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Service minimum et droit de grève

Suite aux événements survenus en janvier dernier et notamment à certains contournements de la loi sur le service minimum constatés grâce aux grèves dites de « 59 minutes » à Saint-Lazare ainsi que l'utilisation abusive du droit de retrait à Paris, Marseille et Besançon, le député des Hauts-de-Seine Jacques Kossowski, à l'origine de la première proposition de loi visant à établir un service minimum dans les transports, a été chargé d'un rapport pour envisager des réformes à apporter à la loi.

Après la publication de son rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, Jacques Kossowski répond aux questions de l'iFRAP.

Propos recueillis par Agnès Verdier-Molinié et Bertrand Nouel

iFRAP : Vous ne proposez pas de réforme concrète sur le sujet des grèves de 59 minutes qui perturbent très profondément le trafic. Vous reconnaissez pourtant qu'il serait juridiquement possible d'instaurer la règle du trentième indivisible comme dans la fonction publique d'Etat, même si cela nécessite de modifier l'article 10 de la loi du 21 août 2007. Mais vous jugez que cela serait « inopportun », comme pour toute autre proposition de modification de la loi. Ne craignez-vous pas que cet aveu d'impuissance puisse se traduire par un encouragement à commettre tous les abus ?

Dans le même ordre d'idées, le président de la SNCF, Guillaume Pépy, a déclaré qu'il irait « devant la justice pour défendre les droits des voyageurs » en cas de grèves "tournantes" et a ajouté « Il y a eu ici ou là une sorte de détournement de la loi, un abus de droit, par exemple avec ces fameuses grèves de 59 minutes tournantes reconductibles qui franchement pénalisent d'une manière excessive les voyageurs ». Il a aussi précisé qu'il se tournerait vers l'Etat s'il n'obtenait pas satisfaction devant les tribunaux. N'estimez-vous pas que cette déclaration justifierait une réponse plus adaptée que la création d'un observatoire ou un énième rappel de la nécessité de dialoguer ?

Jacques Kossowski : La nécessité d'un dialogue social efficace est incontestable et souhaiter son renforcement n'est pas un aveu d'impuissance, mais au contraire traduit une volonté de régler les problèmes au fond. L'exemple de l'évolution de la conflictualité à la RATP montre que l'essentiel est bien là.

De plus, comme nous le rappelons, légiférer sous le coup de l'émotion pour dire que l'on agit ne nous paraît pas un idéal. Il faut laisser à une loi le temps de « vivre » avant de la modifier. Les solutions durables sur le long terme supposent qu'elles soient acceptées socialement. Et, pour mémoire, généraliser les grèves de 24 heures n'est pas non plus nécessairement un but à atteindre.

Ceci étant dit, le rapport prévoit bien d'opérer un bilan de la situation et de son application d'ici la fin de 2010. Avec le recul, et si la situation l'exigeait, rien n'interdirait alors d'étudier la possibilité de modifier la loi du 21 août 2007.

IFRAP : S'agissant du droit de retrait, vous indiquez à juste titre que les événements de la gare Saint-Lazare constituent un « exemple typique d'utilisation juridiquement abusive du droit de retrait ». Mais vous citez un arrêt de Cour de cassation qui ne saurait être d'application ici, et ne mentionnez pas par exemple la jurisprudence claire du TA de Cergy Pontoise (16 juin 2005, Moreau), ou encore les propres écrits de la CGT qui précisent que l'exercice du droit de retrait est individuel et ne saurait constituer un « moyen de pression ». Ne serait-il pas simplement normal dans ce cas de rappeler la loi et la nécessité de l'appliquer aux personnes concernées, et de tirer les conséquences des arrêts de travail illégaux qui ne sont en aucune façon des grèves, en pratiquant notamment des retenues de salaire ?

Jacques Kossowski : Le droit existant permet d'ores et déjà d'appliquer des retenues de salaires aux personnels qui invoqueraient abusivement le droit de retrait. Il appartient donc à la direction de chaque entreprise d'opérer les choix qu'elle estime opportuns en fonction des circonstances.

L'essentiel n'est cependant pas là. De très nombreux cas d'utilisation abusive de ce droit de retrait disparaîtraient dès lors qu'une information sur ce qui est arrivé à un conducteur agressé serait communiquée immédiatement aux personnels concernés. (L'exploitation de l'agression de la gare Saint-Lazare n'aurait pu réussir si tous les personnels avaient été informés en temps réel des faits.) Il faut ensuite une prise en charge des victimes, et, en amont, développer des actions de prévention. Il faut traiter le problème à la base, et non s'attaquer simplement à ses manifestations extérieures.

Commentaire de Bertrand Nouel

Les réponses du député Jacques Kossowski éclairent parfaitement le désir des députés, comme celui du gouvernement, de ne pas jeter d'huile sur le feu en adoptant une attitude ferme, mais de préférer continuer à parler de dialogue.
Les syndicats et les pouvoirs publics n'auraient-ils pas incidemment décrété une certaine trêve, les premiers en renonçant à des actions insupportables pour les citoyens en contrepartie de l'abandon par les seconds d'une législation plus stricte ?
On peut à minima se poser la question, après avoir observé que la journée du 19 mars n'a pas connu de perturbations trop importantes dans les transports, non plus d'ailleurs que la période écoulée depuis les événements de la gare Saint Lazare.
De la même façon, aucune agression n'a été « exploitée », comme dit le député, pour justifier un arrêt de travail, depuis les trois cas de Paris, Marseille et Besançon qui se sont succédé en trois jours.

Quant à l'espoir qu'une meilleure information réduirait les risques d'utilisation abusive du droit de retrait, on nous permettra de manifester un certain scepticisme !
L'agression de Maisons-Laffite n'a pas pu être comprise à Saint Lazare comme un « danger imminent », si ce n'est par une « exploitation » d'une évidente mauvaise foi.
Rappelons aussi que l'actualité offre de nombreux exemples d'agressions dans les écoles, bien plus graves que les quelques horions échangés sur les quais des gares.
Et pourtant, on n'entend pas parler de véritables arrêts de travail des enseignants dans l'école concernée elle-même. Restons lucides !