Téléconsultation : une conquête irréversible
La crise du Covid-19 a fait sauter une partie des obstacles mis en France au développement des téléconsultations médicales. Cette nouvelle pratique de consultation s’est soudain révélée indispensable aux malades, aux médecins de ville, aux urgences hospitalières, et aux responsables politiques. La tentation de revenir en arrière est forte dans l’administration, mais il lui sera difficile d’aller contre l’engouement des malades et des médecins pour cette pratique.
Parmi les diverses applications de médecine à distance (télé-médecine), les télé-opérations chirurgicales sont les plus spectaculaires, mais encore futuristes. La télé-surveillance de malades chroniques est déjà effective dans certains secteurs (ex. diabète, insuffisance respiratoire, problèmes cardiaques) mais est encore trop peu répandue. Les télé-consultations sont les plus simples à mettre en œuvre, et tous les patients et tous les médecins ont certainement souhaité y recourir, au moins une fois dans des circonstances exceptionnelles.
Tout comme les consultations actuelles au cabinet des médecins, ces consultations à distance peuvent être soit réalisées sur rendez-vous, soit sans-rendez-vous. Quand il s’agit d’un patient, il peut être seul, ou accompagné et guidé localement par un assistant, infirmière, aide-soignante ou proche. En plus du dialogue classique entre les deux parties, les examens réalisables pendant la consultation (poids, tension, rythme cardiaque, image photo, niveau de glycémie…) dépendent des équipements disponibles du côté du malade, qui vont d’un simple téléphone à une cabine de téléconsultation. Les médecins consultés peuvent être des praticiens libéraux, ou hospitaliers comme le montre TeleO mis en place dans l'urgence en Occitanie par l’ARS, pour les malades Covid et non Covid, preuve de l’utilité et de la généralité de ce service [1].
Pour estimer le nombre de consultations, on se limite ici aux plus classiques actuellement, entre les patients et les 100.000 médecins du secteur libéral de ville. En supposant que chaque médecin réalise 20 consultations par jour, une partie des 40 millions de consultations mensuelles sont candidates à la téléconsultation. En 2019, avec les anciennes règles restrictives imposées par le gouvernement, seules 10.000 consultations avaient lieu par mois. D’après l’assurance maladie, ce nombre a bondi à 486.369 pendant la semaine du 23 au 29 mars 2020, et à plus d’un million par mois. Le nombre de médecins qui réalisent des téléconsultations est passé lui de 3.000 à 40.000. Une évolution favorisée par les besoins urgents des patients liés au Covid-19, et la crainte de contagion des malades et des médecins. Mais un succès spectaculaire encore contraint par les freins administratifs, techniques et psychologiques qui existent encore du côté des médecins, des patients et de l'administration. Une moyenne de 4 millions de téléconsultations mensuelles soit 10% du total constituerait un progrès important pour les patients, les urgences, les médecins.
Total France | Nombre de médecins (hors hospitaliers) | |||
---|---|---|---|---|
| Généralistes Libéraux | Spécialistes | Salariés | Mixtes |
222.000 | 62.000 | 45.000 | 15.500 | 6.800 |
Pour la téléconsultation
Les besoins sont connus : manque de médecins dans certaines zones de campagne, de banlieue ou de ville, files d’attente aux services d’urgence des hôpitaux, et volonté naturelle des médecins de voir leur mode de vie rapproché de celui des autres Français de catégories socio-professionnelles équivalentes (week-end, nuit, vacances, lieu d’habitation, travail du conjoint, études des enfants). Des faits qui plaident pour créer un moyen d’accès à un pool de médecins disponibles en permanence, donc pour le développement de la télémédecine.
Plusieurs autres facteurs plus spécifiques renforcent cette vague :
- La multiplicité des spécialités médicales qui ne peuvent pas être disponibles sur toute la France, renforce ce besoin pour les patients, et pour les médecins qui ont besoin de prendre conseil d’experts plus spécialisés ;
- Les besoins de consultation qui varient beaucoup entre les différents secteurs géographiques selon les dates et l’évolution des épidémies (ex. grippe, Covid-19), et selon les migrations touristiques des patients (montagne, mer, campagne, manifestations sportives ou culturelles). Des pics et creux d’activité qui plaident pour une mutualisation maximum des précieuses ressources médicales ;
- La possibilité pour les Français habitant ou en déplacement à l’étranger, de consulter facilement des médecins résidant en France serait aussi un avantage significatif ;
- L’avantage pour les patients (et pour la planète) de ne pas avoir à se déplacer ou à déplacer le médecin. Un progrès considérable pour les personnes très âgées ou handicapées (des EHPAD par exemple), mais aussi pour celles qui habitent à 25 kilomètres ou à 45 minutes d’embouteillages du médecin ;
- Enfin, il ne faut pas négliger les exigences des patients, habitués aux livraisons « tout de suite », qui veulent, plus encore pour la santé, une réponse rapide à leur inquiétude sans attendre tout le week-end, le lundi matin, ou plusieurs semaines un rendez-vous.
