Primaire de la droite : ce qu’ils proposent en matière de Temps de travail
L’instauration des 35 heures aura décidément placé la France dans un corner redoutable d’où il est extrêmement difficile de sortir. Sur ce temps de travail, tout en étant proches les unes des autres en ce qu’elles tendent toutes à s’affranchir du carcan des 35 heures, les propositions des candidats de la droite diffèrent sensiblement sur les solutions pratiques, et font souvent l’impasse sur des précisions nécessaires. Une revue synthétique s’impose pour les six candidats qui se sont prononcés (Jean-Frédéric Poisson n’ayant pas évoqué le sujet).
Des solutions trop peu développées
Nathalie Kosciusko-Morizet propose seulement de supprimer la durée légale. Elle ne précise pas le mode de fixation de cette durée, et sa proposition est particulièrement lacunaire.
Concernant le temps de travail dans le secteur public, elle préconise « l’augmentation à 35 heures », ce qui semble faire allusion au fait que le temps de travail des salariés du secteur est effectivement souvent nettement inférieur aux 1 607 heures annuelles (correspondant à une durée hebdomadaire de 35 heures et à 25 jours de congé annuel moins la journée de solidarité).
Jean-François Copé n’est guère plus précis, sauf qu’il renvoie la fixation de la durée du travail à la négociation d’entreprise, et paraît donc supprimer la notion de durée légale. Mais il ne précise pas ce qui se passe en d’absence d’accord d’entreprise.
Dans le secteur public toutefois, il propose le retour à la durée légale de 39 heures.
François Fillon semble avoir légèrement évolué dans le temps. Il propose lui aussi maintenant de supprimer la durée légale (sauf le maximum communautaire de 48 heures) après avoir évoqué le passage à 39 heures, et renvoie à la négociation d’entreprise, sauf pour les TPE où les accords sont négociés au niveau de la branche. Il ne précise pas davantage ce qu’il advient faute d’accord d’entreprise ou de branche.
Dans le secteur public, il propose lui aussi le retour à 39 heures (payés 35) en moins d’un an, dont il attend une économie de 500 000 postes sur 5 ans.
Trois propositions plus structurées
Nicolas Sarkozy indique que les entreprises pourront par accord d’entreprise « s’exonérer » des 35 heures et fixer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Ce qui paraît supposer que la durée de 35 heures reste légale sauf accord d’entreprise contraire. Apparemment les majorations pour heures supplémentaires ne sont pas applicables, dans une limite non précisée mais que l’on peut imaginer être de 39 heures.
Nicolas Sarkozy est le plus précis dans le cas du secteur public : indépendamment de la restauration des 35 heures effectives, il propose le passage à 37 heures obligatoires (payées 37), sauf passage à 39 heures (payées 39) soumis au volontariat des agents. Dans le cadre de notre évaluation économique (à consulter en cliquant ici), le programme de Nicolas Sarkozy prévoit 7,8 milliards d’euros de rémunérations supplémentaires à ce titre (se décomposant en augmentation de 2 heures par semaine, plus 4 heures dans le cas de volontariat, plus 20% de rémunération complémentaire en contrepartie d’un temps de travail augmenté de 25%). Le détail du calcul n’est pas fourni, mais on peut estimer ce chiffrage en dessous de la réalité, sachant que les dépenses publiques au titre des salaires avoisinent 280 milliards.
Bruno Le Maire se veut le plus prolixe. Il préconise, comme Nicolas Sarkozy, la fixation de la durée du travail par accord d’entreprise, lequel fixera le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, étant entendu qu’à défaut d’accord les heures supplémentaires continueront d’être décomptées à partir de la 36ème heure. Des précisions sont apportées quant aux forfaits jours, qui peuvent aller jusqu’à 227 jours sans majoration et seront ouverts aux TPE sous condition d’accord.
