Prévoyance santé : pourquoi il faut refuser les clauses de désignation
L’Assemblée nationale avait adopté en première lecture en octobre dernier l’amendement 253 déposé par plusieurs députés socialistes dans le cadre du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PFLSS 2017). Cet amendement organisait le retour de clauses de désignation au bénéfice des institutions de prévoyance.
Les clauses de désignation prévoient la possibilité pour les branches professionnelles d’imposer la couverture des risques en prévoyance décès, incapacité, invalidité et inaptitude en sélectionnant au moins deux organismes « assureurs » - avec l’obligation pour les entreprises concernées de souscrire à l'un des contrats de référence choisis par leur branche.
Il s’agit là d’un marché de plusieurs milliards détenu à plus de 90% par des institutions de prévoyance dirigées par les organisations syndicales, qui financent ces mêmes syndicats de façon plus ou moins indirecte, comme nous l’avions évoqué dans notre note du 1er novembre 2016 : « Institutions de prévoyance : quel avenir ? »
Le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la LFSS 2017 introduisant le mécanisme de co-désignation, dans sa décision rendue le 22 décembre, pour une raison de forme: pour les Sages, ces dispositions « n'entrent pas dans le domaine des lois de financement de la Sécurité sociale ».
Le Conseil Constitutionnel avait déjà été amené à se déclarer sur ces clauses de désignations les jugeant contraires à la Constitution. Le 13 juin 2013 (décision no 2013-872 DC) il a jugé que ces clauses portaient une atteinte « à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle » disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques. Il avait néanmoins accepté que l’article L 912 – 1 du code de la Sécurité Sociale permette la possibilité d’une clause de recommandation « précédée d’une procédure de mise en concurrence… dans des conditions de transparence, d’impartialité et d’égalité de traitement entre les candidats ».
La protection sociale complémentaire collective et l’information des assurés
Le ministère des Affaires Sociales a déjà essayé – sans succès – de contourner cette décision en pénalisant fiscalement les couvertures hors recommandation. Mme Touraine avait également commandé le 14 octobre 2014 à Mr Dominique Libault – Directeur général de l’Ecole nationale de la sécurité sociale - un rapport sur l’organisation de la protection sociale collective. Ce long rapport très théorique ne traite malheureusement – à aucun moment – d’un sujet essentiel : l’information des assurés au travers de ces accords de branche. Comment sont-ils informés des garanties auxquelles ils peuvent prétendre, quelle est la définition des sinistres pris en charge, comment les déclarer… ?
Le rapport Libault cite un exemple très positif - à ses yeux - celui des particuliers employeurs : « Ils sont 3,6 millions. Ils remplissent leurs obligations de façon très simplifiée à travers le CESU. En trois clics, la déclaration sociale est faite, y compris le versement à un régime de prévoyance, en l’occurrence l’IRCEM »[1].
Effectivement sur un bulletin de paie du CESU apparaît une cotisation à l’IRCEM prévoyance de 0,92% de la rémunération pour la part salarié et de 1,19% pour la part employeur. Toutefois il n’y a aucune information transmise par l’IRCEM sur les garanties couvertes ni même un lien du CESU pour pouvoir s’informer.
Obligations des institutions de prévoyance
L’article L 932-6 du code de la Sécurité Sociale édicte : « l’Institution de prévoyance établit une notice qui définit les garanties souscrites par contrat ou par adhésion à un règlement et leurs modalités d’entrée en vigueur , ainsi que les formalités à accomplir en cas de réalisation du risque .Elle précise également le contenu des clauses édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ou limitation de garantie ainsi que des délais de prescription .L ‘adhérent est tenu de remettre cette notice à chaque participant. »
Obligations des employeurs
Il incombe à l’employeur un devoir d’information et de conseil prévu par l’article 12 de la loi EVIN du 31 décembre 1989. Cette obligation est triple :
- L’employeur est tenu de remettre à chaque salarié une notice d’information produite par l’organisme de prévoyance et détaillant les garanties souscrites et leurs modalités
- Une clause générale figurant au contrat de travail et rappelant qu’ils ont été informés,
- Une information écrite relative au maintien des garanties en cas de rupture du contrat de travail sauf faute lourde.
En fait beaucoup d’accords de branche organisent donc le prélèvement de cotisations qui peuvent être vécues comme des « taxes » sachant que les garanties ne sont souvent pas connues des assurés.
A ce titre les comptes 2015 de l’IRCEM sont éloquents : cotisations 229,2 millions €, bénéfice après charges 42,1 millions d’€ soit plus de 18 % des cotisations. Cela dure depuis de nombreuses années puisque la marge de solvabilité de cette Institution de prévoyance représente 18 fois le minimum légal.