Le succès à Paris et dans de grandes villes de services comme SOS médecins ou Urgence médicale de Paris confirme ce besoin. Le très faible prix de ces services (35 à 85 €) par rapport aux centaines d’euros que coûtent les consultations aux urgences des hôpitaux, pour des cas qui ne nécessitent pas le niveau technique des hôpitaux, milite pour le développement de divers services de filtres.
Par chance, depuis au moins 10 ans, les progrès des télécommunications et des images prises par un téléphone (un facteur 1.000 en débit et coût), rendent possible cette nouvelle façon de consulter en audio et vidéo.
Contre la téléconsultation
Pour les médecins et les patients, et pour la CNAM, la téléconsultation constitue un changement majeur qui impressionne a priori. D’abord sur le plan technologique. Les médecins qui ont déjà passé beaucoup de temps et d’efforts à informatiser leur cabinet, peuvent hésiter à se réinvestir dans ce domaine hors du cœur de leur profession. Mais c’est surtout sur le plan médical que leur hésitation existe, justifiée par leur refus d’une médecine au rabais et par les risques d’erreurs. Les patients de leur côté s’interrogent sur ces deux mêmes aspects : comment cela marche-t-il, et est-ce bien sérieux ?
Pour les autorités (gouvernement, CNAM, syndicats de médecins), la crainte est de savoir comment faire pour contrôler ce nouveau service : que va-t-il se passer si chaque coup de téléphone à un médecin est facturé comme une consultation ? Une crainte légitime mais qui pose le problème de la faiblesse de l’évaluation du service actuel des consultations en cabinet. La grande majorité des médecins sont payées 25 euros en secteur 1, indépendamment de la qualité du médecin, de la complexité du problème à traiter et des résultats constatés. Ce serait un progrès si l’irruption des téléconsultations conduisait à rénover le mode d’évaluation et de rémunération de toutes les consultations médicales.
Les autorités avaient aussi mis en avant leur crainte de voir les téléconsultations aggraver le problème des déserts médicaux, en risquant de priver les médecins installés dans ces territoires d’une partie de leur patientèle. En réalité, la situation de ces médecins serait améliorée par cette pratique : s’ils sont isolés à la campagne et sous-employés, ils pourront s’inscrire à des pools de médecins téléconsultants, et fournir des services à des malades dans toute la France, continentale et d’outre-mer ; et s’ils sont surchargés de travail, comme c’est souvent le cas, les téléconsultations pourront alléger leurs horaires.
Une autre crainte inavouée de la CNAM et l’Etat de se retrouver face à des entreprises de téléconsultations très dynamiques, moins faciles à manipuler que les médecins individuels et dont une partie s’installeraient dans des pays européens. La Belgique accueille déjà, financés par la France, une partie de nos handicapés et de nos personnes âgées qui ne trouvent pas de place en France. Plus la France sera en retard sur les téléconsultations, plus elle sera exposée à des délocalisations.
Consultations non programmées
Pour que les téléconsultations non programmées se développent, les patients doivent pouvoir appeler 24/24, et donc que le pool de praticiens consultables soit important. Idem pour les téléexpertises qui supposent des pools significatifs de spécialistes que les généralistes ou d’autres spécialistes puissent appeler quand ils en ont besoin, souvent alors même qu’ils sont encore avec leur malade. Ces médecins consultables peuvent ne pas être regroupés en un même endroit, et peuvent ne consacrer qu’une partie de leur temps à la télémédecine. Mais ces médecins doivent être formés à ce type de consultations, et, de préférence, aux pratiques du pool auquel ils contribuent. Le nombre de médecins des pools doit varier en fonction des jours et des heures, mais doit en moyenne disposer de dizaines de médecins actifs. Un nombre qui se comptera rapidement en centaines ou plus quand ce mode de consultation sera popularisé. Ces médecins peuvent être salariés des entreprises de téléconsultation[2] ou rester libéraux. L’entreprise peut, soit agir comme un simple organisme de mise en relation, soit sélectionner les médecins qu’elle propose.
