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Simplification administrative : où est l'estimation du stock et du flux des normes ?

Le gouvernement vient de rendre public le rapport bilanciel de l’initiative « Rencontres de la simplification », lancée par Bruno LE MAIRE et Olivia GREGOIRE de concert avec la plateforme participative make.org. Celui-ci se matérialise par la formulation de 14 mesures « pour simplifier la vie des entreprises », un rapport censé nourrir les propositions autour d’un projet de loi visant à simplifier et à libérer notre économie qui devrait être présenté d’ici le début de l’été au Parlement. Si les propositions sectorielles sont bonnes et axées sur les TPE/PME, la mission échoue nous semble-t-il à poser des bases claires pour une évaluation systématique du stock et du flux normatif aux trois phases de leur existence : ex ante, in intinere et ex post. La mission ne propose pas en outre un processus formalisé de révision périodique des normes adoptées, ni de sondage et d’estimation externe de secteurs déterminés comme le met en place la nouvelle loi Suisse de simplification (LACRE). Des éléments manquants que le futur projet de loi de simplification devrait selon la Fondation IFRAP nécessairement comporter

La volonté méritoire d’une co-construction du projet de loi avec les entreprises

Le rapport commandé par les ministres des Finances et ministre déléguée en charge des petites et moyennes entreprises, auprès de cinq parlementaires, 4 députés[1] et une sénatrice[2], fait la synthèse d’une consultation sur la simplification qui a réunie jusqu’au 29 décembre 2023 près de 33.000 participants, 5.500 propositions et près de 730.000 votes, ainsi que 1.500 contributions reçues par les fédérations professionnelles. L’attente est donc vive d’un rebond de la démarche de simplification qui avait commencé à marquer le pas, après les 1ères mesures de la ESSOC (« droit à l’erreur ») du 10 août 2018, de la loi PACTE (du 22 mai 2019) puis de la loi ASAP du 7 décembre 2020, comme l’a d’ailleurs bien relevé le rapport sénatorial du 15 juin 2023 relatif à la simplification des règles et des normes applicables aux entreprises[3]. Il en ressort par ailleurs essentiellement des 50 déplacements de la mission et des 30 réunions publiques réalisées sur le territoire 6 axes méthodologiques attendus par les entreprises sur le futur projet de simplification :

  • Le projet de loi doit être ambitieux pour répondre aux attentes des entreprises ; il doit associer les AAI (autorités administratives indépendantes) régulant les secteurs économiques afin qu’elles présentent leurs propres recommandations de simplification « y compris en droit souple ». 
  • Avec un focus porté sur les TPE/PME dans la mesure où ces entités « n’ont pas la même force de frappe que les grands groupes pour faire face aux démarches administratives. » Et le fait que la lourdeur des tâches administrative a « tendance à tirer les prix vers le haut pour les consommateurs », ce qui attaque tout particulièrement la compétitivité des petites et moyennes entreprises par rapport aux grands groupes qui peuvent mieux diluer ces coûts et donc moins les reporter dans les prix. 
  • Le projet de loi de simplification ne doit pas déboucher même à court terme sur une complexification momentanée liée aux phases de transition : « cela concerne notamment les dispositions de la loi énergie-climat et de la loi anti-gaspillage pour l’économie circulaire (AGEC), ainsi que les futurs reportings complexes extra-financiers liés à la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Certains interlocuteurs préférant même un « moratoire normatif » plutôt qu’une démarche supplémentaire de simplification ;
  • Mettre en place d’un « test PME » qui suppose une concertation avec les entreprises « nettement plus aboutie » qu’actuellement, ce qui nécessite d’impliquer « dans la création des lois et estim[er] sont coût pour elle ».
  • Avec un recours à la numérisation tout en conservant des interlocuteurs physiques afin de résoudre « les problèmes d’accessibilité que posait la dématérialisation. »
  • Faire diminuer le nombre et la redondance des éléments demandés lors des démarches administratives, ce qui suppose un partage accru des données entre administrations (instauration d’un véritable dialogue entre organismes, ne pas faire porter la charge informationnelle sur les dirigeants des entités cibles lorsque l’information est déjà disponible pour l’administration). Ce dernier élément pouvant être implémenté via le guichet unique[4] et le coffre-fort numérique. A la clé, un gain de temps pour l’instruction des administrations elles-mêmes et pour les entreprises (charge administrative). 

