Système de soins : vers une rectification des frontières
Agnès Buzyn, ministre de la Santé l’a confirmé : 1) 30% des actes médicaux pratiqués en France sont inutiles, 2) notre système de santé est trop hospitalo-centré. Un diagnostic sévère et consensuel qui justifie sa décision d’engager la «Stratégie de transformation de l’ensemble du système de santé globale, cohérente, méthodique». Si l‘hôpital, avec sa concentration de personnels, de bâtiments et de malades focalise les mécontentements, c’est l’organisation globale du système que la ministre veut changer.
La médecine de ville devra « répondre à des patients qui n’ont rien à faire aux urgences », tout en déléguant plus de responsabilités aux autres professionnels de santé. À l’autre extrémité, les secteurs de soins de suite devront « accueillir des malades qui n’ont plus rien à faire à l’hôpital ». Résultat, « à l’hôpital, nous sommes arrivés au bout d’un système.». Chaînons du milieu, les hôpitaux, verront leur activité recentrée sur leurs missions essentielles. Une évolution, rendue déjà inévitable par le développement spectaculaire des soins et de la chirutrgie ambulatoires, qui réduisent par un facteur deux ou trois les durées de séjour à l'hôpital. Et une confirmation que c’est en améliorant notre système de santé que ses problèmes actuels seront résolus, pas en espérant plus de moyens qui n’existent pas.
Note : le terme « hôpitaux » est utilisé pour désigner l’ensemble des établissements de soins (hôpitaux publics, hôpitaux privés, cliniques privées), chaque catégorie pouvant être impactée de façon différente par la réforme suivant ses caractéristiques.
« Entrer dans un CHU pour une grippe ou une appendicite ordinaires, c’est comme faire entretenir sa Twingo dans un garage Ferrari ». Ce célèbre aphorisme résume une grande partie des problèmes de notre système de soins, et plaide pour que chaque structure intervienne là où elle est la plus efficace, en fonction du type et gravité des problèmes de santé des patients[1]. D’où, par exemple, le report d’une partie des tâches des hôpitaux sur les médecins de ville et sur les établissements de soins de suite. Une tendance à la spécialisation qui nécessite par contre le renforcement de la coordination entre les différents acteurs.
Situation actuelle
En plus de la prévention qui est un sujet à lui seul, cinq problèmes sont régulièrement dénoncés comme devant être améliorés rapidement : actes inutiles, qualité des soins, urgences, suivi des ALD, soins de suite.
Actes inutiles
Parties prenantes : Médecine de ville, Hôpitaux, Établissements de soins de suite, Hôpital à domicile.
Tous les intervenants sont concernés par les 30% d’actes inutiles qu’il faut réduire d’urgence et qui se répartissent en trois catégories : les doublons (ex. images médicales, analyses, consultations), les actes non-pertinents (ex. traitements ou opérations inefficaces ou non justifiés) et les nuisibles. Les doublons se produisent faute de communication entre centres médicaux (le médecin traitant n’est pas informé des traitements administrés par ailleurs à son patient, l’établissement de soins ne connaît pas les suites de son intervention), par défiance (leurs analyses ne sont pas fiables) ou par intérêt (rentabiliser le scanner). Pour les actes non-pertinents, Agnès Buzyn a cité le cas des opérations de l’appendicite ou des amygdales dont la fréquence varie du simple au double selon les départements. Une dérive qui n’est pas cantonnée aux soins mineurs, la ministre ayant qualifié certains traitements de cancer du sein de « très hétérogènes et problématiques » et des écarts de pratiques en cardiologie « qui n’ont pas de sens ». Des faits recensés régulièrement par l’IRDES dans son Atlas des variations des pratiques médicales et qui posent la qurestion de la compétence et de la responsabilité du payeur CNAM. Enfin, les actes inutiles sont toujours un peu ou très nuisibles pour la santé des malades, et toujours pour les finances des payeurs.
Qualité des soins
Parties prenantes : Médecine de ville, Hôpitaux, Établissements de soins de suite, Hôpital à domicile ou en EPHAD.
