Choose France : 10 000 emplois créés, ça ne suffit pas !
Dix mille, voilà le nombre d’emplois que devraient créer les 15 milliards d’investissements étrangers du sommet de Choose France. C’est en tout cas celui qui a été annoncé. Dix mille emplois pour 15 milliards ? C’est très faible. Cela revient à 1,5 million par emploi. Comment l’expliquer ?
Cette tribune a été publiée dans les pages du JDD, le dimanche 19 mai. |
Dans les 15 milliards, on trouve beaucoup, non pas de premiers investissements en France, mais d’agrandissements de sites qui existent déjà, ou de créations de sites peu générateurs d’emplois (data centers…).
Le baromètre d’Ernst and Young pointe aussi de son côté que la France serait leader en Europe pour attirer les investisseurs étrangers avec 1 194 projets d’investissements recensés en 2023. En effet, en nombre de projets, nous sommes premiers en Europe. Mais là encore, seulement 36 % des projets sont de nouvelles implantations en France contre 77 % en Allemagne ou 75 % au Royaume-Uni.
La France attire aussi moins de centres de décision que le Royaume-Uni. Le baromètre EY pointe également un nombre d’emplois par projet plus faible en France qu’ailleurs : 33 emplois contre 49 en Allemagne et 61 au Royaume-Uni.
Avec environ 10 % de PIB industriel, nous sommes loin derrière les Allemands ou les Suisses qui affichent un taux double. Alors oui, l’emploi industriel s’est amélioré ces dernières années pour arriver à 3,6 millions, mais notre part d’emploi industriel dans l’emploi total évolue très peu : 13,3 % en 2022 contre… 13,7 % en 2012. Et, depuis les années 1980, la France a perdu deux millions d’emplois dans l’industrie.
Avec des investissements aussi pauvres en emplois que l’édition 2024 de Choose France, il ne faudrait pas moins de 3 000 milliards d’euros d’investissements pour retrouver le niveau d’emploi industriel des années 1980.
En France, au niveau du Smic, les charges sont à quasi zéro pour les employeurs, certes, mais l’augmentation des charges est très rapide au-delà du Smic. Si bien que le coût est identique pour l’employeur pour deux personnes au Smic ou une seule personne à 1,5 Smic !
La tentation française de la smicardisation
La Fondation Ifrap a chiffré qu’à partir de 2,8 Smic, les charges (sociales salariales et patronales) coûtent 30 milliards de plus en France aux entreprises qu’en Allemagne. Et cela car les charges sociales employeur et salariales sont dégressives outre-Rhin en fonction du salaire.
En clair : plus on embauche à haut salaire en France, plus on paie proportionnellement de charges, et plus on embauche à haut salaire en Allemagne et moins on paie de charges. On voudrait décourager l’embauche dans l’industrie et la montée en gamme de nos produits que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Les salaires au niveau du salaire minimum allemand sont d’ailleurs, à l’inverse, beaucoup plus chargés qu’en France. Il n’y a donc pas outre-Rhin de tentation de « smicardisation » des salariés comme en France. Le dispositif français d’allègements reste très centré sur les bas salaires : 75,6 % du total (57,1 milliards d’euros) concernent les salaires en dessous de 1,6 Smic.
Les allègements du coût du travail entre 2,5 et 3,5 Smic restent marginaux (1,8 milliard d’euros, 2,4 % du montant total des allègements). Or, la majorité des investissements étrangers sont industriels et donc avec des niveaux de salaire qui sont ceux de l’industrie, autour de deux Smic en moyenne, soit plus élevés que la moyenne des salaires sur l’ensemble de l’économie, qui est à 1,8 Smic.
Quand on regarde quel secteur bénéficie des allègements de charges en France, on se rend compte que l’industrie en bénéficie proportionnellement moins que les autres par rapport au poids de la masse salariale industrielle.
En regard de son poids dans la masse salariale industrielle (18 %) par rapport aux autres secteurs de l’économie, l’industrie bénéficie de seulement 13,2 % du montant total des allègements. Même si on a pu noter avec le CICE une amélioration avec des allègements de charges montant jusqu’à 3,5 Smic et, depuis, un redémarrage positif de la création d’emplois industriels.
Le système continue malgré cela à privilégier l’emploi (à court terme et peu productif) à la compétitivité. Et le risque est de ne pas avancer dans les prochains mois et prochaines années mais de reculer puisque l’on voit que les allègements de charges entre 2,5 et 3,5 Smic sont attaqués en ce moment.
Il ne faut pas chercher plus loin : pour que la France redevienne attractive à la fois en investissements et en emplois, nos allègements de charges actuels sur les bas salaires ne suffisent pas. Et massivement au-delà de 2,5 Smic à l’encontre de la petite musique que l’on entend en ce moment, qui insinue qu’il y aurait trop d’allègements de charges au-delà de deux Smic. Si l’on ne veut pas des investissements sans emplois et si l’on veut vraiment réindustrialiser et « désmicardiser » la France, ne nous trompons pas de combat !