RSA : peu de succès, beaucoup de fraudes
Le Revenu de Solidarité Active remplace le RMI depuis 2009 en ajoutant à ce dernier un « RSA-activité » qui permet à des titulaires de bas revenus du travail de compléter leur salaire par une allocation dépendant du montant des ressources du foyer. Or cette innovation ne semble pas du tout rencontrer le succès escompté, et dans le même temps elle fait l'objet d'un taux d' « indus », voire de fraudes, impressionnant.
Peu de succès
En mai 2010, et d'après les statistiques ministérielles, le « RSA-socle », qui remplace l'ex-RMI réservé aux personnes sans travail, concernait 1,158 million de foyers. La réforme de 2008 a ajouté à l'ex-RMI un « RSA-activité », dont peuvent bénéficier les RMistes qui font la démarche de retourner à l'emploi, mais aussi et plus généralement toutes les personnes dont l'ensemble des revenus, ceux d'activité compris, sont inférieurs à un certain montant variable en fonction de la composition du foyer. A la même date, 189.000 foyers perçoivent à la fois le RSA-socle et le RSA-activité et 445.000 perçoivent le RSA-activité seul. Il y a donc environ 630.000 foyers de plus qui bénéficient du nouveau RSA par rapport à l'ancien RMI. Quelle conclusion peut-on tirer de ces statistiques ?
Tout d'abord, au moment de la mise en place du RSA, les autorités s'attendaient à une augmentation des bénéficiaires d'environ 1,2 million au cours de la première année, et 2 millions à terme. On est donc, avec 630.000 nouveaux entrants, bien loin du compte, le verre étant au mieux à moitié plein.
Un effet inconnu sur le retour à l'emploi
D'autre part, aucune conclusion ne peut être tirée de ces chiffres quant à l'effet du RSA sur la stimulation du retour à l'emploi que cette prestation a pour objet principal de favoriser. Car il ne résulte nullement de l'augmentation du nombre de bénéficiaires que ceux-ci ne travaillaient pas déjà avant l'entrée en vigueur du RSA. Il est plutôt vraisemblable que ces nouveaux venus ont simplement été rattrapés par suite de l'élévation du seuil de l'allocation. Autrement dit, le RSA-activité procure certes un revenu supplémentaire et a donc un effet sur le taux de pauvreté, mais il est impossible, en tout cas à partir des indications fournies par les autorités, de conclure à un effet de stimulation du retour à l'emploi, comme le prétend de façon hasardeuse le site officiel du RSA.
Quelles peuvent être les raisons d'une désaffection des bénéficiaires potentiels ? Elles sont faciles à imaginer : « un système intrusif et trop compliqué » comme l'indique le Secours Catholique, qui a constaté que plus de la moitié des personnes éligibles ne font pas de demande. Effectivement la procédure nécessite quantité de déclarations de ressources et de justifications qui rebutent ces personnes et son résultat est impossible à prévoir. Il y a d'autre part la fierté de ceux qui refusent d'être à la charge de l'Etat (n'oublions pas ces personnes qui, comme nous l'avons vu, sont déjà intégrées dans le monde du travail et sont réticentes à revenir vers un revenu d'assistance) la difficulté matérielle pour certains de travailler, voire l'inaptitude au travail, la routine de l'enfermement dans l'assistance… mais aussi la discrétion voulue par ceux qui travaillent au noir. Par ailleurs, seul un travail à plein temps ou bien rémunéré apporte un complément important, et encore, des effets de seuil restent-ils inévitables concernant les aides annexes qui risquent de disparaître, et particulièrement la CMU.
Dans la mesure où l'assistance apporte quand même souvent le minimum nécessaire, beaucoup de Français sont devenus très exigeants quant à la nature du travail qui leur est proposé, et à la rémunération qui accompagne ce dernier. C'est d'ailleurs la critique d'une certaine gauche contre le RSA, accusé de contraindre les bénéficiaires à accepter les « petits boulots » qu'ils préfèrent refuser. Mais alors, faute de pouvoir trouver des « beaux boulots » pour tous, il faut conclure que toute augmentation de l'assistance ne peut qu'amplifier la préférence pour le non-travail, et à l'inverse, toute diminution de cette assistance sera incitative. C'est en tout cas la pensée de David Cameron de l'autre côté de la Manche.
