PSA, l'industrie et le rôle de l'État
Le conflit PSA a donné l'occasion de passer en revue la palette des rôles possibles de l'État, dont le pouvoir actuel a joué avec une dextérité certaine, pour finalement se désengager non sans avoir occasionné quelques dégâts. Mais au final, même si la restructuration finit par se produire sans conflit ouvert et dans des délais acceptables, il reste un non-dit essentiel, celui de la compétitivité, qui fait craindre que le rôle de l'État que l'on risquerait de retenir le plus serait celui d'une démission qu'il faut absolument éviter.
Il y a d'abord l'État actionnaire. Ce modèle paraît bien avoir disparu. On ne recommence pas l'expérience mitterrandienne, surtout en période de crise des ressources publiques et de l'industrie privée. L'État n'a évidemment aucune envie de se retrouver à la tête d'une entreprise comme PSA mais aussi comme d'autres contraint à des restructurations douloureuses, et au final de nationaliser les pertes selon l'expression bien connue. Il lui est bien plus confortable de jouer les censeurs vertueux, quitte à le faire de façon particulièrement injuste à l'égard de la famille Peugeot.
Ensuite, l'État interventionniste « social ». Celui-là se partage entre effets de manche et retour assumé à la vérité économique, quitte à jouer d'un certain cynisme en se glorifiant, comme l'a fait tout récemment un ministre, d'avoir successivement fait intervenir avec violence le ministre du Redressement pour préparer l'intervention beaucoup plus discrète du Premier Ministre et finalement accepter ce que le Président Hollande lui-même avait qualifié d' « inacceptable », le tout en contrepartie, dit-on, d'engagements qui restent bien mystérieux. C'est effectivement que la restructuration de PSA est inéluctable, et que les pertes subies par le groupe (819 millions) pendant le premier semestre 2012 ne laissent pas de doute au plan de la « cause réelle et sérieuse » exigée par la loi pour justifier une restructuration se traduisant par des licenciements économiques qui se produiront fatalement. Le gouvernement actuel n'est pas différent du précédent à ce sujet, mais était-il vraiment nécessaire, pour en arriver là, de jeter, au nom d'un certain jeu de rôle, une fois de plus l'opprobre sur les entreprises et leurs actionnaires, surtout dans un cas où ces derniers ont incontestablement fait leur travail ?
Vient après l'État interventionniste « de filière ». C'est le plan annoncé mercredi qui a pour but d'aider la filière automobile en France, essentiellement en favorisant la fabrication et la vente de voitures propres, et dont bénéficieront également nos deux constructeurs nationaux, mais hélas aussi les importateurs de voitures étrangères. On peut penser ce qu'on veut de ce plan et de ses chances de succès, et on laissera aux spécialistes le soin de se prononcer [1], mais l'État est là bien dans son rôle, celui de mettre à disposition des filières nécessiteuses les ressources légales et financières à sa disposition, et cela sans avantager une entreprise plutôt qu'une autre et fausser la libre concurrence.
L'État arbitre est celui qui fait intervenir les partenaires sociaux et leur demande de parvenir à un accord sur un programme déterminé, ce qui a été le sujet de la dernière conférence sociale. Là non plus, pas de différence notable avec le gouvernement précédent, excepté peut-être une différence de style, le gouvernement actuel se montrant plus prudent et moins directif, encore qu'il faille attendre pour voir, en se souvenant des premiers pas consensuels du premier, jusqu'au moment où le sujet des retraites a fait exploser ce consensus. On a aussi observé que la conclusion de la conférence sociale a provoqué la colère de la patronne du Medef en raison des « oublis » du programme relatifs à la compétitivité. Donc restons aussi prudents dans les commentaires.