La mission estime qu’il est nécessaire de créer un comité de pilotage entre l’administration et les principales fédérations, qui devrait se réunir tous les 15 jours à partir de février 2024 jusqu’au mois de juin 2024. Ce format semble nécessaire pour permettre « une association permanente du tissu économique à l’élaboration de la loi. »

Le problème que nous voyons à ce stade c’est qu’il nous semble nécessaire de mettre en place une vraie politique publique pérenne de simplification sur le long terme, au-delà de la présente loi (à moins que des dispositions allant en ce sens soient introduite comme en Suisse voir infra). 

Les mesures proposées par la mission et à intégrer dans le projet de loi à venir 

Les mesures proposées par la mission sont au nombre de 14, qui sont à l’heure actuelles plutôt prescriptives que descriptives mais qui débouchent généralement sur des exemples concrets qu’il conviendra à l’exécutif de densifier avant proposition du projet de loi au Parlement. Elles se répartissent essentiellement en trois blocs :

Un premier bloc de « simplification pure » 

  1. Mettre fin aux redondances et formalités inutiles : la mission propose d’harmoniser les méthodes de calculs des effectifs pour la détermination des seuils sociaux des entreprises ; supprimer le double dépôt de la DAS2 (déclaration d’honoraires), supprimer l’obligation de créer une base BDESE ; simplifier la déclaration des arrêts de travail et la liquidation des indemnités journalières ; supprimer l’attestation employeur rematérialisée (via horodatage de la dématérialisation), diminuer le nombre d’enquêtes obligatoires, simplifier et généraliser le recours au TESE (titre emploi services entreprises) etc. 
  2. Lever les derniers verrous du « dites-le nous une fois pour toutes » : ce qui suppose la généralisation des API et des espaces sécurisés de données, en procédant parallèlement à un meilleur calibrage du pré-remplissage des formulaires à renseigner par les entreprises. Dans ce cadre « une coordination de ces API, assurée par la DINUM[5] permettrait de mettre en place l’équivalent d’un « coffre-fort » numérique unique où serait accessibles les éléments relatifs aux entreprises détenus par l’administration. » La mission propose d’ailleurs de supprimer le dépôt des comptes au greffe du tribunal de commerce, puisque ces éléments sont déjà transmis à l’administration fiscale (sous un format légèrement différent[6]).
  3. Proposer une adaptation provisoire des accords de branche pour les entreprises de moins de 5 ans et de moins de 50 salariés : il s’agit d’une approche sélective (minima conventionnels, temps de travail…), pour les jeunes entreprises avec possibilité de déroger aux mesures planchers (temps partiels, franchissement de seuils etc.). 
  4. Alléger les obligations des trois principaux seuils (11-50-250) : il est proposé de relever d’un cran « les seuils auxquels certaines contraintes s’appliquent » sans introduction de soldes intermédiaires. La mission en propose 3 modalités différentes :
    1. Le décalage intégral des obligations de chaque seuil (ce qui revient à supprimer le 1er) ;
    2. Relèvement d’une partie des obligations de chaque seuil (mais là on effectue une « simplification » a minima, puisqu’il resterait des obligations au 1er seuil) et cela aboutirait à une « complexification » provisoire durant la phase de transition.
    3. Relèvement des deux 1ers seuils ces derniers passant de 11 et 49 actuels à 20 et 200, ce qui permettrait un effet de décongestionnement des accumulations d’entités aux voisinages de ces anciens seuils. 
  5. Aligner les droits bancaires et assurantiel des professionnels sur celui des particuliers (au moins pour les TPE/PME) : avec l’introduction d’une portabilité des comptes bancaires des professionnels (sur le modèle de celui des particuliers) sous la forme d’une « aide à la mobilité bancaire ». 