Cette organisation en pool est tout à fait contraire aux règlementations pre-Covid qui exigeaient, sauf exception, que les téléconsultations soient faites par les malades auprès de leur médecin personnel. Une solution irréaliste encore pronée par les campagnes d'information officielle sur le Covid qui recommande d'appeler son médecin en cas de fièvre et toux. On imagine mal les médecins dérangés en plein milieu de leurs consultations par des appels téléphoniques, et une solution qui nie le cas des cabinets médicaux de plus en plus sur secrétariats groupés ou celui des cabinets médicaux fermés le week-end, la nuit et pendant les vacances.
Une autre forme de téléconsultation pourrait être organisée par des cabinets médicaux regroupant un nombre de médecins suffisant pour pouvoir assurer une permanence 24/24. Cela combinerait une sorte de personnalisation du médecin (on connait l’équipe), avec la certitude de pouvoir la consulter à tout moment. Un service encore amélioré si, avec l’accord du patient, tous les médecins de l’équipe étaient autorisés à consulter le dossier médical des personnes qui appellent. Des cliniques vétérinaires fournissent ce service à l’étranger et en France.
Consultations programmées
Du point de vue du médecin comme du malade, les consultations programmées sont organisées comme les consultations actuelles au cabinet du médecin ou chez le malade. Les organismes de réservation des rendez-vous et de mise en relation fournissent déjà les mécanismes techniques (salle d’attente virtuelle, facturation...) nécessaires. Il est tout à fait possible pour un médecin de réserver des plages horaires pour ses téléconsultations programmées, d’autres pour des non programmées et d’autres encore pour ses consultations physiques classiques qui restent incontournables dans de nombreux cas.
Mars 2020 : réforme des conditions d’accès aux téléconsultations « À titre exceptionnel durant cette période de crise sanitaire, la téléconsultation peut se faire avec un médecin que l’on ne connaît pas et que l’on peut par exemple choisir sur l’un des nombreux sites internet dédiés à la téléconsultation médicale. » |
Conclusion
La santé est une préoccupation très importante pour les Français. Une partie de son amélioration dépend de la qualité du système de soins, très consommateur de moyens humains. Le coût de cette ressource, spécialisée ou non, augmente rapidement. Les professionnels de santé estiment que les dépenses de santé devraient augmenter de 4% par an. À ce rythme, la charge des dépenses de santé déjà record en France, deviendrait vite insupportable. Seule l'utilisation de la technologie peut permettre de maîtriser les dépenses de santé tout en améliorant la qualité du service rendu. Depuis des années, des complémentaires santé françaises ont promu l’usage de la téléconsultation, sans soutien ou contre l’avis de la CNAM, confirmant l’avantage de la diversité et de l'émulation aussi dans le domaine de l’assurance santé. A l'étranger, les pays vastes (Canada, Australie, Suède, Groenland) l'utilisent depuis longtemps. Des pays moins vastes mais avancés comme le Danemark ou l'Estonie, aussi. Aux Etats-Unis de puissants assureurs privés fournissaient déjà ce service, et le Président des Etats-Unis vient de décider que les assureurs publics devaient les rejoindre. En Allemagne, un au moins des quatre principaux assureurs (Allianz) proposait déjà cette facilité. Les assureurs publics ont aussi commencé à le faire.
Le retard mis par le système de santé français à l’utiliser témoigne de sa réticence face aux technologies modernes dès qu’elles touchent à son fonctionnement[3] (ex. dossier médical informatisé, analyse des données de santé, télémédecine). Une fois la crise Covid pasée, il sera bien sûr impossible de revenir en arrière sur les téléconsultations, plébiscitées par les patients et de nombreux médecins. Il fauda au contraire élargir son champ d’utilisation et la promouvoir auprès des patients et des médecins.
[1] La possibilité de consulter à distance des infirmières et d’autres professionnels de santé sera une extension logique de ce service.
[2] Beaucoup de jeunes médecins disent vouloir être salariés, au moins pour un temps
[3] Les progrès techniques strictement médicaux sont eux souvent initiés ou appliqués rapidement par les professionnels de santé français.