Rapport Berger : le retour du dirigisme ?
Les députés socialistes Karine Berger et Dominique Lefebvre ont remis leur rapport intitulé "dynamiser l'épargne financière des ménages". Un rapport très attendu dans le double contexte de durcissement de la fiscalité du capital (pour l'aligner sur celle des revenus) et de révolte des pigeons. Les préconisations du rapport doivent se traduire par une nouvelle orientation de la fiscalité de l'épargne, lors de la prochaine loi de Finances. Mais ces propositions sont-elles à la hauteur des enjeux ? La sensation qui se dégage à la lecture du rapport est que les auteurs restent dans une vision d'opposition entre investisseurs et entrepreneurs, et pensent avant tout à consolider les entreprises existantes, plutôt qu'à créer les entreprises de demain. Le modèle de financement des rapporteurs Berger et Lefebvre privilégie la collectivisation des encours des petits épargnants, mais nie l'importance pour notre économie du financement direct par des investisseurs de type Business Angels.
Analyse critique des propositions : Quel modèle de financement de l'économie ?
Les auteurs ne s'attardent guère sur les entreprises en démarrage et sur le capital d'amorçage. Leur objectif ce sont ces PME qui ne parviennent pas à grandir et auxquelles la transformation de l'épargne par l'intermédiation bancaire et financière doit permettre d'accorder plus facilement les capitaux qui leur manquent. Aussi les auteurs veulent s'appuyer sur 3 outils :
Le PEA-PME
Partant du constat que ce produit a connu un succès limité, parce que l'investissement direct en actions n'est pas un réflexe chez l'épargnant français, il s'agirait de l'encourager en mettant en place une nouvelle sorte de PEA dont les caractéristiques seraient les suivantes : il garderait le régime fiscal du PEA c'est-à-dire la capitalisation en franchise d'impôts des revenus (dividendes et plus-values) sous condition de n'effectuer aucun retrait avant 5 ans. Au-delà, les retraits seraient assujettis aux prélèvements sociaux. Il pourrait recevoir tous les titres des PME c'est-à-dire les actions mais aussi les obligations. La notion de PME retenue serait assez large (jusqu'à 1 milliard d'euros de capitalisation), qu'elle soit cotée ou non. Ce PEA serait également ouvert aux parts de placements mutualisés (type crowdfunding, fonds de fonds). Cette mesure qui selon ses défenseurs permettrait d'apporter 2,5 milliards d'euros de liquidités aux PME ne peut bien évidemment fonctionner que si un marché d'échange de titres voit le jour pour les titres de PME-ETI ce qui est un pari risqué et ne se trouve pas bloqué par l'administration fiscale qui a jusqu'à présent limité l'application du PEA dans ce domaine au titre de mesure anti-abus et de lutte contre la fraude.
L'assurance-vie
Ce produit draine des centaines de milliards d'encours au mieux utilisés aujourd'hui à financer la dette de l'État français. La solution proposée serait de créer un contrat euro-croissance qui ne bénéficierait d'une garantie du capital qu'à terme. Une solution qui permettrait une allocation différente des investissements en soutenant plus fortement les titres d'entreprises pour un meilleur rendement pour l'épargnant. Cette mesure se combinerait à une pénalisation fiscale des contrats de plus de 500.000 euros sauf à ce qu'ils soient investis en contrats en unités de compte ou en contrats euros croissance, et à une obligation pour ces contrats de réserver un compartiment de leurs actifs aux PME. L'objectif est ambitieux mais est-il vraiment réaliste si l'on considère que les gros contrats, ceux qui sont justement dans l'œil des rapporteurs sont surtout détenus par des épargnants âgés préparant leur succession et qui recherchent la sécurité d'un placement destiné à faire face à une dette future, la réallocation attendue risque fort de ne pas être au rendez-vous ?