Un second bloc de simplification légistique : dérégulation, accélérations des procédures entre l’administration et les entreprises

Il s’agit pour les rapporteurs de la mission de procéder à des modifications procédurales qui vise directement la relation entre l’administration et les entreprises :

  1. Privilégier les régimes de déclaration aux régimes d’autorisation : cela devrait permettre de concrétiser le principe posé par l’article 1er de la loi du 12 novembre 2013 introduisant le principe du « silence vaut accord » qui in fine a débouché sur un nombre considérable d’exceptions[7] : s’il s’applique désormais à 1.200 procédures (dont 730 procédures sous deux moins, et 470 procédures au bout d’un délai supérieur à 2 mois), les exceptions perdurent et sont au nombre de 2.400 (dont 1.800 sont des exceptions législatives et 600 des exceptions réglementaires). La bascule sur un principe du « tout déclaratif » par défaut devrait permettre de poursuivre l’élan stoppé à compté de 2014 (42 décrets d’application de la loi de 2013 et parus en 2014), en supprimant notamment les autorisations de courte durée (8 à 30 jours). Cela supposera un recensement exhaustif des régimes d’autorisation en « silence vaut acceptation » avec une limitation des délais de réponse supérieurs à 3 mois. Cet élan devrait se porter non seulement sur le volet législatif mais aussi sur le volet réglementaire – par le Gouvernement- .
  2. Généralisation du principe de dématérialisation des démarches pour les entreprises, via des solutions de « visio-conférence », la mise en place d’un accès garanti (avec prise de rendez-vous possible) et la dématérialisation devraient permettre de dégager du temps pour traiter les prises en charges individuelles et personnalisées.  
  3. Réduction du champ des avis préalables des instances consultatives du débat public. Le rapport vise nommément la CNDP (commission nationale du débat public) et la CCC (commission de concertation du commerce), d’autant que la seconde a depuis été remplacée (sans suppression !) par le Conseil national du Commerce. Le projet de loi ferait bien également de s’interroger sur la qualité des avis rendus (purement consultatifs, impératifs etc…), afin de diminuer leur caractère contraignant pour faire avancer les projets envisagés.

Un troisième bloc visant à développer des relations de « confiance » public/PME

L’application et le développement de la relation de « confiance » mis en place par la DGFiP en 2013[8], puis étendu en 2019[9] et dont un 1er bilan a été fourni en 2021[10], doit désormais être étendu à l’ensemble des administrations de contrôle (inspection du travail, autorités environnementales, DGCCRF (répression des fraudes), DGDDI (douanes)). Le but, « offrir des outils de sécurisation de la conformité des TPE et PME à leurs obligations », ce qui est particulièrement le cas « dans le cadre de l’application de nouvelles règles ». C’est pourquoi, la mission propose :

