Simplification des entreprises : en France, on a tout essayé... sauf ce qui marche !
Le ministre des Finances Bruno Le Maire vient de lancer une consultation publique relative à la simplification dans les entreprises le 15 novembre dernier. Désormais via un portail dédié simplification.make.org, les entrepreneurs et les chefs d’entreprises ont jusqu’au 29 décembre pour pouvoir voter ou proposer des mesures de simplification. Simultanément, les fédérations professionnelles ont jusqu'au 29 décembre 2023 pour envoyer leurs propositions de simplification aux deux rapporteurs de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’économie. Il est en outre prévu sur le terrain d’organiser un « enrichissement » de ce travail de recollement par des réunions publiques dont la 1ère s’est réunie le 16 novembre. L’initiative doit être louée, même si l’aspect de « maronier » n’est pas exclu. Rappelons que s’agissant de l’administration elle-même, le rapport parlementaire contribuant à la revue des dépenses, estimait un objectif de 1 milliard d’économies d’ici 2027 pour la seule administration d’une démarche cohérente de simplification normative.
La simplification normative des entreprises : « la dernière roue du carrosse » ?
Les démarches de simplifications impliquant les entreprises, les usagers ou les collectivités territoriales sont très récurrentes lors des 15 dernières années, sans apporter beaucoup de réponses concrètes – sauf peut-être s’agissant des collectivités locales. Mais il s’agit avant tout l’affichage d’une volonté de réformes.
Rappelons que le rapport Reda/Louwagie (proposition n°7) chargé de dégager la participation des parlementaires à la Revue des dépenses pour 2023 avait préconisé (proposition n°7) la désignation d’un « référent chargé de la simplification administrative dans toutes les directions ministérielles, et à terme, dans tous les services publics[1]. » Indiquant que l’objectif de 1 milliard d’euros d’économie d’ici 2027 « semble atteignable dès lors que cela correspond à 83,3 millions d’euros par ministère en quatre exercices, soit un effort incrémental de 20,8 millions d’euros chaque année. » Mais il s’agit d’une démarche interne à l’administration et à sa production normative (réglementaire et infra-décrétale (circulaires, notes de services etc.).
Rappelons également que la démarche semble plus aboutie s’agissant des collectivités territoriales via le CNEN[2] (conseil national d’évaluation des normes), autorité institutionnelle placée auprès du Comité des Finances locales (CFL). Sur ce segment la délégation du Sénat aux collectivités territoriales et à la décentralisation dispose d’une mission de simplification des normes, a rendu ses dernières conclusions le 26 janvier 2023[3] suivies d’Etats généraux de la simplification et la signature d’une charte d’engagements le 16 mars 2023[4] permettant de définir les rôles attendus du Gouvernement et du Sénat (représentant les intérêts locaux) s’agissant d’une meilleure législation ainsi que du CNEN (s’agissant des impacts financiers pour les collectivités).
Enfin s’agissant des entreprises, le Sénat dans le cadre de sa délégation aux entreprises a produit un rapport d’information publié le 15 juin 2023 relatif à la simplification des règles et normes applicables aux entreprises[5]. Or celui-ci met rapidement en exergue l’absence d’une instance symétrique au CNEN pour les entreprises : la principale recommandation institutionnelle reposant sur la création d’un Conseil national de la simplification pour les entreprises, placé sous l’autorité d’un Haut-Commissaire à la simplification, distinct du SGG. Le rapport relève par ailleurs que le Conseil de la simplification pour les entreprises institué par le décret du 8 janvier 2014 et prorogé jusqu’au 1er juin 2017, n’a pas été pérennisé. Les entreprises n’ont donc plus d’interlocuteur unique désigné au sein de l’Etat pour suivre leur flux de textes qui leur est applicable, ni d’autorité administrative susceptible d’effectuer une agrégation statistique des coûts induits par les textes produits par l’Exécutif en direction des entreprises (coûts administratifs, de mise en conformité, d’opportunité etc.) voir d’assurer une contre-expertise indépendante des études d’impact législatifs ou réglementaires produits par l’administration. Les entreprises françaises qui ont vécu près de « 35 ans » de simplifications généralement infructueuses, sont donc toujours sans observatoire institutionnel public dédié, permettant de documenter l’objectivation de leur charge administrative.
Un retour à la logique « bottom up »
L’impact de la charge administrative en France exprimée en termes de valeur ajoutée ou en point de PIB reste à construire. Les estimations varient entre 2,8% du PIB (OCDE), entre 3,5% et 4,5% (Fondation iFRAP[6]), voir même jusqu’à 6 à 8% du PIB d’après l’Institut de Socio-Economie des Entreprises et des Organisations de l’Université Jean Moulin de Lyon[7] (qui y inclut les coûts d’opportunité, c’est-à-dire le dilemme entre l’exploitation avec mise en conformité aux règles ou l’abstention (l’absence de création de valeur). Mais comme tout audit exhaustif du stock normatif a été écarté en France jusqu’ici, il n’existe pas comme en Allemagne de référentiel permettant d’évaluer les « progrès » ou les « reculs » accompagnant les flux législatifs et réglementaires, voir même un stock sectoriel comme aux Pays-Bas.
