« Patrons, tenez bon », de Karine Charbonnier : plus que jamais d’actualité !
Ce livre est un témoignage rare et précieux. Son auteure, patronne et propriétaire de Beck industries, une ETI industrielle spécialisée dans la boulonnerie de précision, de presque 300 personnes en France, et un groupe de plus de 600 personnes au total en ajoutant les filiales britannique et allemande, nous confie en effet son expérience d’une façon que l’on n’a pas l’habitude de voir. Les grands entrepreneurs prennent en général la plume pour asséner de grandes vérités, ou théories, au niveau macroéconomique et impersonnel, fruit de leur réflexion après des années d’expérience dans les plus grosses entreprises du secteur privé ou public. Ici, on reste au contraire dans le récit concret et journalier de la vie d'une entreprise et c’est ce qui en fait son intérêt et sa valeur. Pour l’utilité de la démarche surtout : chef d'entreprise et vice-présidente des Hauts de France, l’auteure montre qu’il n’est pas nécessaire de développer de grandes théories et idéologies pour réformer la France, mais qu’une bonne dizaine de changements bien ciblés pourraient faire beaucoup pour que les PME prennent leur essor en cessant d’être « emmerdés » de tous côtés.
La réalité du dialogue social
Le lecteur sera probablement plus intéressé et surpris par un premier aspect de l’ouvrage, concernant la relation des démêlés personnels que l’auteure expose avoir connus dans ses relations avec les administrations kafkaïennes, l’inspection du travail acharnée à « emmerder » les patrons pour le plaisir, la justice humiliante, les salariés indélicats que cette même justice refuse de condamner, la médecine du travail complaisante, voire complice des fraudes, les syndicats systématiquement et stupidement hostiles… Nous laisserons ce lecteur découvrir tout cela et s’indigner pleinement.
Dans la personnification du titre de l’ouvrage qui apostrophe directement les chefs d'entreprise est résumée toute cette hostilité que rappelle l’auteure et qui est tournée exclusivement vers le patron considéré comme une cible humaine (on parle de « cadeau aux patrons », on constate la délectation du procureur qui se réjouit d’« épingler » un nouveau « patron » à son tableau de chasse, ou d'un délégué syndical interdisant de « sourire aux patrons », etc.) et ce, sans jamais l’identifier à l’entreprise. Pourtant, en s'attaquant au premier de façon si virulente ne cherchent-ils pas à détruire cette dernière par amusement ou jalousie ?
L’autre aspect de l’ouvrage est, à partir de l’expérience vécue du chef d’entreprise, l’exposé des différents sujets sur lesquels les réformes s’imposent. C’est lorsque le récit se raccroche à cette expérience vécue qu’il est le plus intéressant - non par exemple lorsque l’ouvrage, pour faire bonne mesure dans un contexte politique, nous livre quelques pages sur les seuils sociaux et les 35 heures, qui pour être justifiées, n’en sont pour autant pas fondées sur l’expérience vécue dans l’entreprise de l’auteure.
- Une partie importante de l’ouvrage concerne la nécessité d’alléger les charges des entreprises qui se trouvent avoir à payer, soit à titre de cotisations sociales, soit à titre de taxes diverses pour des prestations relevant de la solidarité nationale et non de l’assurance, ces dernières pouvant être seules considérées comme un sursalaire justifiant qu’elles grèvent le coût du travail, ou encore pour financer des dépenses générales de l’Etat telles que celles du logement ou du transport.
- Mention spéciale doit être faite de la mise à la charge des entreprises des maladies extérieures à celles ayant un rapport avec le travail, par une présomption très difficile à combattre de responsabilité des entreprises. Ceci se traduit par une augmentation scandaleuse des cotisations AT/MP, égales à plusieurs fois ce que payent les entreprises allemandes ou britanniques. Et de plus, en Allemagne, le départ d’un salarié inapte est assimilé à une démission, donc sans indemnité… Karine Charbonnier y consacre un chapitre intitulé « Un motard à 480.000 euros ? ».
- Autre sujet très bien traité par l’ouvrage, celui de l’alternance et de l’apprentissage. L’auteure reproche essentiellement au système français d’apprentissage, par comparaison avec ceux de l’Allemagne et du Royaume-Uni, un temps insuffisant passé dans l’entreprise, encore aggravé par le carcan des 35 heures et un coût bien trop élevé : 13,7 euros de l'heure en France contre 7 euros en Allemagne et au Royaume -Uni : la France fait payer à l’entreprise le coût de l’Education nationale. S’ajoute à cela l’hostilité manifestée par les établissements de cette dernière à l’égard des entreprises, accusées de venir « prendre [ses] jeunes ».
- Concernant le paritarisme, Karine Charbonnier y consacre un chapitre très bien venu, relevant son coût exorbitant, son caractère d’usine à gaz, et les méfaits des monopoles des caisses d’assurance paritaires. D’un côté, l’Etat intervient abusivement dans la gestion paritaire, par exemple dans le cas du régime des intermittents, avec le résultat que les entreprises se retrouvent à financer sans aucune raison la politique culturelle publique ; d’un autre côté le paritarisme n’a pas plus de raison de gérer des politiques comme celles du logement, de la formation et des allocations familiales.
- Enfin, sur les questions du code du travail, du chômage, des seuils sociaux ou encore des 35 heures, l’auteure se contente de considérations intéressantes mais plus brèves, et comme nous l’avons dit ces problèmes paraissent avoir été surmontés dans l’entreprise que dirige Karine Charbonnier. A noter, au sujet du licenciement, que cette dernière ne s’intéresse pas tant au célèbre problème de la cause réelle et sérieuse du licenciement économique (auquel elle ne paraît pas avoir été confrontée d’ailleurs), qu’au formalisme, à la complexité et à l’incertitude infernales, aux délais et au coût du licenciement en général, et à l’impossibilité en pratique de préconstituer les preuves exigées par les tribunaux.
Au total, un ouvrage original dans sa plus grande partie. A méditer par ceux qui vont devoir s’atteler aux réformes, ce livre nous montre qu’il n’est pas nécessairement indispensable de s’attaquer aux grands tabous extrêmement clivants de la société française comme les 35 heures ou encore la définition du licenciement économique. En revanche les propositions de Karine Charbonnier sont précieuses en ce qu’elle définit un nombre important de réformes d’ampleur plus modeste et moins susceptibles de soulever les colères syndicales ou autres, et dont nous n’avons naturellement pu donner qu’un bref aperçu. Comme l’indique l’auteure, son propos est de souligner « combien de multiples coûts cachés pénalisent nos entreprises dans la concurrence avec nos pays voisins ». Et incitent à entendre « l’appel du large » comme elle stigmatise les conséquences de ces coûts cachés. Combattre cet appel ne devrait pas être insurmontable, suggère Karine Charbonnier.