Réformer le droit du travail par ordonnances est justifié et nécessaire
La CGT a sorti les grands mots. Elle appelle le nouveau président de la République à « ne pas légiférer par ordonnances » notamment pour sa réforme du Code du travail. Ses arguments ? Quand on gouverne par ordonnances, on ne respecterait pas la démocratie. Et beaucoup d'électeurs d'Emmanuel Macron auraient combattu la loi travail…
Le gouvernement n'est pas encore nommé, les élections législatives n'ont pas encore eu lieu et le leader du blocage des réformes est déjà sur le pont pour appeler les salariés à se « mobiliser pour leurs revendications ». Le quinquennat, s'il veut être le théâtre des réformes, ne s'annonce pas de tout repos sur le front syndical. Il va falloir aller très vite pour réformer.
Gouverner par ordonnances est pourtant on ne peut plus respectueux de la démocratie. L'article 38 de la Constitution est clair: « Le gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Le gouvernement peut donc utiliser la méthode des ordonnances, sauf pour les domaines des lois organiques, aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale.
C'est donc bien le Parlement qui, par la loi d'habilitation préalable aux ordonnances, donne le feu vert. C'est aussi le Parlement qui conclut le processus puisqu'il adopte ensuite un projet de loi de ratification des ordonnances. De plus, l'habilitation doit être précise. Le Conseil constitutionnel contrôle la conformité de l'ordonnance avec les termes de la loi d'habilitation. La méthode se distingue de l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution, par laquelle un projet de loi est réputé adopté sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures et adoptée. En ce sens, la méthode des ordonnances est plus respectueuse de la démocratie parlementaire.
Si le projet législatif est clairement mis entre les mains des Français et qu'Emmanuel Macron obtient la majorité absolue, nos concitoyens auront, en quelque sorte, donné un mandat aux parlementaires pour signer et contrôler les ordonnances. En matière de légitimité et représentativité, le mandat des parlementaires sera clair, contrairement à celui des syndicalistes…
Tout cela respecte donc bel et bien notre Constitution et notre démocratie
Les statistiques du recours aux ordonnances le montrent : rien n'est plus commun que cette procédure. Si de 1960 à 2000, seules 262 ordonnances ont été édictées, de 2000 à 2013, elles étaient 371, soit environ 35 ordonnances par an. Bien sûr, la plupart transposent des directives communautaires ou codifient des pans du droit technique sans les bouleverser. Cependant, la technique est en pratique bien rodée et banalisée. Elles ont été largement utilisées par le passé à l'occasion de certaines grandes réformes, comme en 1981 sous Mitterrand-Mauroy, notamment pour les 39 heures ou la retraite à 60 ans. Des réformes pas particulièrement anodines.
Légiférer par ordonnances va être plus que nécessaire. Les joies de la navette parlementaire aidant, 5 mois sont en moyenne nécessaires (selon les statistiques du Sénat) pour qu'une loi soit adoptée. Une moyenne honorable, mais une loi ambitieuse, elle, est systématiquement étudiée et débattue pendant plus d'un an au Parlement avant d'entrer en vigueur. Or la France ne peut pas attendre. En 2014, Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie et des Finances, défend sa loi « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ». Or le ministre va devoir attendre une année entière, affronter grèves et manifestations, un avis défavorable du Conseil d'État, presque huit mois de débats parlementaires, et le Premier ministre recourir deux fois au 49-3 et affronter deux motions de censure ! De quoi décourager les plus déterminés réformateurs. Alors, pourquoi ce tollé au sujet du recours aux ordonnances comme au 49-3, après des décennies de fonctionnement sans controverses de la Constitution de la Ve République ?
Oui, il faut souhaiter au nouveau président de ne pas capituler devant les oppositions qui se dressent contre l'application de son programme et l'utilisation des ordonnances, sinon nous aurons encore un quinquennat de perdu. D'autant que les mesures à prendre de façon urgente vont au-delà de celles programmées par Emmanuel Macron. Ainsi, en matière de droit du travail, plusieurs réformes qui fâchent doivent être adoptées : nouvelle définition du licenciement économique, assouplissement des obligations de reclassement, abandon des 35 heures, nouvelle réglementation des contrats de travail à durée déterminée et des contrats de travail à temps partiel, réglementation de l'assurance-chômage, modification des obligations liées au franchissement des seuils d'effectifs salariés.
On pourrait aussi citer l'abrogation du monopole dont jouissent les syndicats pour la présentation des candidats au premier tour des élections aux institutions représentatives du personnel, l'ouverture à l'employeur de la faculté de recourir au référendum d'entreprise pour l'adoption de mesures ayant obtenu l'accord d'au moins 30% des syndicats représentés, ainsi que la généralisation de la possibilité pour les accords d'entreprise de supplanter les accords de branche, sans que ces derniers puissent l'interdire.
Les syndicats doivent devenir plus représentatifs. Soufflons une idée pour le prochain gouvernement : organiser un référendum pour faire adopter par les Français le chèque syndical comme unique financement de nos chères centrales tellement biberonnées aux subsides issues des caisses sociales qu'elles ont très peu d'adhérents (8% des salariés contre 23% en moyenne dans l'Union européenne) et prennent des positions de plus en plus politiques. La rue contre les urnes, c'est aussi une vieille manière de faire de la politique. Pour faire des réformes, ordonnances et référendums seront indispensables.
Cette tribune a été publiée dans les pages Opinions du Figaro, le lundi 15 mai |