Stages : le quota n'est pas la bonne solution
La proposition de loi [1] tendant à renforcer l'encadrement des stages et les conditions d'accueil des stagiaires a été votée à l'Assemblée nationale et doit désormais passer au Sénat. La législation des stages a fait l'objet d'une accumulation de réformes sans précédent : un certain nombre de lois et de mesures réglementaires ont été adoptées en 2006, 2009, 2010, 2011, 2012 et enfin en 2013. Par ailleurs, rappelons que les partenaires sociaux ont conclu le 7 Juin 2011 un accord national interprofessionnel pour mieux encadrer les stages en entreprise.
D'après une enquête menée par l'association pour l'emploi des cadres (APEC) en 2012, on constate que 18% des jeunes diplômés se sont vu proposer un emploi suite à leur stage. Plus encore, selon cette même enquête, la réalisation d'un stage de qualité encadré et en lien avec la formation suivie favoriserait l'accès des jeunes diplômés à un premier emploi. C'est un véritable outil de formation intégré au cursus scolaire de l'étudiant pour lequel il faut aujourd'hui inciter les employeurs à accueillir des stagiaires dans leurs structures. Si le texte proposé par la député Mme Chaynesse Khirouni vise à améliorer la qualité des stages, ce dernier souffre néanmoins d'un vrai problème de fond : l'instauration d'un quota de stagiaires rapporté à l'effectif global de l'organisme d'accueil, qui devrait être établi par décret à 10%, et la limitation à 6 mois de stage sont des règles trop contraignantes. Ces dispositions risquent de dissuader les employeurs des secteurs privé et public d'accueillir un stagiaire d'une part et de porter préjudice aux étudiants d'autre part…
Des stages mieux rémunérés dans le secteur privé que dans le secteur public
Le rapport annuel de 2010 sur l'état de la fonction publique [2] démontre qu'il existe des disparités dans les conditions de stage des étudiants entre la fonction publique et le secteur privé.
En effet, le secteur privé indemnisait 49% des jeunes pour leur stage contre 35% dans la fonction publique. L'étude montre par ailleurs des disparités par niveau de diplôme : les jeunes diplômés de master perçoivent plus souvent une indemnité de stage dans le privé (72%) que dans la fonction publique (41%). L'écart est encore plus élevé pour les étudiants ayant obtenu une licence : seuls 17% ont perçu une indemnité de stage dans la fonction publique contre 49% dans le privé.
Plus encore, selon l'étude, l'indemnisation moyenne des stages dans la fonction publique est plus faible que celle des stages dans le secteur privé. 70% des jeunes dont le stage s'est déroulé dans la fonction publique ont un niveau d'indemnisation inférieur à 400 euros ; c'est le cas pour 53% des jeunes dans le privé.
Toutefois, depuis la loi du 22 Juillet 2013, la rémunération du stagiaire est obligatoire même dans le secteur public. En outre, la proposition de loi a pour objectif d'harmoniser les conditions de stage pour tous les organismes d'accueil tant du secteur privé que du secteur public. Il est plus que nécessaire de supprimer les inégalités de traitement entre stagiaires du privé et stagiaires du public.
Tableau récapitulatif des droits des stagiaires avec la PPL selon l'organisme d'accueilUne démarche qualitative
La législation prévoit actuellement que les stages ouvrent droit au versement d'une gratification si leur durée est supérieure à deux mois. La PPL renforce cette disposition puisque cette gratification sera due au stagiaire à compter du premier jour du premier mois de la période de stage en milieu professionnel. Par ailleurs, les stagiaires auront également droit aux tickets restaurants et à une prise en charge partielle des frais de transports. Nous constatons le caractère positif de ces mesures qui viennent ainsi améliorer la qualité des stages. Rappelons que ces conditions nécessaires doivent s'appliquer aussi bien dans les entreprises du secteur public que dans les entreprises du secteur privé.
Enfin, la signature du protocole d'insertion professionnelle des étudiants par Michel Sapin et Geneviève Fioraso vient compléter la PPL. En effet, cet accord mobilisant les missions locales, les services de l'APEC et Pôle emploi a pour objectif de préparer les jeunes issus de l'enseignement supérieur à l'insertion professionnelle et de les accompagner vers l'emploi.