  1. La mise en place d’une visite de conformité et d’un rescrit pour faciliter l’accompagnement des entreprises : il peut notamment s’agir d’une procédure d’accompagnement en cas de mise aux normes (nouvelle législation, repreneur), avec la possibilité d’obtenir un délai modulable de mise en conformité, à la suite d’une visite de conformité de l’autorité publique compétente, que le bénéficiaire pourrait solliciter et qui tiendrait compte de sa situation. Celle-ci pourrait être sécurisée au moyen de l’octroi d’un rescrit extra-fiscal figeant la situation et évitant ensuite la survenue de contrôles répétitifs à son endroit.
  2. La réduction des délais de recours et contentieux, notamment prud’hommaux : afin de renforcer la sécurité juridique des entreprises, il importe de faire converger les délais contentieux dans le sens de leur réduction. La mission fait ainsi le constat d’un délai de recours prud’hommaux en France de 1 an pour rupture de contrat de travail contre une durée médiane au sein de l’OCDE de 2 mois. Par ailleurs ces décisions de justice sont difficiles à anticiper pour l’employeur, avec un taux d’appel de 60% et sur ces dernières 70% d’infirmation (totalement ou partiellement). La mission propose que le délai des recours prud’hommaux soient limités à 6 mois. Ce qui laisse un écart encore important par rapport à la médiane des pays de l’OCDE.
  3. Mieux coordonner les contrôles et améliorer leur acceptabilité : l’initiation par une TPE/PME d’une démarche administrative peut aboutir à faire tomber sur elle des contrôles en cascade (DGFiP, URSSAF, DGCCRF, DREAL, DGSCGC etc.). La mission propose de centraliser les contrôles des entreprises au sein de la DGCCFR pour les entités recevant du public. Cela permettrait une « objectivation » des contrôles, les réseaux de contrôle partageant l’information ainsi les contrôles réalisés par leurs soins dans les 3 dernières années et les suites données à ces contrôles. Cette coordination se doublant d’une harmonisation des chartes de contrôle. Avec la mise en place d’une appréciation commune de la « bonne foi ».
  4. Dépénaliser les niveaux de sanction en cas de « bonne foi » des dirigeants : lorsque les dirigeants sont de bonne foi et n’ont pas conscience de méconnaître des obligations administratives, les manquements pourraient déboucher sur des sanctions contraventionnelles et non plus pénales. Une objectivation de ce principe pourrait être de dépénaliser les niveaux de sanction en cas de 1er manquement de bonne foi.
  5. Dans le cadre de la commande publique, astreindre les APU à une contribution forfaitaire en cas de dépassement des délais de paiement : d’après les données de la Banque de France[11] le taux de défaillance des entreprises est presque 2 fois plus élevé lorsque les délais de paiement sont supérieurs à 90 jours, lorsque le plafond légal est de 60 jours. Par ailleurs la commission européenne envisage de baisser encore ce seuil à 30 jours, même si le Gouvernement français est contre[12]. Cette situation est particulièrement dégradée au sein des établissements publics de l’Etat, des hôpitaux et des collectivités territoriales (part majoritaire de l’achat public).  La commission propose donc que les délais de paiement courent dès réception de la facture (avec horodatage) et non plus lors de son enregistrement dans Chorus (ce qui permet de masquer les véritables délais de paiement), ainsi qu’un rehaussement du taux des intérêts moratoires sur ceux du secteur privé (+10 points par rapport au taux d’intérêt de la BCE et non plus +8).
  6. Faciliter drastiquement l’accès à la commande publique pour les TPE/PME : les entreprises font face à 4 obstacles récurrents : la multiplication des plateformes d’achat public, la complexité et longueur des procédures de consultation, les exigences techniques et financières, le manque d’information et de visibilité sur les opportunités de marché. Aussi la mission propose de :
    1. Centraliser l’ensemble des consultations sur la même plateforme (PLACE) ou par une interopérabilité (et interconnexion) entre toutes les plateformes ;
    2. Généraliser le recours aux marchés publics simplifiés (avec leur seul numéro SIRET), étendre le principe « dites-le nous une fois pour toutes » aux consultations publiques (pré-remplissage etc.) ;
    3. Modifier le seuil de 100.000 euros pour les achats innovants sans procédure de publicité ni mise en concurrence préalable. Même si sur ce dernier volet il semble qu’il faille d’abord introduire une phase expérimentale pour vérifier qu’il n’y ait pas d’abus.

Une reformulation méthodologique nécessaire mais « insuffisante »

La mission le reconnaît, « ces mesures (…) devront être pilotées dans la durée » ne serait-ce que par la forte variabilité de la complexité des mesures proposées entre elles, que des transformations qu’elles imposeront aux administrations concernées. Elle appelle donc à ce qu’une gouvernance et une méthodologie systématique soit mise en place, ne serait-ce que pour mesurer le coût de la norme et rationaliser la production normative