Beaucoup de fraudes qui rapportent gros
C'est l'audition du directeur général de la CNAF par la Mission d'évaluation et de contrôle du Parlement qui nous l'apprend. La CNAF se montre satisfaite de ses résultats –un quadruplement en trois ans du montant des fraudes détectées [1]. Mais les chiffres concernant le RSA en particulier sont malgré tout saisissants. La CNAF évalue à 50% du total le nombre de cas de fraudes concernant le RSA sous ses diverses formes, correspondant à 70% des montants financiers. Or elle évalue par ailleurs à 200.000 le nombre total de fraudeurs, correspondant à un montant financier « compris entre 540 et 808 millions d'euros ».
Ce qui signifierait 100.000 fraudeurs au RSA, soit environ 5,6% des bénéficiaires, et un montant de fraudes difficile à évaluer compte tenu du flou de l'estimation de la CNAF, mais compris entre 400 et 500 millions d'euros, correspondant à 8 à 10% des dépenses du RSA (leur montant pour 2010 n'est pas connu).
Ces chiffres préoccupants s'expliquent, comme le relève sans détours la CNAF, « par le fait qu'il s'agit de la prestation dont le montant est le plus élevé ». Ajoutons que la fraude est par trop facile. L'allocation est familialisée et repose sur les simples déclarations sur l'honneur du bénéficiaire quant à la composition du foyer et les ressources disponibles. Pour une personne seule avec deux enfants, une « omission » de déclaration de vie commune avec une personne active « rapportera » par exemple un minimum de 250 euros par mois.
Autre exemple, le faux le plus pratiqué est semble-t-il l'acte de naissance. Tout enfant déclaré « rapporte » quant à lui 230 euros environ par mois. Pas étonnant dans ces conditions que, si les honnêtes gens ont les réticences qu'on a vues à demander les aides, d'autres, sans scrupules, se soient précipités sur une nouvelle manne qui peut rapporter gros sans trop de difficulté.
Le RSA doit être révisé
Au plan financier, comparé à son peu de succès, son coût est démesuré. Au montant des fraudes doit encore être ajouté le coût de gestion : la CNAF a reconnu que la gestion des seules mesures supplémentaires, qui ont généré moins de 800 millions d'euros en allocations, a entraîné des dépenses de 100 millions d'euros, et notamment l'embauche de 1.257 nouveaux agents. C'est un rapport désastreux.
Au plan social, le RSA est illisible. Pour le moins il doit être réuni avec les autres aides, en particulier avec la prime pour l'emploi, les allocations logement et toutes les allocations dépendant de la politique de la famille, pour aboutir à un ensemble compréhensible et aussi financièrement plafonné. On doit aussi se poser la question fondamentale de savoir s'il est correct de familiariser les aides, au motif que celles-ci doivent répondre au dogme « à chacun selon ses besoins ». Ceci entraîne une recherche intrusive de ces besoins (quelle est votre situation personnelle, vivez-vous en couple ? etc…) qui n'est pas dans le rôle de l'Etat et fait fi de la liberté et des choix personnels des individus.
Au plan des finalités enfin, le but essentiel du RSA reste selon nous l'effet sur le retour à l'emploi. Or nous n'avons pas d'informations à ce sujet, puisque nous ne connaissons pas parmi la population percevant le RSA-activité la proportion qui était déjà titulaire d'un emploi. Il est impératif que les autorités les fournissent, car un échec dans le retour à l'emploi condamnerait à notre sens le RSA.
[1] Il s'agit ici bien entendu seulement des fraudes aux prestations à l'exclusion des fraudes aux cotisations.