Le financement de l'économie : éléments chiffrés Les entreprises, l'État, les collectivités locales, tous ceux qui investissent dans l'économie ont un besoin permanent de financement de l'ordre de 5.600 Md€ selon les rapporteurs qui peut s'appuyer heureusement sur les épargnants français dont le taux d'épargne ne faiblit pas (16%) et se situe toujours parmi les plus hauts des pays industrialisés. Au sein de l'épargne des ménages, l'épargne financière en représente environ 40% et les flux annuels de placements financiers sont de l'ordre de 100 Md€. Et leur patrimoine financier s'élève à 3.600 Md€ principalement investi en assurance-vie (1.450 Md€), en valeurs mobilières (960 Md€ dont 710 Md€ d'actions comprenant essentiellement des actions non cotées liées à la détention de l'outil professionnel), en livrets défiscalisés (590 Md€) et dépôts à vue (590 Md€). L'essentiel des besoins de financement des entreprises est correctement couvert à deux réserves près : |
Les livrets
"Nos propositions visent ainsi à réorienter 100 Md€ de patrimoine financier en quatre ans vers le financement productif des entreprises françaises, dont un quart spécifiquement vers les ETI et PME pour accompagner et compléter les initiatives prises par le gouvernement avec la création de la Banque publique d'investissement (BPI)". Même si les auteurs reconnaissent que drainer l'épargne des Français vers l'économie nécessite de poursuivre la politique de redressement des finances publiques, la collectivisation de l'épargne pour la confier à l'État investisseur est assez surprenante. On pourrait croire les auteurs enclins à recommander en ces temps d'austérité une certaine modestie à l'intervention économique de l'État. Or il n'en est rien : "Les ressources supplémentaires procurées par le relèvement du plafond des livrets défiscalisés qui doivent prioritairement soutenir l'effort de construction de logement doivent être également employés pour soutenir les interventions publiques dans le financement de l'économie, notamment pour de grands programmes d'infrastructures, ou encore venir en appui à des interventions de la Banque publique d'investissement par des prêts de refinancement. Un droit de refinancement jusqu'à 10 Md€ pourrait ainsi être ouvert dès 2013 pour le financement des entreprises. Un ordre de grandeur compris entre 10Mds et 20Mds d'euros pourrait parallèlement concerner le financement des grandes infrastructures."
Cette vision administrée de l'économie est pourtant très discutable et l'actualité vient d'en donner encore plusieurs exemples : Jean-Pierre Jouyet, patron de la Caisse des Dépôts et Consignations s'est récemment exprimé dans le Figaro pour déplorer que les 458 millions d'€ de pertes constatées pour 2012 proviennent d'opérations "pas toujours réalisées de plein gré par la CDC" (…) "Mais elle ne doit pas comme cela a pu se produire par le passé subir de pressions des pouvoirs publics qui l'amèneraient à subir des pertes. La CDC tout comme la future BPI doivent se comporter en investisseur avisé au service de l'intérêt général. Elle doit rechercher un rendement sur le moyen ou long terme." Or, lorsque l'on voit les déboires de la société Heuliez où avait pourtant investi la région Poitou-Charentes par ailleurs présidée par l'actuelle vice-présidente de la BPI, Ségolène Royal, il est évident que la barrière entre interventionnisme politique et investisseur avisé sera très difficile à respecter.
La voie recommandée par le rapport Berger-Lefebvre, celle d'une intermédiation renforcée, avec des investissements en partie dirigés par l'État, ne nous paraît pas de nature à faire vraiment redémarrer l'économie. La prétendue prudence des épargnants et leur préférence pour la liquidité est en l'occurrence justifiée par la fiscalité et les tentatives d'encouragement de l'investissement direct, décriés par les rapporteurs ne sont tout simplement pas renforcées alors qu'elles sont pourtant essentielles pour faire émerger des entreprises qui créeront les emplois de demain.
Le financement direct des entreprises oublié
Les rapporteurs sont très critiques vis-à-vis des principales mesures d'encouragement à l'investissement direct des épargnants au capital des PME : "Toutes les auditions menées, y compris celles des responsables de fonds d'investissement, ont souligné l'impact négatif en termes de sélection du risque qu'engendre ce type "d'aides fiscales à l'entrée. Un double phénomène de dérive s'observe : d'une part la recherche de la défiscalisation place au second rang l'attention pour la rentabilité réelle de l'investissement ; par ailleurs, un marché de l'intermédiation s'est constitué, se rémunérant en ponctionnant une grande part des dépenses fiscales."