En revanche, pour le secteur public, sa proposition, comme celle de Nathalie Kosciusko-Morizet, consiste seulement à s’assurer effectivement du respect de la durée de 35 heures, dont il attend l’équivalent de 27 000 postes à temps plein. Toutefois Bruno Le Maire prévoit d’augmenter le temps de travail des enseignants (8,33% dans l’école primaire, 11,5% dans le secondaire et 13% pour les professeurs agrégés).
Alain Juppé enfin préconise une durée légale « de référence » de 39 heures, ce qui signifie que liberté est donnée aux entreprises de fixer par accord la durée du travail entre 35 et 39 heures. L’augmentation de la rémunération est proportionnelle à celle de la durée du travail, sachant que jusqu’à 39 heures aucune majoration n’est applicable, mais que l’augmentation de la rémunération est exonérée d’impôt sur le revenu (coût de 2 milliards pour l’État).
L’originalité de la proposition tient à ce qu’en l’absence d’accord d’entreprise après deux années, cette dernière a la faculté de fixer la durée du travail comme elle l’entend (avec un maximum de 39 heures « de référence »).
Les mêmes principes seront applicables dans le secteur public suite à des négociations entre employeurs et représentants des agents.
Commentaire
Le trait commun le plus saillant reste le renvoi de la fixation de la durée du travail à l’accord d’entreprise – ou de branche pour les TPE selon François Fillon, avec la volonté pour tous d’assurer la pérennité des accords déjà en vigueur, ce qui correspond d’ailleurs au souhait généralement exprimé par les représentants des entreprises. En cas d’absence d’accord, seul Alain Juppé propose une fixation par l’employeur à l’expiration d’une durée de deux années. Les autres candidats ne se prononcent pas sur ce qu’il advient en cas d’absence d’accord, à l’exception de Nicolas Sarkozy et Bruno Lemaire, qui laissent subsister la durée légale de 35 heures.
D’une façon générale, la fixation du seuil des heures supplémentaires va de pair avec la durée négociée du travail, et aucune majoration n’est due jusqu’à 39 heures.
On note que les prises de position sont plus nettes en ce qui concerne le secteur public, où le retour automatique aux 39 heures est évoqué par Jean-François Copé, François Fillon et Alain Juppé (37 heures pour Nicolas Sarkozy), tandis que NKM et Bruno Le Maire se contentent de demander le retour à 35 heures effectives.
L’ensemble de ces propositions reflète une évidente prudence et une modération certaine chez les candidats. Cela tient pour partie aux souhaits exprimés par les entreprises de ne pas bousculer les compromis existants auxquels ces entreprises sont souvent parvenues avec beaucoup de difficultés, et qu’ils mettent à jour en permanence. Une entreprise comme Renault en est l’exemple typique, qui obtient par la négociation ce qu’une loi ne permettrait pas d’atteindre mais risquerait au contraire d’empêcher en mettant le feu aux poudres. Cela tient sûrement aussi à la conscience des risques de soulèvement social dans ce domaine si explosif.
Une telle prudence n’est pas critiquable. On observera néanmoins qu’aux vertus de cette prudence répondent immanquablement ses inconvénients.
Déjà, la flexibilité attendue du temps de travail est conditionnée par la passation d’accords d’entreprise. Même si cela représente un progrès dans le sens de cette flexibilité par rapport à la loi actuelle, qui ne permet de déroger dans ce domaine qu’à la valeur de la majoration pour heures supplémentaires, on ne peut être que très sceptique sur la probabilité que de tels accords soient passés. Cette réflexion s’adresse surtout, et une fois de plus, au cas des TPE et PME, dont la puissance de négociation est faible en face de syndicats organisés dont la compétence a encore été étendue dans les lois Rebsamen et El Khomri récentes. On remarque que seuls Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire, mais bien trop sommairement, et surtout Alain Juppé avec plus de précisions concernant les TPE, prévoient d’ouvrir les conditions dans lesquelles le recours au référendum permet de dénouer des situations où la négociation n’aboutit pas. Il est vrai que la position de la CGPME, qui exige un accord au niveau de la branche pour les TPE et PME, n’aide pas à assurer la flexibilité.