgés de moins de 16 ans,
- Pour une situation d’urgence.
Cependant, au final, le recours à la téléconsultation relève de la décision du médecin (traitant, correspondant, selon les cas) qui doit juger de la pertinence d’une prise en charge médicale à distance plutôt qu'en face à face.
A noter qu'aucune mesure n'est prévue pour sécuriser et financer les consulations par téléphone ou Internet.
Système de santé cherche entrepreneurs
Pour fournir un service permanent, cinq personnes ne prenant ni vacances, ni formation, ni absence pour maladie assureraient juste la continuité. En pratique, il en faudrait sept ou huit. Et pour absorber les pointes de trafic de façon satisfaisante, des équipes de professionnels beaucoup plus importantes doivent être structurées. Les membres d’un même centre de téléconsultation ne seront pas nécessairement situés au même endroit, mais sont organisés pour assurer un service permanent. Les services de télémédecine ne surgiront pas de façon spontanée, mais devront être organisés dans les établissements de soins par les directions et dans le secteur libéral par des entrepreneurs, médecins ou non, tout comme l’a été SOS médecins. Une organisation qui répondra au désir de la majorité des nouveaux médecins qui souhaitent être salariés avant ou au lieu de s’installer en profession libérale.
Les établissements de soins doivent aussi s’adapter à la télémédecine et organiser des pools d’experts « de garde » : les médecins libéraux ou hospitaliers n’utiliseront pas ce service si un expert de la spécialité qu’ils veulent consulter n’est pas disponible immédiatement. Comme l’a montré le regroupement des urgences chirurgicales de nuit peu fréquentées dans la région parisienne, les services de soins et de consultations non programmés doivent avoir une taille minimum critique pour être efficaces. Ces centres de télémédecine devront avoir accès aux données de santé du patient, avec son autorisation, quand le dossier médical informatisé sera une réalité.
Conclusion
En restreignant son usage, les responsables politiques et la CNAM ont voulu éviter des abus dans l’usage des téléconsultations, et les médecins un détournement de leur activité, ce qui est logique. Des restrictions sur le nombre d’appels par personne auraient été préférables en n’entravant pas le développement de puissants centres de télémédecine capables de résoudre en partie le problème des urgences hospitalières surchargées et des déserts médicaux.