Après l’utilité des soins, c’est leur qualité qui est en cause. Une dimension très peu prise en considération actuellement, les évaluations réalisées par le ministère de la santé, par exemple dans les établissements de soins, portant sur les moyens mis en œuvre et très peu sur les résultats[2].
Ce sujet se conjugue logiquement à celui du financement des soins. Rémunérer les professionnels de santé suivant l’efficacité de leurs interventions serait urgent. Mais seules les séquences complètes de soins peuvent donner lieu à des évaluations pertinentes : une parfaite intervention chirurgicale peut être gâchée par des soins de suite inadaptés, et des soins de suite très performants ne peuvent pas compenser des opérations défectueuses.
Permanence des soins et urgences
Parties prenantes : Hôpitaux, Médecine de ville
Les hôpitaux publics se plaignent, à juste titre, d’accueillir aux urgences trop de patients (au moins 50%), dont la pathologie ne justifie pas leur intervention. Mais ils sont aussi réticents à voir écorner leur domination dans ce secteur, porte d’entrée de leurs autres services. Quand il existe un choix, ils « suggèrent » d’ailleurs généralement aux services d’urgence (pompiers, ambulances, SAMU) de diriger les malades vers les urgences hospitalières. Mais l’organisation de la médecine libérale encourage aussi ce recours puisque, dans le secteur de ville : 1) il faut avancer le prix de la consultation, et 2) la permanence des soins n’est pas partout bien assurée et les cabinets de ville sont rarement équipés pour traiter les « petites » urgences.
Maladies chroniques
Parties prenantes : Hôpitaux, Médecine de ville
Avec les progrès de la médecine et le vieillissement de la population, les maladies chroniques sont devenues un problème critique pour la santé des personnes et pour le niveau des dépenses. En 2015, la moitié des coûts pris en charge par l’assurance-maladie étaient consacrés aux personnes en ALD, soit 96 milliards d’euros. Le surcoût pour la CNAM de la prise en charge à 100% des soins strictement liés à l’ALD était de 14 milliards d’euros. Quatre ALD touchent plus de 1 million de personnes : Pathologies cardio-vasculaire (2,6M), Tumeurs malignes (1,7M), Diabète (1,6M), Affections psychiatriques (1M). Détectées soit à l’hôpital dans une phase critique, soit par la médecine de ville, le choix du mode de suivi du malade est critique à tous les points de vue (malades, professionnels de santé, financier) : médecin généraliste, médecin spécialiste, infirmière, hôpital, en téléconsultation ou au cabinet du professionnel.
Pour optimiser cette suite de traitements, le partage des informations est indispensable. C’est à l’État sur un plan général mais aussi aux professionnels de santé et aux assureurs de faire comprendre concrètement aux assurés qu’ils ont un intérêt majeur à ce que les professionnels de santé connaissent leurs antécédents de santé. C’est évident pour les cas de problèmes de santé inopinés alors qu’ils sont loin de leur médecin habituel. Mais c’est aussi nécessaire à leur domicile habituel, les médecins étant inévitablement indisponibles les quatre cinquièmes du temps, même ceux qui travaillent 50 heures par semaine.
Soins de suites
Parties prenantes : Hôpitaux, Établissements de soins, Hôpital à domicile ou en EPHAD
La place de ces structures de soins de suite est remise en question pour trois raisons. Trop de malades qui n’ont plus besoin d’être pris en charge continuent à occuper des places dans des hôpitaux de pointe, et les médecins hospitaliers se plaignent de passer beaucoup de temps à trouver une place pour ces malades. Enfin, les écarts de coûts entre une journée à l’hôpital et une journée dans des établissements de soins de suite, de rééducation, des EPHAD ou en hospitalisation à domicile, sont considérables, variant en moyenne de 1 à 20.