Des mesures inutilement coercitives
La proposition de loi vise à prendre en compte d'une part les besoins de renforcement de l'encadrement des stages et des droits des stagiaires et d'autre part, de préserver l'offre de stages [3]. Pour ce faire, la PPL a pour ambition de fixer un quota de stagiaires de 10% par organisme d'accueil. Toutefois, on ne peut que constater la teneur coercitive de ce texte qui risque clairement d'atrophier le nombre de stages, alors qu'ils sont aujourd'hui obligatoires dans un grand nombre de formations. Le stage étant devenu un véritable passeport pour l'emploi chez les étudiants en formation initiale, le risque est grand de se trouver dans une situation où des jeunes ne pourront valider leur cursus faute de stage L'instauration d'un quota de stagiaires va plutôt produire le résultat inverse de celui recherché par la PPL : au lieu de préserver l'offre de stage, ces mesures vont davantage contribuer à tarir la source des stages. En outre, si l'on reprend les termes de Dominique Tian, député UMP, ce dernier juge ce texte « inutile et dangereux ».
Des mesures inadaptées
Un témoignage frappant de Jean-Christophe Sciberras, DRH de Solvay et président de l'association des DRH, vient appuyer les limites de la mise en place de quotas : « Je ne prédis pas un grand avenir à ce projet d'instaurer un taux maximal de stagiaires dans une entreprise. Ce qui est trop pour l'une ne l'est pas pour l'autre, selon sa taille, son secteur d'activité, la période choisie… En tant que DRH, il me revient de dire "stop" lorsque je considère qu'il y a trop de stagiaires dans l'entreprise, et qu'ils ne pourront pas être bien encadrés. Mais je me garderais bien d'établir un taux qu'il ne faudrait pas dépasser », explique-t-il.
Pour Jean-Michel Pottier, président de la commission formation et éducation de la confédération, « le gouvernement se trompe de cible (…) trop d'organismes de formation délivrent des conventions de stages illégalement, alors qu'elles ne correspondent pas à une formation réellement délivrée. Ce n'est pas à l'entreprise de contrôler la validité d'une convention de stage », juge-t-il.
Le cas des start-up est également une limite à l'application de ce quota. Le député Patrick Hetzel a rappelé que ces dernières disposent de petits moyens et sont dans le besoin d'innover. Elles permettent de satisfaire la demande des étudiants puisqu'elles accueillent régulièrement des stagiaires. Par conséquent, la limitation de leur nombre par quota ne prend pas en compte les nécessités de ces structures et le député UMP ajoute « qu'il est tout à fait normal que le nombre de stagiaires en leur sein soit parfois équivalent au nombre de leur salariés, tout simplement par ce que c'est inhérent au processus d'innovation » De surcroît, la limitation à 6 mois de la durée de stage pose problème notamment lorsqu'on sait que certains établissements pratiquent une année de césure. En outre, cette disposition va même à l'encontre des pratiques dans la fonction publique. A titre d'exemple, Valérie Pécresse évoque le cas des enseignants stagiaires qui doivent souvent accomplir un stage qui durera une année scolaire entière afin d'apprendre le métier…
Conclusion
Le Conseil économique, social et environnemental a estimé le nombre de stages à 1,6 million par an en 2012, contre 600.000 en 2006. Il en résulte une demande de plus en plus forte et malgré les nombreuses lois qui se sont succédé, aujourd'hui, seulement 32% des étudiants d'université font un stage chaque année. Imposer un quota dans les organismes d'accueil reviendrait ainsi à diminuer l'offre de stages qui ne peut conduire qu'à une aggravation du taux d'accès à l'emploi des jeunes. Notons que ce sont les étudiants des universités, de BTS ou encore d'IUT, plus que ceux issus des grandes écoles, qui risquent d'être touchés négativement par ce quota et cette limitation à 6 mois.
Les propositions de la Fondation iFRAP :
- laisser plus de souplesse aux entreprises en supprimant le quota de stagiaires ou établir un quota de 10% sur la masse salariale ;
- homogénéiser les conditions de stage entre secteur public et secteur privé.
[1] Rapport n°1792 Assemblée nationale
[2] Rapport annuel sur l'état de la fonction publique - Faits et chiffres 2009-2010 - Volume 1- la Documentation française
[3] Voir tableau annexe