Pôle Emploi : Marion Bergeron raconte "183 jours dans la barbarie ordinaire"
183 jours dans la barbarie ordinaire, le témoignage de Marion Bergeron sur son CDD passé dans une agence Pôle Emploi de la région parisienne, méritait une citation particulière dans les colonnes de l'iFRAP car il est le symbole d'une classe dirigeante incapable de faire face à ses responsabilités.
« Si je consacre plus de 5 minutes à une candidature [d'embauche], je n'aurai jamais le temps de toutes les boucler ». « En entretien, renseigner les champs obligatoires le contraint à des questions idiotes ».
« Nous ne pouvons pas leur fournir l'accompagnement personnalisé vendu par nos dirigeants comme le remède miracle au chômage. Si par malheur les conseillers l'espace d'une journée, s'en tenaient à appliquer méthodiquement le cahier des charges, Pôle Emploi se briserait net. C'est le règne de la magouille. Tout le monde triche ».
Sur les contrats aidés, « il en existe une multitude et ils rivalisent de complexité (…) dans une langue juridique indéchiffrable ». « Le CIE, Contrat d'Initiative Emploi est un pur produit opportuniste ».
A propos d'une formation au siège de l'ANPE « c'est beau, c'est grand, c'est vide de sens », « un puits de théorie à la guimauve », « cette formation est une imposture ».
A propos de Laurent Wauquiez, notre secrétaire d'Etat à l'emploi, « ce n'est pas évident de manger une petite salade avec une aussi grosse langue de bois ».
Et cette phrase qui résume bien l'irresponsabilité de nos dirigeants : « Combien de fois ai-je fait preuve d'une hypocrisie ignoble en proposant au demandeur, qui venait chercher un travail, d'avoir accès à la fantastique banque d'offres d'emploi en ligne ? Alors que la seule réponse correcte était « La France souffre actuellement d'une rupture de stock sur ce produit. Repassez dans une petite dizaine d'années » ».
Saluons cette jeune femme qui a su, dans cet essai très enlevé et plein d'humour - souvent noir -, nous faire partager la misère de la France d'en bas, celle qui ne sait pas comment finir les fins de mois et se jette dans les bras de ce monstre aveugle qu'est l'ex-ANPE.
Car Marion Bergeron prend la précaution, au début du livre, de nous rappeler que cette expérience est unique et qu'elle ne présage pas de ce qui se passe dans d'autres agences de l'ex-ANPE. Mais nous pouvons lui répondre. Car malheureusement, l'iFRAP a effectué les mêmes explorations depuis 1986 et les conclusions ont toujours été les mêmes, illustrées par le titre de notre dossier de 1996 : « l'ANPE, cimetière de l'emploi ». Elle peut se rassurer : son témoignage est corroboré par les enquêtes que nous avions menées à l ‘époque dans une demi-douzaine de centres, en nous mêlant aux chômeurs et demandeurs d'emplois.
La seule différence : il y avait 16.000 agents ANPE en 1996, ils sont plus de 40.000 en 2010, mais c'est toujours la même « gigantesque machine à broyer les chômeurs ».
Ce que Marion Bergeron n'a pas dit parce que peut-être elle ne l'a pas su, c'est qui en profite. Certes elle a vu les formateurs du centre délivrer leur formation « vide de sens », certes elle a vu les dirigeants de son centre disparaître bravement lors des confrontations parfois violentes avec des demandeurs d'emploi excédés. Mais elle ne sait pas que Laurent Wauquiez, énarque sorti au Conseil d'Etat, la « grosse langue de bois », a été précédé par un inspecteur des finances à la tête de l'ANPE, Michel Bon, le même qui perdra 60 milliards d'euros à la tête de France-Télécom, et que Michel Bon a multiplié les trucs pour créditer l'ANPE de placements effectués par d'autres afin d'afficher fièrement avoir trouvé un emploi pour 1.400.000 chômeurs alors que des enquêtes officielles montraient, sans contestation, que le nombre de chômeurs placés par l'ANPE en emplois stables était de 60.000. Mais Michel Bon n'avait rien à envier au créateur de l'ANPE en 1967 : Jacques Chirac. Et elle peut consulter les rapports parlementaires rédigés depuis 40 ans sur l'ANPE : jamais ces rapports, rédigés presque tous par des administrateurs mais signés par des parlementaires, n'ont dénoncé l'escroquerie que constitue l'ANPE.
Pourtant, si ces énarques, Jacques Chirac, Michel Bon, Laurent Wauquiez avaient fait un travail sérieux, s'ils s'étaient tout simplement intéressés au sort des millions de chômeurs de notre pays, ils ne pouvaient pas ne pas se rendre compte que placer un chômeur est un travail sur mesure, qui nécessite non pas une usine, une autoroute, la même pour tout le monde, mais des centaines d'agences spécialisées dont la fortune et les résultats soient liés aux placements, en un mot qui fera hurler, un marché. Un marché où les chômeurs ne paient rien car les agences indépendantes (voir l'exemple de l'Allemagne se font payer par l'entreprise qui, grâce à elles, a trouvé un collaborateur et que le signataire de ces lignes a expérimentées à plusieurs reprises avec succès. Et où, s'il y avait besoin d'une agence d'Etat, cela aurait dû être seulement pour les chômeurs les plus inemployables.
Mais les pays qui utilisent le marché sont aussi ceux qui n'ont pas la "chance" d'avoir une Ecole Nationale d'Administration.