Responsabilité pénale des employeurs : «Oui à l'obligation de moyens, non à l'obligation de résultat»
Il est temps de déconfiner progressivement. Notre économie en a urgemment besoin. Mais si, malgré toutes les précautions sanitaires, un salarié de votre équipe tombe malade du Covid, que vous soyez élu ou employeur privé, votre responsabilité pénale pourrait être engagée alors même que vous n'avez pas le droit de proposer à vos salariés de bénéficier de tests effectués par des laboratoires au motif de protéger les données de santé. Cette situation est ubuesque. Il est urgent d'agir pour que les directeurs d'école, les maires des petites et grandes communes, les dirigeants de TPE ne soient pas tétanisés face au déconfinement. Alors oui à l'obligation de moyens, mais non à l'obligation de résultat.
Les élus sont montés au créneau au Sénat pour exiger des garanties en matière de responsabilité pénale des maires, des fonctionnaires et des employeurs dans le cadre du déconfinement. Il existe en effet des risques réels pour que les administrés ou les salariés se retournent contre leur maire ou leur employeur parce qu'ils auraient été infectés pendant la phase de déconfinement, alors même que ces derniers auraient respecté l'ensemble des consignes et des règlements de sécurité en la matière.
La loi « Fauchon » du 10 juillet 2000 « tendant à préciser la définition des délits non intentionnels » a certes tenté de réduire pour les élus le champ des cas dans lesquels pouvait être retenue la « faute non intentionnelle ». Elle a ajouté un alinéa 4 à l'article 121-3 du Code pénal disposant que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation sans prendre les mesures permettant de l'éviter, ne sont pénalement responsables que si elles ont violé sciemment une mesure de sécurité et de prudence ou commis une faute caractérisée. Cette rédaction n'a pourtant pas pleinement permis de sécuriser la matière, même si la rédaction actuelle impose aux juges une appréciation concrète de la faute non intentionnelle.
Pour les employeurs privés, leur responsabilité pénale reste aujourd'hui exposée. Cela dit, en matière de droit du travail, des évolutions jurisprudentielles leur sont favorables puisque l'obligation de sécurité (de résultat) est aujourd'hui quasiment morte (en dehors des cas de harcèlement), à l'issue de la jurisprudence Air France de la Cour de cassation (25 novembre 2015), confirmée définitivement en Assemblée plénière par l'arrêt n°643 du 5 avril 2019, Société EDF, affirmant que « ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail. »
Un frein à la reprise d'activité
Face à ces deux écueils sur lesquels va immanquablement buter le déconfinement, puisque les employeurs et les élus vont freiner pour faire revenir leurs équipes sur site, prolongeant de facto le coût du chômage partiel et le coût des autorisations spéciales d'absence, le gouvernement a tout de suite étrangement fermé la porte au débat, jugeant que les dispositions sécurisant les maires étaient suffisamment claires et efficaces. Edouard Philippe a ensuite semblé être ouvert à un amendement pour les élus locaux, mais un amendement de suppression du gouvernement a été déposé pour supprimer celui des sénateurs levant leur responsabilité pénale en cas de contamination au Covid. Amendement de suppression qui a recueilli mardi soir zéro voix. Alors qu'il s'agissait d'un scrutin public (348 voix à 0). Y compris dans les rangs de la majorité présidentielle, une première. Tandis que l'amendement des sénateurs était adopté.
Les arguments du gouvernement sont faibles. Il se contente de soulever que la modification opérée par le Sénat ne permettrait plus de poursuivre la faute pénale caractérisée durant l'état d'urgence sanitaire, induisant une différence de traitement portant atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale... Certes, mais il faut savoir si nous avons collectivement intérêt à ce que tous les employeurs de France, publics ou privés, ne soient pas tétanisés par leur responsabilité pénale.
La Fondation iFRAP soutient que l'extension prévue par le Sénat est juste et de nature à sécuriser la situation des employeurs publics et privés pendant l'état d'urgence sanitaire. Et ce d'autant plus qu'elle circonscrit les risques induits dans le cas express où les employeurs auraient agi intentionnellement, par imprudence ou négligence ou en violation manifestement délibérée d'une mesure de police administrative ou d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité... Ce qui ne constitue pas un régime d'exonération général et indistinct, comme l'affirme le gouvernement. On finit par se demander ce qui bloque à ce point le gouvernement. Certains syndicats, peut-être ? Espérons qu'à l'Assemblée nationale, la mesure sera adoptée. Il y va de l'avenir économique de notre pays.