Quel licenciement économique ?
Cette tribune a été publié dans le quotidien Le Figaro, le jeudi 9 avril 2015. |
Les entreprises françaises traînent deux boulets qui entravent leur marche et provoquent le phénomène de la « peur de l’embauche » : la rigidité au niveau de l’adaptation de la force de travail et l’absence de flexibilité au niveau de l’adaptation du volume de travail.
Côté flexibilité, il semble que le gouvernement soit prêt à assouplir les conditions des accords de maintien dans l’emploi. Et cela passera nécessairement par une flexibilisation des 35 heures.
Côté rigidité du contrat de travail, dire que pour pouvoir embaucher il faut pouvoir licencier ne fait maintenant plus scandale, même à la tête de l’État et du gouvernement sauf chez les juges de la Cour de cassation. Les propositions d’assouplissement affluent donc. Mais ils n’emportent pas la conviction. Qu’il s’agisse du contrat unique, qui risquerait de cumuler les inconvénients du CDI et du CDD, ou de l’idée du Medef de contractualiser à l’avance les conditions d’une rupture éventuelle, très difficile à mettre en œuvre par la difficulté de prévoir ces conditions surtout si leur validité devait excéder la durée maximum d’un CDD. Qu’il s’agisse encore de la toute récente proposition émanant d’un collectif de quinze économistes prestigieux, dont le prix Nobel Jean Tirole, qui a le mérite de s’attaquer de front au problème, effectivement essentiel, de la cause réelle et sérieuse et de la liberté que s’arrogent les tribunaux de se substituer à l’employeur pour juger de la validité du motif du licenciement. Mais, ce faisant, ils proposent de supprimer la nécessité d’une cause « sérieuse » pour ne laisser subsister que le contrôle judiciaire du caractère « réel » du licenciement. Ce serait cette fois aller trop loin dans le bouleversement du droit français du travail et interdire en fait le contrôle judiciaire du motif. De plus, cela nécessiterait de dénoncer la Convention 158 de l’OIT, ce qui paraît difficile.
L’idée enfin d’Emmanuel Macron d’accorder aux entreprises un « droit à l’erreur » lorsqu’elles embauchent des salariés va indéniablement dans le bon sens, mais sitôt exprimée elle passe à la trappe, n’étant même pas discutée lors de la réunion qui vient de se tenir entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Pression des syndicats, violemment opposés, et proximité du congrès socialiste obligent certainement. Partie remise pour le ministre ?
Il faudra bien en effet que l’on finisse par consacrer la liberté essentielle de l’employeur, celle de diriger son entreprise avec une vision de long terme que les tribunaux n’ont ni la légitimité ni la compétence de lui disputer. Plutôt que de parler de « droit à l’erreur », évoquons le droit à la prise de risque, avec son corollaire inévitable, la nécessité de tirer les conséquences d’un échec qui n’en est pas pour autant une erreur.
Il faut donc trouver un moyen terme, qui permette de ne pas écarter la compétence des tribunaux, tout en éliminant la jurisprudence désastreuse émanant de la Cour de cassation qui, en bref, juge sans cause réelle et sérieuse tout licenciement que le souci d’éviter la chute imminente de l’entreprise n’exigerait pas. La seule solution serait en vérité de modifier la définition du licenciement économique d’une façon qui élargirait, sans la supprimer, la « cause réelle et sérieuse » voulue par la loi. Dans l’article 1233-3 du Code du travail, au lieu de limiter cette notion aux « difficultés économiques » et aux « mutations technologiques », on l’élargirait à la « réorganisation de l’entreprise ou à une ou plusieurs suppressions de postes motivées par des difficultés économiques ou par le souci de maintenir la rentabilité de l’entreprise, ou par l’adaptation à de nouvelles conditions de marché ou de production, ou encore par la réorientation des activités de l’entreprise. L’employeur est seul juge de l’opportunité de procéder à cette réorganisation ou à ces suppressions de postes et de la façon d’y procéder. » De cette façon, les tribunaux conserveraient le droit de juger du caractère réel et sérieux du motif, sans pouvoir se substituer au chef d’entreprise.