En fait il aurait été souhaitable que le rapport Libault s’intéresse plus aux problèmes opérationnels et vérifie que les Institutions de prévoyance remplissent correctement leurs obligations en particulier celles liées à l ’information des assurés.
Ce rapport précise que « 250 branches ont mis en place une clause de désignation sur le risque prévoyance, couvrant plus de 10 millions de salariés ». Nombre de salariés sont mal informés de leurs droits et leurs employeurs mis en responsabilité par ces accords de branche alors qu’ils subissent des décisions qu’ils n’ont pas prises et qui s’imposent à eux. La tentation est toujours grande de dissimuler la complexité au lieu de simplifier.
En conséquence cet amendement déposé par quelques députés socialistes est scandaleux. Il vise en fait à permettre la poursuite d’un financement indirect du paritarisme au travers du maintien de ces accords.
Pourquoi les clauses de désignation ne sont pas forcément bénéfiques aux salariés
Qui plus est les députés socialistes signataires semblent ignorer que les clauses de désignation au bénéfice des Institutions de Prévoyance n’apportent pas les avantages annoncés par les syndicats :
1- Sur le fond :
- La mutualisation par branche favorise les secteurs en développement. Elle pénalise ceux qui sont en récession. En ce domaine une mutualisation interbranches est beaucoup plus équitable,
- La mutualisation par risques imaginée dans certains accords de branche ne sert à rien :
A - pour les couvertures décès pendant la vie active il y a peu d’écarts de mortalité dans les populations concernées. La mortalité tient beaucoup aux habitudes de vie : fumeurs/non-fumeurs, mortalité accidentelle…
B- en incapacité de travail elle peut même se révéler contreproductive en faisant financer les entreprises qui ont une mauvaise gestion du risque par celles qui ont une bonne gestion. Il ne faut pas oublier qu’en incapacité de travail on peut percevoir des sommes plus importantes qu’en activité lorsqu’on additionne les prestations provenant de différents contrats : prévoyance entreprise, remboursement de prêt bancaire… et autres couvertures individuelles. En fait le plus souvent les petites entreprises subissent les résultats déficitaires des grandes entreprises.
2 – Sur la forme :
A- certains accords de branche compliquent inutilement une couverture de risques déjà difficile à comprendre par les assurés en prévoyant des dispositions d’action sociale confuses voire même des prises en charge de cotisations à des clubs… qui n’ont rien à voir avec les risques de prévoyance et qui relèvent plutôt de l’assistance. Les syndicats pourraient très bien financer ces pseudos garanties à partir de leurs cotisations syndicales et n’ont pas à imposer des charges supplémentaires à des salariés qui n’en ont pas le besoin,
B- les frais appliqués par les Institutions de prévoyance à leurs contrats d’assurance sont élevés autour de 20 %. Ils sont beaucoup plus élevés que les 10 % souvent annoncés car ils se décomposent le plus souvent en frais d’acquisition et frais de gestion,
C– le service aux clients n’est pas toujours bon voire même catastrophique jusqu’à des résiliations de contrats en cas de sinistres justement au moment où l’assuré a besoin du maximum d’appui de son assureur.
On est donc bien loin des valeurs de solidarité et des missions de régulateur social revendiquées par les partenaires sociaux qui ont finalement comme seul objectif de maintenir un système de financement opaque d’organisations syndicales.
En cette occasion le paritarisme ne montre pas – une fois de plus - son sens des responsabilités et de l’intérêt général.
Quelles solutions ?
Un régime unifié de retraite complémentaire par répartition des salariés sera institué au 1er janvier 2019. L’Agirc sera absorbée par l’Arrco qui dispose de réserves financières plus importantes. L’historique statut cadre de 1947 qui comportait un volet prévoyance va donc disparaître.
Pourquoi ne pas en profiter pour créer à partir du 1er janvier 2019 un régime de prévoyance pour l’ensemble des salariés- totalement distinct du régime de retraite - simple et ouvert à l’ensemble des acteurs (compagnies d’assurance, institutions de prévoyance, mutuelles 45), et identique quelles que soient les branches qui prévoient de par leurs convetnions collectives un régime collectif de prévoyance. Ce serait beaucoup plus compréhensible pour les salariés qui bénéficieraient d’un régime de prévoyance complémentaire minimum y compris en cas de changement d’employeur. Chaque entreprise pourrait alors compléter ce régime en fonction de sa propre stratégie de protection sociale au bénéfice de ses salariés. Les entreprises offrant une protection sociale de bonne qualité deviendront plus attractives pour recruter du personnel de qualité.
[1] Rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective, Dominique Libault, septembre 2015, http://www.argusdelassurance.com/mediatheque/2/7/3/000048372.pdf