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Sommet social : la flexibilité du travail pour plus tard

Le sommet social du 18 janvier a consacré quelques avancées, qualifiées de mesures d'urgence dont on peut se réjouir. Mais on ne pouvait demander beaucoup à une unique réunion. Le thème de la flexibilité a été effleuré par le biais du chômage partiel. Or la flexibilité de l'emploi devrait être l'un des grands enjeux de réformes à venir plus tard, et dont l'importance est au moins aussi grande que le problème du coût du travail. Cette flexibilité est rendue très difficile en France à la fois par les règles du licenciement et celles régissant le travail partiel aussi bien que le chômage partiel.

Les règles du licenciement aboutissent paradoxalement au recours systématique à une forme de travail précaire que les salariés détestent – à juste titre, à savoir le CDD. En effet le droit du travail français, tel qu'interprété par les tribunaux qui refusent de prendre en compte l'intérêt de l'entreprise, interdit pratiquement le licenciement, aussi bien individuel que collectif. L'interdiction la plus pénalisante concerne la non-reconnaissance à peu près totale de la cause réelle et sérieuse du licenciement de nature économique, brocardé sous le terme de « licenciement boursier ». C'est ainsi que les plans sociaux sont une spécialité qui existe de moins en moins en France, en raison de la lenteur et de la complexité de la procédure, ainsi que de son incertitude puisque les tribunaux peuvent rétroactivement l'annuler !

Les résultats sont là : détournement de la procédure légale de licenciement par l'utilisation injustifiée du licenciement pour faute, qui coûte cher à l'entreprise mais permet une séparation rapide (time is money), licenciements collectifs déguisés en licenciements individuels étalés dans le temps, embauches injustifiées en CDD au lieu de CDI. Le groupe EADS en donne un exemple actuel, en prévoyant l'embauche de 9.000 salariés en 2012 en raison du très remarquable succès des Airbus. Mais sur ces 9.000 embauches, 4.000 se feront en CDD, ce que le Président d'EADS vient d'expliquer par l'éventualité que ce succès ne se poursuive pas sur les années suivantes. A ce compte, tous les emplois pourraient être proposés en CDD, car l'incertitude et la nécessité d'adaptation participent de la nature de l'entreprise… Comble de l'ironie, au moment même où se multiplient les protestations contre la précarité, les 1.000 embauches qui viennent d'être annoncées à Pôle Emploi par le chef de l'État se feront en CDD, ce à quoi les syndicats, auteurs de ces protestations, ne trouvent rien à redire ! Deux exemples d'embauches qu'il serait normal de conclure en CDI, avec la possibilité de licencier si la conjoncture faiblit dans le premier cas,… et s'améliore dans le second.

Et pourtant le CDD est un type de contrat souvent désastreux pour le salarié, cause de difficulté pour trouver un logement, pour obtenir des prêts bancaires, sans compter l'absence totale de protection et d'indemnité en fin de contrat etc. Cette situation n'est-elle pas paradoxale dans le pays qui se veut le plus protecteur des salariés ? La législation actuelle est un parfait exemple d'effet pervers, qui se traduit par davantage de précarité ou alternativement de réticence de la part des employeurs à embaucher. La rupture conventionnelle du contrat de travail a été une bonne mesure pour permettre les séparations, mesure d'ailleurs saluée par un succès certain, mais il faut aller plus loin et revoir la totalité du système.

Le temps de travail.