Si « un « stock de mesures de simplification (…) indispensable » est nécessaire pour lancer une nouvelle vague de simplification « les impacts du projet de loi ne doivent pas se limiter à l’apurement de ce « stock ». » Il faut donc « limiter le « flux » et mettre en place des règles et une gouvernance afin de mettre un terme à la multiplication des normes. » Si cette supervision relève tant de l’Exécutif que des parlementaires, elle ne peut être qu’un mantra s’agissant du Parlement dans la mesure où cela supposerait une rationalisation du travail parlementaire (et du droit d’amendement) à laquelle le pouvoir législatif s’est toujours refusé. Les principales actions structurantes proposées par la mission sont les suivantes :

  • Mettre en place une évaluation de la charge administrative à 3 stades normatifs : préalable (étude d’impact au niveau du projet/proposition), in itinere (pendant et/ou à l’issue de la discussion parlementaire), a posteriori (une fois la norme adoptée et appliquée). Or la mission propose de résumer « toute nouvelle réglementation ou évolution réglementaire » au « Test PME ».  C’est un peu court, il faudrait sans doute proposer 3 tests en fonction de la position du texte au sein du processus normatif : test PME préalable, actualisation à l’issue de la discussion de la mesure, test PME après application de la mesure. 
  • La mission voit le Test PME comme un « rasoir philosophique » : en cas de coût démesuré pour les entreprises testées, la mesure « devrait être adaptée ». Mais ce n’est pas suffisant car il faudrait évaluer la mesure ex post (par sondage sectoriel par exemple).
  • Cela suppose la mise en place d’un temps de discussion suffisant (réglementaire ou législatif), mais cette approche est souvent un vœu pieux puisque les mesures concernées sont généralement prises « dans l’urgence ». 
  • La mise en place d’une révision quinquennale des anciennes normes suppose soit d’introduire systématiquement des sunset clauses (clauses de revoyures), qui introduisent des effets couperets, soit une sensibilisation de l’Exécutif sur la durée et de la commission des lois de chaque assemblée pour en assurer le suivi. Seule une charte d’engagement des différents pouvoirs législateurs modifiant souverainement leurs pratiques respectives pourrait déboucher sur une certaine efficacité du dispositif.
  • La mission souhaite l’identification d’un responsable de l’Etat garant de la simplification, afin d’éviter les surtranspositions des directives européennes ou plus complexes que les législations existantes (en droit comparé) par rapport à nos principaux concurrents (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Pays-Bas). Mais cela suppose une attention ex-ante s’agissant de la législation à transposer ou à adapter, mais surtout une attention ex-post afin de pouvoir vérifier que notre droit n’est pas plus pénalisant que ceux des nos voisins pour nos entreprises. Cela suppose donc des benchmarks menés à intervalle réguliers et rendus publics pour rejaillir sur l’agenda parlementaire ou normatif de l’Exécutif. Le ministre de l’Economie et des finances serait ce responsable garant de la simplification pour les TPE/PME, assisté par des responsables de la politique structurelle de simplification pour les entreprises
  • Des verrous pour éviter le contournement de la procédure de simplification du droit/procédures pour les entreprises devraient être déployées prenant la forme de normes spécifiques s’étendant de la circulaire interministérielle jusqu’à la modification de la constitution, mais aussi en y incluant une modification des règlements intérieures de chaque assemblée avec l’introduction à l’A.N. d’un nouveau bureau en charge de la simplification (ce qui veut dire qu’en face un co-responsable de fait de cette politique avec le ministre de l’Economie devrait être celui en charge des relations avec le Parlement). 

Conclusion : toujours pas d’audit systématique du stock, ni du flux, ni de bouclage

Les propositions de la mission sont à la fois structurelles et volontaristes, et visent à prendre au sérieux la nécessité d’élever le Test PME au rang des impacts financiers transmis au CNEN (conseil national d’évaluation des normes) s’agissant des collectivités territoriales[13]. Il s’agit d’un premier pas décisif de nature à relancer le processus de simplification, cette fois en direction des TPE/PME dans une logique désormais plus institutionnelle qu’auparavant. 

