Renault, Michelin, PSA : objectif monde
Le jour où l'inauguration de l'usine de Renault au Maroc suscite des réactions violentes, Michelin vient pareillement d'annoncer des investissements importants et la construction de nouvelles usines au Brésil et en Chine. Le parallèle est à faire. Les deux groupes ont des visions d'avenir qui ne peuvent qu'être approuvées.
La décision de Michelin n' a suscité aucune réaction sinon l'approbation des marchés. Et pourtant Michelin, avec un quart seulement de ses effectifs en France, 75 sites de par le monde sur 19 pays, est plus engagé internationalement que Renault. Sa santé financière est bien meilleure que celle de Renault et son ambition est d'augmenter de 50% ses implantations à l'étranger et de miser sur les pays émergents, parce que c'est « là que se trouvent les marchés ». Qui met en question cette stratégie ?
L'annonce faite par Renault a seulement le malheur d'arriver en pleine période électorale. Mais elle se place dans une vision à long terme d'entrepreneur et à ce titre elle n'est pas plus contestable que celle de Michelin. Tout d'abord, la décision de construction de cette usine a été semble-t-il prise en 2007, et ne s'en émouvoir qu'en 2012 est hypocrite, ou pas sérieux. Les décisions engagent à long terme, et pour de très nombreuses années. La seule question qui se pose est de savoir si ces décisions ont été prises dans le cadre d'une vision justifiée du grand avenir. Or la situation est assez claire.
Tout d'abord il y a surcapacité de production d'automobiles en Europe et particulièrement en France où les constructeurs nationaux perdent du terrain au profit des autres constructeurs européens. Il ne sert à rien de se lamenter sur ce fait, il faut au contraire trouver le bon créneau. Ensuite, les spécialistes s'accordent pour dire que dans quelques années il ne subsistera que quelques constructeurs dans le monde. Il s'agit d'être de ceux-là, et la stratégie d'achat de Nissan, puis Dacia, a été la bonne en permettant à Renault, après le redressement de cette marque, d'être au total bénéficiaire et de se développer, en atteignant la place de troisième groupe mondial. Il serait absurde que Renault cesse cette stratégie qui notamment signifie un certain abandon de la priorité donnée au « cœur de gamme » (voitures moyennes) « made in France » qui l'a longtemps pénalisé. Or le segment « low cost » ne peut pas être « made in France ». Enfin, si Renault ne s'était pas établi au Maroc, c'eût été un autre constructeur, avec les mêmes conséquences éventuelles sur le marché français. Il est possible que le groupe Renault « cannibalise » une partie de sa production française, ou roumaine, mais tous les industriels savent qu'il vaut souvent mieux cannibaliser sa propre production que de se la faire manger par un concurrent.
La preuve par la négative de la nécessité de se fixer un objectif monde nous est malheureusement apportée au même moment par PSA, dont la situation est alarmante. Pourquoi ? Essentiellement en raison de la surcapacité des usines européennes, de la chute des ventes en France (-10%) et en Europe (-5%), de sa trop grande exposition aux marchés français et européen (60% de ses ventes) et du coût du travail excessif. D'où pour la première fois une perte opérationnelle de 92 millions dans le secteur automobile en 2011. Son PDG explique qu'il est à la fois contraint de diminuer ses coûts et de licencier en France, et de pousser sa stratégie de mondialisation (en Amérique latine, Russie et Chine).
Alors cessons de pousser des cris lorsqu'on voit nos industriels développer leurs activités internationales. S'ils veulent vivre, les grands groupes industriels, automobiles ou autres, doivent avoir une stature mondiale. A défaut, il n'y aura même plus de « made in France ». Mieux (ou pire) encore, comme l'a confié un représentant de Toyota à l'économiste Charles Gave qui s'étonnait de ne voir que très peu de personnel dans les usines japonaises, dans quelques années la robotisation sera presque totale, au point que toutes les voitures du monde pourront être construites par 100.000 personnes. Avec la mondialisation des composants, voilà qui de toute façon renvoie aux siècles passés les tenants du made in France comme panacée pour l'emploi, au moins pour l'automobile. Ce qui oblige à trouver d'autres modèles de croissance.