Sur cette recherche de défiscalisation, il convient de rappeler que c'est la parole de l'État législateur qui est en cause : en effet, le contribuable préfère toujours une mesure immédiate d'exonération à la promesse d'un futur abattement qui peut toujours être supprimé avant sa date d'application comme le montrent des exemples récents comme la suppression de la réduction d'assiette pour les plus-values immobilières à partir de 6 ans de détention qui devait s'appliquer à partir du 1er janvier 2012 et supprimée en décembre 2011 ! C'est d'ailleurs ce qui est à demi-mot reconnu : "Il est enfin indispensable, pour assurer la confiance des Français dans leur épargne, de stabiliser pour la durée du quinquennat les mesures adoptées par les lois de finances rectificatives de 2012 et la loi de finances pour 2013, ainsi que celles qui découleront de la réforme de l'épargne financière que décidera le gouvernement."
Les critiques dressées par le rapport montre à quel point les auteurs négligent l'impact des jeunes entreprises et celles encore en création sur l'emploi de demain. Les rapporteurs veulent faire croître les PME existantes alors que, pour la plupart de celles qui n'ont pas crû au cours des 20 dernières années, bien souvent à cause des contraintes administratives et des charges qui ont freiné leur développement, il est trop tard maintenant pour reprendre leur croissance, soit parce que leur marché est devenu mature, soit parce que des concurrents plus rapides ont pris le marché hors de France. Quand on compare les bourses françaises et américaines, on constate que la majorité des grandes entreprises françaises sont nées avant guerre alors que, dans une beaucoup plus grande proportion, les grandes entreprises américaines sont nées après guerre. Et cela parce que la France refuse de reconnaître le modèle de financement américain des entreprises nouvelles basé sur le financement par des individus fortunés, des business angels, incités à investir par une fiscalité intelligente. Dans la même logique, les auteurs occultent l'impact négatif de l'ISF sur le financement de l'économie.
Conclusion
On ne compte plus en France depuis 40 ans les tentatives sans succès pour financer les nouvelles entreprises par des acteurs publics (SDR, Anvar, FCJE, fonds DSK, FSI ...) et le rapport Berger-Lefebvre propose de recommencer encore une fois. Il faut cesser de vouloir protéger les détenteurs d'épargne contre eux-mêmes en les poussant, à l'aide d'incitations fiscales, vers l'épargne collective administrée au lieu de les encourager à investir dans les entreprises qui créeront les emplois de demain s'ils en ont l'envie et les moyens. C'est le sens des conclusions des assises de l'entrepreneuriat qui ont transmis leur rapport au gouvernement. Selon nos informations, ces conclusions vont dans le sens de réconcilier les règles entre entrepreneurs et investisseurs, notamment sur l'imposition des plus-values et de faire en sorte que le PEA-PME ne soit pas forcément administré par les banques et soit exonéré d'ISF.
Propositions de la Fondation iFRAP
Renforcer l'avantage Madelin en le sortant du plafond global des niches à 10.000 euros, en supprimant tout plafond de déduction maximum et en mettant au contraire un plancher pour générer des investissements professionnels, remonter le taux de déduction de 18% à 30% et réserver ce dispositif aux seuls investissements en direct ;
Cibler l'ISF-PME sur les petites entreprises communautaires (moins de 50 salariés et moins de 10 millions d'euros de total de bilan) ;
Faire fonctionner la SCT, article 239 bis AB du CGI, en considérant comme « investisseurs professionnels » les Business Angels qui investissent 100.000 euros et plus en direct au capital de la SCT ;
Supprimer la distinction entre entrepreneur dirigeant et non dirigeant et étendre la notion de bien professionnel aux détenteurs de pactes dans le cadre de la taxation à l'ISF des actionnaires non dirigeants dans les ETI ;
Supprimer la clause suivante dans le cadre de la taxation des plus-values car elle crée une distinction entre investisseur et dirigeant : (pour les actionnaires qui demeurent au taux de 19%) : « le cédant doit avoir exercé au cours des 5 années précédant la cession une fonction de direction éligible ou avoir exercé une fonction salariée au sein de la société dont les titres sont cédés. »