Mais au-delà des pétitions de principe et des témoignages de volonté, il n’y a toujours pas d’évaluation du stock normatif (comme en Allemagne) et pas plus du flux (comme aux Pays-Bas ou en Belgique) de façon exhaustive s’agissant de l’estimation de la charge administrative. La démarche reste donc incrémentale et systémique plutôt que systématique.

L’approche sectorielle revendiquée semble bonne[14], tout comme celle relative à la taille des entités concernées (TPE/PME). Cela laisse en suspens la question de l’impact normatif pour les ETI, et surtout il n’y a pas à ce stade de création d’un cadre institutionnel bouclé sur lui-même (cercle de qualité) permettant de sensibiliser l’ensemble des administrations (et du Parlement) à la démarche de simplification prise par les pouvoirs publics et son feed-back[15] au-delà des impulsions politiques ponctuelles. Or cette approche existe chez tous nos voisins européens et encore très récemment en Suisse (voir infra) de façon très explicite.

Le cas Suisse, la LACRE (loi fédérale sur l’allègement des coûts de la réglementation pour les entreprises) du 29 septembre 2023[16]

La Suisse vient de se doter (délai référendaire expiré le 18 janvier 2024) d’une législation spécifique de simplification fédérale concernant les entreprises. Dotée de seulement 22 articles, elle vise à mettre en place des principes légistiques clairs pour simplifier le droit applicable aux entreprises présentes sur le sol Suisse. La loi LACRE propose tout d’abord un certain nombre de principes :

1. Principes de légistique dans la confection de la loi (évaluation ex ante) : 

  1. Rendre l’option qui offre le meilleur rapport coût-utilité pour l’économie ;

  2. Analyser de façon transparente et à un stade précoce, les coûts de réglementation pesant sur les entreprises ;

  3. Ne pas faire peser de charge disproportionnée sur les TPE/PME ;

  4. Concevoir une réglementation favorable à l’innovation et technologiquement neutre ;

  5. La réglementation doit être neutre en matière de concurrence ;

  6. Limiter le nombre d’interlocuteurs des entreprises ;

  7. Concevoir des formulaires simples et uniformes ;

  8. Contrôler les entreprises en fonction des risques ;

Il est par ailleurs prévu que « le droit en vigueur et son exécution sont régulièrement évalués en vue d’identifier les possibilités d’aller les coûts (…) pour les entreprises. » Cela pose le principe d’évaluation périodique du stock et du flux

La loi suisse par ailleurs met en place un statut de simplification spécifique pour les TPE/PME : « les petites et moyennes entreprises peuvent être soumises à des règles simplifiées ou engendrant moins de coûts. » En particulier, la réglementation doit être parangonnée par rapport aux réglementations étrangères, et vérifier si des moyens électroniques ne peuvent pas concourir à la démarche de simplification. Par ailleurs un dispositif analogue au OI/OO (One in/One out) est mis en place en vérifiant si « l’abrogation d’autres réglementations dans le même domaine peut alléger la charge réglementaire. » Ces vérifications (évaluations) sont présentées à l’exécutif fédéral. Si les possibilités ne sont pas exploitées, le rapport explicatif « doit le justifier ». 

2. Principes d’évaluation lors du processus législatif (in itinere) :

La loi suisse impose d’ailleurs une méthodologie ex ante à l’administration fédérale : « les unités [administratives] (…) estiment les coûts uniques et les coûts récurrents que les entreprises devront assumer.[17] » Ces coûts font l’objet d’une consultation rendue publique. Mais surtout les administrations concernées « mettent à jour les résultats de l’estimation au cours du processus législatif. » Il y a donc en Suisse une évaluation in itinere.

3. Evaluation ex post :

L’exécutif fédéral choisit des objectifs annuels d’évaluation dans 3 à 5 domaines qui sont soumis à une évaluation externe afin de déterminer le potentiel d’allègement des coûts réglementaires des entreprises des secteurs sélectionnés. 

