Réseaux de soins des mutuelles, un vrai progrès
A peine signée, la convention médicale entre l'assurance maladie (CNAM) et les médecins est contestée. Comme d'habitude, l'augmentation de 1 euro du prix des consultations et les dépassements de tarif ont monopolisé les discussions. L'organisation de réseaux de soins offrirait au contraire aux professionnels de santé et aux malades l'opportunité de dépasser ces marchandages et de traiter du sujet le plus important : la façon dont ils veulent soigner et être soignés.
Après les vols « low cost » et les supermarchés « discount », le développement de filières de soins médicaux à prix réduits fait peur. On imagine déjà des assureurs-rapaces négociant des prix de gros pour obtenir des consultations de généraliste à 22 euros au lieu des 23 actuels, 2,50 euros au lieu de 2,65 pour les Actes de soins infirmiers et des tarifs inférieurs à ceux de l'Assurance maladie pour toute la gamme des soins ou opérations chirurgicales.
Cette perspective a de quoi effrayer les médecins, les autres professions médicales et aussi les malades. Mais l'objectif de ces réseaux de soins ne devrait pas être d'aggraver le marchandage habituel de la CNAM sur les tarifs Sécu, mais de permettre l'ouverture des pratiques médicales, leur bouleversement même, pour ceux qui sont prêts à s'y engager.
Changer les règles du jeu
Cela tombe bien, les pratiques actuelles ne satisfont personne. Ni la majorité des médecins qui sont déçus par le cadre dans lequel ils doivent travailler, ni les malades qui sont perdus face à la complexité du système de soins et sont souvent traités en pièces détachées, ni les économistes et les responsables politiques qui s'alarment de la charge excessive que font peser les soins sur l'économie.
Qu'il s'agisse d'hospitalisation programmée, d'hospitalisation en urgence, de soins de ville normaux ou du suivi de maladies chroniques, les mêmes questions se posent : où se faire soigner, comment le suivi est-il assuré à travers les différents intervenants, à quel coût pour soi et pour la société ?
Le système actuel ne répond à aucun de ces besoins, notamment pour les Français les moins avertis. Malgré les informations précises dont elle dispose, la CNAM ne conseille pas les assurés et les malades, n'oriente pas les malades vers les services et médecins les mieux adaptés aux différents cas [1] et elle a très rarement éliminé les plus mauvais, même quand les écarts de performance étaient connus (de un à trois en mortalité, en séquelles, en ré-hospitalisation, ou de un à deux en coûts). Le système est aussi très défaillant pour assurer le suivi des patients à la sortie des établissements de soins (passage en soins de suite ou en hospitalisation à domicile) et pour assurer le suivi des malades chroniques.
Faire face à la complexité par la diversité
Dans le domaine de la santé plus qu'ailleurs, les besoins des consommateurs sont très variés. Les offres des fournisseurs devraient s'y adapter. Mais cette diversité n'étant naturellement pas offerte par un monopole comme la CNAM, c'est à des réseaux de soins divers qu'il revient de les proposer à ceux qui le souhaitent, assurés, malades et professions médicales. Comme dans les autres domaines (alimentaires, médicaments, construction, transports …), on attend de l'État/CNAM des normes et des contrôles, mais surtout pas de la production ni de la distribution de ces services.
Quels organisateurs des réseaux de soins
Depuis longtemps, certaines complémentaires santé (exemple MGEN) produisent des soins et gèrent des établissements de soins. D'autres complémentaires organisent des réseaux de soins d'optique et dentaires en passant des contrats avec des cabinets libéraux. D'autres fournissent des listes de médecins recommandés, sans pénaliser financièrement les malades qui en consultent d'autres. Ces tentatives peuvent conduire à des progrès qui dépassent de loin l'aspect purement financier (faire baisser les prix) dans ces secteurs. Dans le domaine dentaire par exemple, les écarts de fonctionnalité, de qualité et de coûts des soins et des prothèses sont tels que disposer d'un rôle de conseil peut s'avérer indispensable. Si l'optique et le dentaire ont été les premiers pris en charge par les complémentaires santé, c'est sans doute parce que le rôle de la CNAM y est quasi inexistant. Limiter ces réseaux à l'optique et au dentaire n'a aucun sens, mais pour pouvoir assumer ces nouvelles responsabilités, les complémentaires santé doivent devenir responsables au premier euro (un seul niveau d'assurance par personne).