L'autre obstacle à la flexibilité réside dans les difficultés d'instauration du travail à temps partiel. Le cas des 35 heures est éclairant, par comparaison avec l'Allemagne qui a connu bien avant la France la réduction du temps de travail, mais pas dans un cadre imposé par la loi. Le processus de réduction collective du temps de travail y a en effet été initié en 1984 par des accords importants signés dans les secteurs de la métallurgie et de l'imprimerie. Bon nombre d'accords prévoyant un passage de 40 à 38 ou 35 heures hebdomadaires ont ensuite été signés entre 1984 et 1990, avec des réductions du temps de travail négociées au cas par cas. La flexibilité est alors devenue le maître mot de la réussite industrielle allemande. Un cadre de Siemens s'exprime ainsi : « Si nous avions gardé trente-cinq ou trente-six heures par semaine de façon stricte, avec les mêmes horaires journaliers, aujourd'hui nous serions morts. La réduction du temps de travail a déstabilisé les 137 sites du groupe en Allemagne, nous avons dû réorganiser ce dernier de fond en comble : plus de 100 modèles de flexibilité du travail coexistent désormais, soit, avec leurs variantes, près de 1 million de grilles horaires/semaine différentes sur une année ! ». BMW a choisi de réorganiser le temps de travail individuellement pour chaque semaine de l'année (2.500 emplois créés) ; dans la chimie, on a inventé la notion de corridor de travail, les 37,5 heures conventionnelles hebdomadaires étant calculées en moyenne sur l'année entière, ou 36 mois pour les cadres, les heures supplémentaires peuvent être calculées sur deux ans au moins. L'histoire du temps de travail chez Volkswagen est symptomatique. Dès 1993, la firme étonne le monde avec ses accords sur la semaine de 4 jours (28,8 heures) avec diminution du salaire de 10%. Trente mille licenciements sont évités. En 2001, la direction impose la création d'une filiale où les salariés sont nettement moins payés que ceux de la maison mère, pour un travail « à l'objectif » allant jusqu'à 45 heures par semaine. En 2004, toute nouvelle embauche est soumise aux mêmes conditions que celles de la filiale. En 2006 c'est la fin de la semaine de 4 jours, remplacée par un « corridor » hebdomadaire entre 26 et 34 heures, les heures supplémentaires n'étant payées qu'au-delà de 40 heures. En 2008 la filiale est supprimée. En 2009, les syndicats renoncent à leurs revendications salariales pour ne pas compromettre la prospérité de la firme en période de crise, mais à la fin de 2010, en raison des bons résultats, la direction doit accepter de fortes augmentations (3,2% plus primes). Aujourd'hui, Volkswagen embauche en masse…

L'accord de 1993 du constructeur allemand avait inspiré la gauche française. Mais ce que cette dernière a réalisé n'a rien de commun, avec une réforme imposée par la loi, et s'appliquant obligatoirement et uniformément à toutes les entreprises et tous les salariés. Aujourd'hui, une certaine flexibilité a été introduite, notamment avec les heures supplémentaires, mesure contracyclique très discutable. Mais la France reste toujours sous le joug des 35 heures rigides à la française, très loin de la flexibilité allemande qui se caractérise par une faculté d'adaptation perpétuelle, comme le cas Volkswagen le montre. Ce n'est pas ce qui se passe en France où la modulation du temps de travail est enserrée dans des limites légales et strictes. Il est impératif de remédier à cet état de choses.

Le chômage partiel.

Les mesures de simplification de procédure qui viennent d'être prises lors du sommet du 18 janvier sont toujours bonnes à prendre, mais ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. La vérité est que la France n'a jamais considéré le chômage partiel comme un outil essentiel de sa politique pour l'emploi. Elle y a consacré, avec retard, trop peu de ressources (dix fois moins que l'Allemagne), avec des conditions qui n'ont pas incité les employeurs à y faire appel. Le système est en effet assez généreux pour les salariés aux dépens des employeurs, qui doivent au surplus faire l'avance de la part de l'État dans une période où leur trésorerie est nécessairement tendue. Il serait aussi plus normal que ce soit l'Unedic plutôt que l'État qui prenne en charge le coût des compensations versées aux salariés. Enfin les avantages financiers décidés hier ne sont accordés que pour six mois. Gageons que la mesure va surtout rencontrer la prudence des entreprises…

Il faudrait donc ici aussi aller bien plus loin que ce qui a été acté le 18 janvier et en faire un enjeu essentiel de la lutte pour le maintien de l'emploi. La Cour des comptes a fortement recommandé d'assouplir la réglementation du chômage partiel et de le rendre plus incitatif.

Les sujets que nous avons abordés ont évidemment un objectif commun, qui est la sauvegarde de l'emploi. Ils ont aussi un mot d'ordre commun, qui est l'assouplissement des réglementations existantes, en vue d'assurer la capacité d'adaptation aux situations nouvelles qui est un impératif constant pour les entreprises. A la rigidité du droit du travail répond paradoxalement l'utilisation généralisée du contrat de travail le moins protecteur qui soit ; l'exemple de l'Allemagne montre que la réduction du travail peut parfaitement être un outil profitable à condition de ne pas être un carcan imposé aux entreprises. Il faut commencer par dépolitiser les réglementations pour les décentraliser, et admettre pour cela que l'intérêt des Français passe par celui des entreprises qui les emploie.

Les réformes prioritaires :

  • Définition d'un contrat de travail unique qui puisse être rompu en appliquant véritablement la règle de l'employeur seul juge, en contrepartie d'une limitation à des cas exceptionnels de l'utilisation du CDD ;
  • Liberté de modulation individuelle du temps de travail sous la seule réserve du maximum prévu par les accords internationaux et de l'accord entre partenaires sociaux au niveau de l'entreprise ;
  • Facilitation du chômage partiel sur longue durée et dans l'intérêt financier des entreprises.