  • Les administrations fédérales font des propositions d’analyse sectorielle chaque année ;

  • Les autres administrations publiques (fédérées) peuvent effectuées elles-aussi des propositions ;

  • Tous les 4 ans, le Parlement fédéral propose un rapport sur l’allègement des coûts de la réglementation pour les entreprises ;

  • Le rapport comporte : les résultats de suivi de la charge réglementaire ; les propositions d’allègement formulées par les études sectorielles ; une synthèse des mesures prises par l’Exécutif fédéral en la matière ;

4. La loi met en place un Guichet virtuel pour les prestations administratives : il s’agit d’un dispositif analogue à celui mis en place en France avec difficulté, Le Guichet unique des entreprises[18]. Mais il semble plus modulaire encore puisque que les entreprises peuvent « importer des données depuis des registres officiels » Par ailleurs les données sont conservées « jusqu’à ce que l’utilisateur les détruise » ou lorsque l’entité a cessé son activité économique, ou lorsque l’administration fiscale a eu connaissance du décès du propriétaire dans les deux ans sauf si l’entité est reprise par un ayant droit. 

La présente loi dispose également d’une clause de revoyure dans les 10 ans suivant son entrée en vigueur.


[1] Les députés Louis MARGUERITTE, Alexis IZARD, Philippe BOLO, Anne-Cécile VIOLLAND.

[2] Nadège HAVET.

[3] https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-743-notice.html

[4] Même si l’offre accuse des retards, voir notre note dédiée : https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/guichet-unique-des-entreprises-un-premier-bilan-negatif 

[5] Par exemple cette « migration » et développement pourrait être mis en place sous l’action combinée de la DINUM en lien avec la mission interministérielle Simplification et modernisation des formalités des entreprises » de la DGE (direction générale des entreprises) au bénéfice des TPE/PME. Ces développements devraient être mis en place de concert avec les organismes sociaux et en 1er lieu les URSSAF. 

[6] La suppression de cette formalité devrait néanmoins être contrebalancée par la possibilité pour les tiers de pouvoir accéder à ces documents dans un format comparable auprès de la DGFiP, pour les créanciers, les concurrents et les investisseurs, qui sont aujourd’hui les usagers des documents stockés aux greffes. 

[7] Voir le rapport d’application de la loi des sénateur H. PORTELLI, J-P, SUEUR, 15 juillet 2015, p.17 et suiv.

[8] https://www.economie.gouv.fr/files/dp_relation_de_confiance_avec_administration_fiscale_0.pdf 

[9] https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2019/dp-relation-confiance-pap.pdf 

[10] https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/1_metier/2_professionnel/EV/4_difficultes/450_PME/dp_-_bilan_de_la_relation_de_confiance_-_2021-03-08.pdf

[11] Par exemple Observatoire des délais de paiement, rapport 2022, https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/publications/rapport-de-lobservatoire-des-delais-de-paiement-2022 

[12] https://batinfo.com/actualite/le-gouvernement-francais-demande-a-bruxelles-de-retravailler-un-texte-sur-les-delais-de-paiement_26493

[13] https://www.maire-info.com/normes/gilles-carrez-nouveau-president-du-cnen--la-simplification-doit-%EF%BF%BDtre-un-objectif-collectif-!-%EF%BF%BD-article-28241 

[14] Il semble toutefois que ces mesures PME/ETI n’incluent pas les mesures de simplification agricoles, qui en sont disjointes : voir pour les 10 mesures de simplification arrêtées https://www.gouvernement.fr/communique/annonces-au-monde-agricole ainsi que le point sur les 62 dernières mesures prises, https://www.gouvernement.fr/discours/conference-de-presse-sur-la-situation-agricole 

[15] Par sondages régulier au sein des secteurs concernés par les démarches de simplification, et les autres. Comme ce qui se passe tous les 2 ans en Belgique par exemple. 

[16] https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2023/2297/fr?print=true ainsi que le dossier associé, https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-92137.html

[17] C’est le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche qui fournit les bases méthodologiques utiles. 

[18] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/guichet-unique-des-entreprises-un-premier-bilan-negatif