Le Sénat a réalisé par sondage une estimation du poids et de la complexité des normes des entreprises entre le 24 mars et le 1er mai 2023, permettant de donner un aperçu du ressenti des PME et TPE (soit 95% des 783 entités interrogées). Il en ressort que 70% des entreprises rencontrent des difficultés dans le calendrier de mise en œuvre de la norme. Plus de 80% estiment qu’un accompagnement de l’administration serait nécessaire. 76% que la production de normes a augmenté et 81% que la complexité a augmenté. Par ailleurs 35% des entreprises estimaient que le bilan de la simplification était négatif et 30% qu’elle n’avait eu aucun effet. Tandis que 82% dénoncent un alourdissement des coûts soit pour les 641 concernées entre 6,6 et plus de 12,5 millions d’euros. Par ailleurs, près de 50% des entreprises affirment avoir été contraints de renoncer à des aides publiques à cause de la complexité des procédures nécessaires pour y avoir accès.
Notons que les points positifs sur le plan de la simplification normative pour ces mêmes entreprises se sont révélés être la dématérialisation des procédures (23%), le droit à l’erreur (20%), le silence gardé par l’administration 2 mois valant accord (18%), le plafonnement des indemnités légales de licenciement (15%).
Par ailleurs la DITP a elle-même tenté d’estimer les « progrès » réalisés dans son édition 2022 de son baromètre de la complexité normative (avril 2023 non public[8]). Les conclusions sont en amélioration par rapport à l’édition précédente de 2019, soit -13 points de complexité, mais -35 points pour les réponses à marché public (29%), -34 points pour la séparation d’avec un salarié (10%), -22% pour la construction de nouveau locaux (29%). Mais aussi la création d’entreprise (-21 points à 37%). Notons par ailleurs qu’il existe 3 démarches au-dessus de 50% de complexité, soit la cessation de paiement (+1 point soit 59%), la cessation d’activité (+19 points, soit 53%) et les procédures judiciaires (51%), ce qui montre un focus sur la fin de vie des entreprises. Le poids des normes environnementales serait constant (depuis 2019).
La démarche du Gouvernement est donc assez logique, en se basant sur le ressenti des entreprises – dans une approche à moindre coûts – interroger les entreprises sur les réformes de simplification sectorielles à mettre en place – sachant que celles-ci mettent en avant un accroissement de la charge normative qui les concernent. Cette approche devrait permettre également de mettre en perspective les résultats en apparence contradictoires fournis par la DITP (complexité normative en baisse), en vérifiant si les réformes proposées recoupent les centres de complexité principaux identifiés par les uns et les autres...
« On a tout essayé ? Sauf ce qui marche ? »
Si l’expérience est intéressante parce qu’elle pérennise finalement une approche bottom up, on peut regretter qu’il n’y ait pas la confrontation de cette logique avec une approche top down. Pour cela il faudrait :
Auditer le stock normatif (législatif et réglementaire), ce que les pouvoirs publics n’ont jamais voulu financier ;
Mettre en place un organisme permettant de recenser par agrégation et sondages, les flux normatifs impactant les entreprises sur base annuelle ; Soit via un Office parlementaire relatif à l’évaluation de l’activité législative et réglementaire (sur le modèle de l’Office parlementaire relatif aux choix scientifiques), soit plus sûrement via un Conseil national de la simplification placé sous l’autorité d’un Haut-Commissaire à la simplification rattaché au Premier ministre (comme le propose le rapport sénatorial, sur le mode du CNEN). Via la systématisation et la transmission obligatoire de tests PME.
Auditer le coût budgétaire des normes pour l’administration elle-même (activité réglementaire et infra-décrétale (circulaires, notes de services etc.)).
Pouvoir diligenter des sondages auprès des entreprises pour entamer des cycles de simplification (comme en Allemagne ou en Belgique) ; et faire baisser le coût global du socle normatif. Des sondages qui pourraient déboucher sur des audits sectoriels ou à raison de la taille des entités (TPE/PME/ETI/GE).
Identifier les coûts spécifiques à internaliser de la transition écologique sur les entreprises afin de « maîtriser » l’enjeu normatif et environnemental de leur compétitivité.
Mettre en place une stratégie pluriannuelle de réduction des coûts normatifs, intégrant les flux entrants et sortants en cours de programmation.
[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1329_rapport-information.pdf#page=80
[2] https://www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr/articles/pv-des-seances-et-bilan-h1a8.html
[3] https://www.senat.fr/rap/r22-542/r22-5421.pdf
[4] Rapport Gatel/Pointereau, 26 janvier 2023 https://www.senat.fr/rap/r22-289/r22-2891.pdf
[5] https://www.senat.fr/rap/r22-743/r22-7431.pdf
[6] Dont 75% à 80% reposant sur les entreprises, soit 75 et 87 milliards d’euros.
[7] ISEOR, https://recherche.iseor.com/
[8] Contrairement au baromètre 2022 de la complexité administrative et de la confiance dans l’administration (mai 2023) qui ne s’intéresse qu’à l’usager https://www.modernisation.gouv.fr/publications/barometre-2022-de-la-complexite-administrative-et-de-la-confiance-en-ladministration