Objectifs
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Conclusion
D'après Les Echos du 5 juin 2018, le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) va proposer un scénario de rupture, où les hôpitaux cesseraient d'être le centre de gravité du système. Une perspective conforme à l'orientation définie par Agnès Buzyn, Avant même ce rapport, «Abattre les murs de l’hôpital, ouvrir l’hôpital sur l’extérieur, passer de l’hôpital forteresse à l’hôpital interface» était déjà présenté, y compris par le syndicat des hôpitaux publics (FHF), comme la solution pour atteindre les cinq objectifs ci-dessus. Mais sans qu’on sache le sens à attribuer à ces propositions. S’agit-il pour les malades d’accéder plus facilement à l’hôpital, ou pour les professionnels de santé de ville d’y entrer plus facilement pour soigner, pour les professionnels de santé des hôpitaux d’en sortir plus facilement pour soigner en dehors de hôpital, ou simplement de fluidifier le parcours de soins et l’échange des informations entre l’hôpital et la ville ?
En pratique, les hôpitaux ne pourront pas se décharger de leurs tâches indues tant que la médecine de ville et les diverses filières de soins de suite ne sont pas prêtes à prendre en charge les personnes qui relèvent de leurs compétences. La chaîne de soins comportera souvent plus de cinq maillons : infirmier, médecin généraliste, médecin spécialiste, établissement de soins, soins de suite. Sauf exception, ni les filières de soins ni la répartition des revenus des «séquences de soins» entre les différents intervenants ne se mettront en place, et surtout ne perdureront, spontanément en autogestion. Des établissements de soins, des assureurs, des associations de malades, des coaches santé, ou des médecins peuvent prétendre au rôle d'organisateur des séquences de soins. Avec les Groupements hospitaliers de territoire (GHT), les hôpitaux publics sont tentés par ce rôle, surtout si leur activité est réduite par la réforme annoncée par Agnès Buzyn et par la chirurgie ambulatoire. Un danger bien perçu par les autres acteurs[5].
Pour la médecine de ville, le défi est structurel. Bien qu'il s'agisse d'un domaine où «l'intérêt général» sera mis en avant par tous les intervenants, la distribution des rôles ne se fera pas sans conflits. Pour s'en convaincre, il suffit de constater, dans ce même secteur, l'âpreté de la concurrence Pompiers/SAMU sur le marché des urgences.
Les syndicats des médecins libéraux généralistes et spécialistes devront prendre ces problèmes à bras le corps, au risque d’être évincés par des médecins salariés des hôpitaux ou des communes, pas seulement dans les cas d’urgence. Ces extensions des services hospitaliers ont été évoquées, d’abord pour les « déserts médicaux » des villes[3] et des campagnes, mais se propageront si la médecine libérale ne rend pas le service qu’attendent les patients. La multiplication des « maisons de santé pluridisciplinaires » mises en place non pas par des professionnels de santé entreprenants, mais financées et gérées par des communes ou des hôpitaux publics, constitue une menace claire pour la médecine libérale. D’autant plus qu’une majorité de jeunes médecins déclarent souhaiter être salariés. Les médecins libéraux ont très peu de temps pour sauver la médecine que plébiscite les patients, à la fois libétrale et organisée.
[1] Sachant que des établissements petits mais spécialisés peuvent aussi être très performants.
[2] Mis à part quelques cas spectaculaires mais très peu nombreux.
[3] Livre de Martin Hirsch, directeur des 37 hôpitaux de Paris (APHP)
[4] Les infirmiers font des études de niveau maitrise, sans que cela ait encore changé leur activité professionnelle.
[5] Jean-François Thébaut, cardilogue, ancien membre de la HAS : « Je suis malheureux d’entendre que la solution pour assurer la survie de l’hôpital est d’aller chercher en ville les moyens de sa restructuration. »
[6] Qui sélectionnent effectivement les meilleurs mais pas forcément en médecine.
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Réactions
Sujet : Le système de soins.
Commentaire : Revoir revoir le fonctionnement des hôpitaux et ses relations avec l'ensemble des autres acteurs du système de soins est sûrement une bonne chose.
Toutefois, très certainement aucune réforme ne sera efficace si les collectivités locales qui ont un rôle à jouer dans le fonctionnement des hôpitaux publics (les maires ne sont-ils pas présidents des conseils de surveillance des hôpitaux ?) ne sont pas responsables des déficits des établissements publics.
