TASCOM, la majorité n'assume toujours pas le CICE
Les députés de la majorité ont choisi leur camp : ils veulent « corriger l'effet d'aubaine du CICE » sur la grande distribution ou, en clair, supprimer au maximum le CICE de la grande distribution en la taxant via la TASCOM (taxe sur les surfaces commerciales). Au risque de mettre à plat complètement la logique du gouvernement qui voulait cibler les emplois peu qualifiés (et donc ceux de la distribution) pour avoir un effet rapide et significatif sur le chômage… Un calcul qu'il aurait pu expliquer à sa majorité qui semble ne l'avoir pas compris. Finalement, ce sera la double peine : on ne favorisera pas l'émergence d'emplois à forte valeur ajoutée (le CICE est plafonné à 2,5 smic) et pas, non plus, les emplois faiblement qualifiés. L'Assemblée a tout faux dans cette affaire. Mieux vaudrait revenir à des principes simples qui ne puissent pas être taxés d'effet d'aubaine : baisse des charges pour tous et fin de l'instabilité fiscale. Et, en prime, arrêter cette mascarade qui se joue en permanence autour des fameuses « contreparties ». La contrepartie de vouloir encore entreprendre en France, dans ces conditions plus qu'instables, devrait être de ne surtout pas extorquer en plus des « contreparties ».
Taxe sur les surfaces commerciales : sont assujettis à la TASCOM Les commerces exploitant une surface de vente au détail de plus de 400 m², et réalisant un chiffre d'affaires hors taxe de plus de 460.000 €. La taxe est déductible du résultat fiscal de l'entreprise. Suivant le chiffre d'affaires annuel par mètre carré, la taxe due se situe entre 5 euros et 34 euros par mètre carré. Le montant de la taxe est majoré de 30% pour les établissements de plus de 5.000 m², réalisant un chiffre d'affaires annuel HT au m² supérieur à 3.000 euros.
Donner ou prendre ? Alléger les charges ou taxer plus ?
Les députés de la majorité ont encore frappé avec cette nouvelle mesure visant à augmenter de 50% la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) pour les surfaces de plus de 2.500 m² et ce, pour une recette espérée de 200 millions d'euros, histoire d'annuler les effets bénéfiques du CICE dans la grande distribution [1].
« Cette majoration pourrait rapporter une somme non négligeable de l'ordre de 200 millions d'euros. (…) et peut conduire à un niveau de prélèvement comparable à l'effet positif du CICE pour ces entreprises, effet qui repose sur un effort de l'État » a déclaré la députée Marie-Françoise Bechtel qui a déposé l'amendement.
Les parlementaires viennent ainsi d'inventer un nouveau concept : ils ne taxent pas vraiment plus puisqu'ils taxent un allégement de taxes… Cette nouvelle entorse à l'engagement du gouvernement de ne plus augmenter les impôts fait bondir toute la profession de la grande distribution.
En premier lieu Michel Edouard Leclerc qui demande, à juste titre, si on est "dans un pays de fous". Et ajoute :« Si on fait le calcul, c'est même limpide ! Hausse de la TASCOM (200 millions) + hausse de cotisations pour les distributeurs (cf. la loi de finances sur la Sécu le mois dernier, +180 millions) + ce qui se prépare avec la loi sur l'environnement (sacs plastiques, transport de marchandises…) : on arrive à un effet zéro du CICE pour le commerce dès 2015. Rien d'étonnant. Malgré les dénégations, gouvernement et parlementaires cherchent depuis l'origine à annuler les effets du CICE. On en vient même à se demander pourquoi ils l'ont voté ! »
Il est vraiment dommageable que la majorité parlementaire se comporte toujours comme si elle était encore dans l'opposition en défendant les amendements les plus farfelus qui vont, en plus, à l'encontre de la politique du gouvernement.
Si le problème était vraiment, comme le disent les défenseurs de cet amendement, que les grandes surfaces sont en situation de quasi-monopole et ne sont pas exposées à la concurrence internationale avec « une position particulièrement favorable qui contribue dans une large proportion à leur chiffre d'affaires », que n'ont–ils décidé de taxer La Poste, première bénéficiaire du CICE avec 297 millions pour 2013 et 445 millions pour 2014. Heureusement, la surface moyenne des bureaux de la Poste fait entre 200 m² et 400 m² de surface commerciale. Et en dessous de 400m², pas de TASCOM.
Pas de TASCOM non plus (ni de TASCOM majorée) pour la SNCF ou EDF qui bénéficient pourtant respectivement de 120 et 70 millions de CICE… Faut-il aussi rappeler que l'utilisation du CICE dans ces grandes entreprises permet à l'État de se distribuer de confortables dividendes - dont la distribution n'aurait pas été possible autrement, en tout cas par La Poste ?
En fait, les parlementaires n'assument toujours pas le CICE et il apparaît encore plus clairement, comme nous l'avions déjà souligné, qu'une baisse des charges sur l'ensemble des salaires aurait été bien plus intelligente et rapide que ce crédit d'impôt sur l'IS qui est, somme toute, bien mal fagoté. En plus d'être mal ficelé, le CICE porte en lui la plus grande tare : celle d'être une niche fiscale. Le gouvernement a d'ailleurs choisi cette formule alambiquée car elle permet de reporter la charge budgétaire à plus tard, le dispositif atteignant très progressivement sa vitesse de croisière [2]. Dommage que, même au sein du patronat, il ait été préféré de conserver ce dispositif tel quel plutôt que d'opter pour la simplicité.