Certains estiment, qu'il n'y a pas que les complémentaires santé qui devraient être en position d'organiser des réseaux de soins « certifiés ». Des associations d'assurés pourraient se constituer en dehors des assureurs pour évaluer des fournisseurs de soins, construire des parcours et les recommander à leurs adhérents. L'espoir est qu'elles seraient moins sujettes que les assureurs aux conflits entre leur intérêt financier et leur déontologie. Des associations puissantes existant déjà dans certains domaines (Parkinson, sida, sclérose en plaques, Alzheimer), ces réseaux pourraient s'organiser par pathologie, mais d'autres estiment que cette compétence étroite sera nuisible à long terme et qu'il est préférable d'organiser des réseaux généralistes. Seule l'expérimentation permettra de découvrir quelles sont les meilleures solutions.
Assurés et malades : une méfiance étrange
En France, les grandes entreprises, et notamment les banques et les assurances, sont souvent stigmatisées pour les bénéfices excessifs qu'elles verseraient à leurs actionnaires. Même si ces critiques étaient justifiées, elles s'appliqueraient peu dans le domaine des complémentaires santé : 76% des assurés le sont par des mutuelles ou des institutions de prévoyance qui ne font pas de bénéfices. Pour ces 76%, il est difficile de prétendre a priori que ces assureurs vont décider de construire des filières de soins en choisissant de mauvais médecins mal payés pour gonfler leurs résultats. Il n'est naturellement pas exclu que certains de ces organismes soient mal gérés, mais en théorie au moins, les adhérents de ces organismes peuvent reprendre le pouvoir et réformer leur assureur, ou en changer. Dans tous les cas, une situation qui ne peut pas être pire que la situation présente où la CNAM, en position de monopole, a très peu d'intérêt à faire évoluer la situation. Quant aux sociétés d'assurance strictement privées qui assurent 24% de la population, face à cette forte concurrence, elles pourront difficilement ne pas chercher à faire aussi bien ou mieux que leurs concurrents.
Professions médicales : la crainte d'être évalué
Les syndicats médicaux militent contre les réseaux de soins : comme à la SNCF ou à l'Éducation nationale, leur but inavoué est de préserver l'unité de leur profession par l'uniformité (tout le monde pareil). Ils ne sont pas choqués, par exemple, que les 50.000 généralistes du secteur 1 soient tous payés 23 euros par consultation. Une règle inimaginable dans toutes les autres professions où ceux qui ont acquis de l'expérience et enrichi leurs compétences ne sont évidemment pas rémunérés au même niveau que les débutants ou ceux qui n'ont pas voulu ou pu évoluer pendant 25 ans. Il est pourtant de l'intérêt de la majorité des professionnels de santé de pouvoir négocier diverses pratiques médicales avec plusieurs payeurs. Quoi qu'ils aient à vendre, les « producteurs » ont toujours intérêt à pouvoir négocier avec plusieurs « acheteurs, et les « salariés » avec plusieurs « employeurs ». Seuls les professionnels de santé les moins performants devraient s'inquiéter de cette nouvelle possibilité, mais pas les autres.
Vive la diversité
Dans tous les domaines, notre époque a fait de la diversité une oriflamme du progrès : culture, science, éducation, voisinage, relations, sport, politique… Souvent à juste titre. Alors pourquoi enfermer notre système de soins dans l'uniformité sans même parvenir à l'égalité ?
[1] L'étude suédoise publiée dans The Journal of Clinical Oncology et citée par Le Figaro confirme l'utilité de conseils compétents et indépendants : "les malades opérés d'un cancer de l'œsophage par des médecins ayant un haut volume opératoire présentent un risque de mortalité à long terme inférieur de 22% à ceux pris en charge par des chirurgiens ayant un faible volume opératoire",