Enfin, voici l'État Ponce Pilate, ou le risque de l'État démissionnaire. C'est celui qui rejette la responsabilité qui lui incombe sur les partenaires sociaux. Michel Sapin, en commentant le récent plan d'aide à la filière automobile, a indiqué, en se référant de façon générale à la situation sociale chez PSA, que « ce n'est pas au gouvernement de faire bouger les choses, c'est au dialogue social ». Cela indique bien la volonté de désengagement de l'État dans le conflit social PSA – et l'on peut encore regretter que l'État ait commencé par jeter de l'huile sur le feu. Mais il ne faudrait pas que cette volonté de désengagement, justifiée au cas précis, conduise à l'immobilisme là où les partenaires sociaux dépassent leur niveau de compétence. Il s'agit ici des questions de compétitivité et de coût du travail. Or ce sont des sujets qui réclament absolument l'intervention de l'État, car ils entraînent avec eux celui de la fiscalité en même temps que celui de la protection sociale. Philippe Varin, le patron de PSA s'est fait, avec un collectif de dirigeants de grandes entreprises, le chantre de la nécessaire diminution du coût du travail. Le sujet n'a même pas été abordé dans la déclaration gouvernementale de mercredi. Et la seule manifestation politique observée a été, de façon négative, la suppression de la TVA anti-délocalisation sans aucun signe d'avancée positive. C'est un non-dit essentiel que la restructuration de PSA aurait dû au contraire faire ressortir. Au lieu de cela, les pouvoirs publics sous-estiment gravement le problème, à l'image du Président Hollande déclarant « c'est trop facile de dire que c'est la faute du coût du travail, il y a eu des choix stratégiques qui n'ont pas été bons ». Quand bien même ces choix se révéleraient discutables a posteriori, ce qu'il est pour le coup trop facile de critiquer, n'en est-il pas devenu encore plus nécessaire de venir aider par tous les moyens les industriels dont le tort essentiel est finalement d'être restés trop hexagonaux et européens en favorisant le « made in France » ? Certes la réduction du coût du travail n'est pas la panacée, mais dire par exemple qu'il ne suffira pas pour redresser l'industrie française de transférer les cotisations familiales sur l'impôt [2], ce que personne ne conteste, autorise-t-il pour autant l'immobilisme ? Il n'existe pas de remède magique unique, il faut faire flèche de tout bois. L'industrie automobile allemande s'est quant à elle au contraire caractérisée par des adaptations incessantes avec baisse des salaires et chômage partiel quand cela était nécessaire, filialisation d'entreprises avec conditions de travail défavorables par rapport à celles de la maison mère, contrats de travail individuels modulés à l'infini etc., et ce n'est que très récemment, la conjoncture le permettant, que les salaires ont réaugmenté. Certes, ces négociations étaient de la compétence des partenaires sociaux, mais la rigidité de nos syndicats rend encore plus indispensable que l'on agisse sur le volet coût du travail. Rappelons que les charges sociales patronales n'atteignent que 21% en Allemagne, à égalité avec les charges salariales, contre plus de 45% en France. La réflexion doit porter tant sur la réduction de ces charges – alors que le gouvernement actuel compte au contraire les augmenter – que sur les modalités de leur financement.
Il est quand même étonnant que les chefs d'entreprises français se plaignent de cette situation depuis des décennies, mais que les pouvoirs publics refusent d'y voir autre chose qu'une vieille rengaine et d'accepter de la corréler au malaise de l'industrie française. Louis Gallois est très bien placé pour faire rapport de cette question dans le cadre de la mission qui lui a été confiée. Espérons que ses conclusions ne soient pas édulcorées.
[1] Lesquels ne manquent pas d'avoir des doutes, dans la mesure où le marché des voitures propres n'existe pas vraiment, et qu'il est paradoxal de vouloir pousser la commercialisation de voitures peu efficaces et surtout chères, dont profiteront peu les classes moyennes et pas du tout les classes pauvres.
[2] Voir « Industrie : le coût salarial n'est pas coupable », J.Decaillon et A.Gauron, article paru dans les Echos du 25 juillet.