Le CICE a le même travers que le bouclier fiscal : celui du chèque, du remboursement, autrement dit dans le langage parlementaire du « cadeau » fait ici aux entreprises (hier aux riches pour le bouclier fiscal).
L'augmentation de la TASCOM est contraire à la Constitution
Le principe constitutionnel d'égalité devant la loi, et les charges fiscales en particulier, s'oppose à ce que les règles soient contraires aux objectifs poursuivis. Un exemple récent est fourni par la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 ayant déclaré la taxe carbone contraire à la Constitution. On se rappelle en effet que la taxe carbone, telle qu'elle avait été imaginée par le législateur, comportait de nombreuses exemptions, à tel point que le Conseil avait relevé que moins de la moitié des émissions se trouveraient taxées. Notant que l'objectif de la contribution carbone est de « mettre en place des instruments permettant de réduire significativement les émissions » de gaz à effet de serre afin de lutter contre le réchauffement de la planète, et que d'autre part, aux termes de l'article 2 de la Charte de l'environnement : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », le Conseil juge que, « par leur importance, les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ». On ne se trouve pas dans un cas où « l'exemption totale de la contribution peut être justifiée si les secteurs économiques dont il s'agit sont spécifiquement mis à contribution par un dispositif particulier ». Le principe constitutionnel appliqué est ainsi énoncé : « Considérant que, conformément à l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être assujettis les contribuables ; que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d'inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, pourvu que les règles qu'il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ».
Au cas de la TASCOM, l'Assemblée nationale justifie l'augmentation de la taxe, qui ne s'applique qu'aux grandes surfaces commerciales, essentiellement pour deux motifs : la correction d'un effet néfaste du CICE qui ne devrait pas avantager les entreprises non soumises à la concurrence internationale, et le désir de mettre un frein aux « effets d'aubaine » dont profiteraient les grandes surfaces en recevant des incitations fiscales pour faire des dépenses qu'elles auraient faites de toutes façons.
Aucun de ces objectifs n'est juridiquement recevable. Indépendamment de l'inexactitude du premier (les grandes surfaces sont bien soumises à la concurrence internationale, et la compétitivité n'est pas le seul motif du CICE, qui mentionne aussi l'emploi), ni l'absence prétendue de concurrence internationale ni la présence de possibles effets d'aubaine ne sont spécifiques des grandes surfaces commerciales. En appliquant à ces dernières et à elles seules une augmentation de taxe qui serait justifiée par ces deux caractères alors que ces derniers ne leur sont pas spécifiques, les règles ne sont pas conformes aux objectifs et il est porté atteinte au principe d'égalité devant les charges. Le Conseil constitutionnel devrait déclarer la mesure contraire à la Constitution.
Conclusion
Ce qui s'est passé mardi soir à l'Assemblée est un très mauvais signal. La Fédération du commerce et de la distribution (FCD) a déjà annoncé la suspension de l'accord sur les contrats de génération (30.000 embauches de jeunes programmées sur trois ans) et l'annulation de toutes les négociations sociales en cours…
L'estimation du secteur est que le CICE aurait permis en 2013 la création de 14.000 emplois. Il se pourrait bien que toutes les créations d'emplois liées au CICE soient gelées à partir de maintenant dans le secteur : « Nous n'acceptons pas d'être à nouveau ponctionnés, alors que le commerce est déjà le secteur économique le plus imposé en France, avec plus de 80 taxes. La création de ce nouvel impôt va se traduire par la suppression de 8.000 emplois au moins », a déclaré la FCD.
Un secteur d'ailleurs déjà matraqué, comme l'a rappelé ce jeudi, sur BFM Business, le délégué général de la FCD, Jacques Creyssel, puisque à la hausse de la TASCOM s'ajoute l'annulation partielle des baisses de charges que le secteur attendait au niveau du SMIC grâce au CICE : « c'est fini ça a été remis en cause ; le gouvernement a changé le mode de calcul pour la grande distribution, l'été dernier, ceci a été purement et simplement annulé… par un mécanisme dit d'intégration des temps de pause » (consulter le verbatim de l'intervention ci-joint).
Par ailleurs, l'augmentation de la TASCOM reviendrait à une augmentation de la fiscalité représentant 0,8% du chiffre d'affaires du secteur des grandes surfaces lorsque les marges réalisées n'en représentent que 1%.
Tout cela arrive au pire moment, alors même que le chômage remonte, que le gouvernement vient de se ré-ré-engager à ne pas augmenter les impôts, ni à poursuivre l'instabilité fiscale… et ce sans même parler de la vraisemblable inconstitutionnalité de la mesure de majoration.
[1] Voir les amendements identiques n°440, 494 et 498, dont la discussion a eu lieu après l'article 15 du PLFR (2) 2014, lors de la troisième séance du mardi 2 décembre 2014
[2] Même si le retraitement des crédits d'impôt en dépenses, dans le cadre de la norme de comptabilité nationale SEC 2010 a tordu le cou à ce bel édifice : le crédit doit être rattaché à la date de son engagement et non de sa consommation budgétaire effective… il est du même coup devenu tout à la fois utile en trésorerie, mais nuisible dans le cadre de la présentation de nos objectifs de finances publiques au niveau européen.