Chaque année plusieurs centaines de millions d'euros sont accordées par l'État pour permettre aux hôpitaux publics de conserver leur équilibre budgétaire.
La tarification à l'activité devrait normalement suffire à permettre aux hôpitaux publics de trouver leur équilibre financier. Les tarifs qui ont été élaborés pour chaque pathologie par des groupes de travail sur la base des coûts générés par chaque activité pourraient peut-être être réajustés en fonction de l'évolution des techniques et des matériels.
Les sommes allouées aux missions d'intérêt général (MIGAC), sont là pour compenser certaines missions. de plus les établissements publics et associatifs peuvent recevoir des dons. Les politiques locaux ne s'en privent pas, c'est bien pour leur image !…
Néanmoins, nombre d'hôpitaux publics n'arrivent pas à boucler leur budget annuel. L'expérience montre Que les collectivités locales ont des responsabilités dans les dérapages budgétaires. Il est plus facile de faire payer les autres (et dans ce cas l'Etat) plutôt que d'inviter les établissements dans lesquels ils ont la responsabilité, à se restructurer. Ce qui serait de nature à leur coûter quelques voix aux prochaines élections.
L'État qui aujourd'hui compense les déficits des hôpitaux publics à coup de centaines de millions, pourrait allouer ces sommes aux collectivités locales qui auraient pour ambition de réduire les déficits des hôpitaux publics en même temps que les sommes allouées par l'État diminueraient.
Pour avoir sondé l'opinion de quelques élus, je sais qu'ils ne seront pas favorables.
La mise en œuvre d'une telle réforme ne devrait pas au départ susciter l'opposition des syndicats qui sont très puissants dans la fonction publique hospitalière.
Je reste disponible (avec 45 ans d'expérience dans ce domaine) pour apporter l'ensemble de mes réflexions.
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Sujet : système de soins
Commentaire : Le problème des doublons n'est pas pas nouveau. Voilà une dizaine d'années j'ai été opéré d"une
varice. Je suis arrivé à la clinique avec un doppler récent mais cet établissement m'a obligé à un
subir un autre. C'est le contrôle médical qui est déficient dans ce domaine.
Concernant les urgences un meilleur suivi à l'arrivée des malades à l'hôpital devrait permettre une
sélection des véritables urgences et des cas bénins relevant de la médecine de ville.
Pour des raisons politiques ce tri n'est pas effectué car les malades proviennent essentiellement
des banlieues où l'on considère que la médecine est gratuite, en France, et ne sont pas forcément
en règle pour le parcours de soins, donc soignés gratuitement, en raison de "l'urgence".
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Sujet : Système de soins
Commentaire : Article intéressant, mais comment faire évoluer ce paquebot, sans moteurs? Car il faudrait trouver des leviers financiers pour avancer, et ce n'est pas la participation des communes à la direction de l'hôpital qui aidera!
Aucun des acteurs cités n'a intérêt à l'évolution souhaitée, c'est cela qu'il faut changer.
On devine bien que les petites mains du système trouveraient avantage à plus d'autonomie si la rémunération suit. Cela suffit il à rendre les médecins plus disponibles, pas évident il en manque...Il y a bien évidemment les mutuelles qui pourraient pousser à l'économie, mais la fonction publique ne le veut pas.
Et puis il y a le numérique, un vrai scandale d'avoir à trimballer carnet de vaccinations(!), et résultats d'examens . Je viens de découvrir suite à une erreur que la télétransmission de mon docteur ne va pas à la sécurité sociale, mais ailleurs pour y être reprise manuellement (d'où l'erreur!) pour envoi à ma caisse de S.S.!
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Sujet : Désert medical
Commentaire : Je suis dentiste, je travaille dans un désert médical et j’ai quatre mois de délais de rendez-vous. Néanmoins, je refuse d’appliquer ces nouveaux tarifs, qui vont m’obliger à faire des soins de mauvaise qualité. J’ai donc décidé de quitter mon cabinet et la France pour exercer dans un pays où j’aurais plus de reconnaissance.
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