Pacte de responsabilité : pourquoi pas 24 minutes de temps de travail additionnel ?
Les vœux du chef de l'Etat ont agréablement surpris par la main tendue d'emblée aux entreprises, interprétée comme une acceptation de la politique de l'offre et de la nécessité de baisser le coût du travail. Quant à passer aux travaux pratiques, c'est une autre question. Il est vrai que l'exercice des vœux ne se prêtait pas au dévoilement des mesures, mais il n'empêche : sauf à tabler sur une renonciation à la recherche d'un consensus et un acte d'autorité fort, on ne voit guère où se niche la solution. Dans un tel contexte, il est assez tentant de se dire que par exemple passer à une semaine de 37 heures payées 35 résoudrait le problème. Mais seulement en théorie… pour autant le débat vaut la peine d'être engagé.
On comprend le Président, dont la promesse imprudente d'inverser la courbe du chômage s'est trouvée prise à contre-pied. Pourquoi dès lors ne pas renvoyer la balle au Medef, auteur lui aussi d'une promesse imprudente de créer un million d'emplois en contrepartie d'une baisse du coût du travail, chiffrée il est vrai à 100 milliards d'euros ? Oui, mais comment ?
Première observation, baisser les charges de 5% ( du montant des salaires) n'est pas du tout négligeable
Certains, comme l'économiste Christian Chavagneux, font valoir que diminuer le coût du travail du montant des cotisations patronales versées à la CNAF n'aurait qu'un effet négligeable sur la compétitivité des entreprises, et donc sur l'emploi. Il se fonde sur le calcul suivant : le coût du travail représenterait (dans l'industrie) environ 20/25% du coût total de production. Les 35 milliards de cotisations CNAF représentent environ 5% des 700 milliards de masse salariale française, et donc un quart de 5%, soit 1,25% seulement du coût de production, ce qui ne serait pas susceptible d'influer sur l'emploi.
Pourtant, cette affirmation paraît bien légère. N'oublions pas d'abord que le chiffre de 1,25% n'est valable que dans l'industrie. Il faut le multiplier par deux ou trois dans le domaine des services, où le coût du travail est très important en France – sans compter que le coût du travail dans l'industrie comprend beaucoup de services en tant qu'intrants. D'autre part, les trois exemples tirés de la construction automobile et de la construction navale que nous citons en encadré montrent bien l'importance capitale sur la compétitivité et l'emploi d'une faible baisse du coût du travail, ou, ce qui revient au même dans les cas cités, d'une augmentation du temps de travail.
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Comment 5% de baisse du coût du travail permet de sauver des emplois.Premier exemple, PSA a vendu en 2012, 3 millions de voitures, dont environ 1 million produites en France. La masse salariale française correspondante est de 4,2 milliards d'euros, pour 76.000 salariés. Diminuer de 5% le coût du travail rapporterait donc environ 210 euros par voiture, ce qui n'est nullement négligeable, lorsqu'on sait la concurrence effrénée que se livrent les constructeurs sur les prix. D'autre part, 210 millions représentent plus du tiers des pertes opérationnelles de PSA pour 2012 (hors dépréciations exceptionnelles), qui se montent, toutes activités confondues, à 576 millions.
Deuxième exemple, l'accord passé par Renault le printemps dernier prévoit, dans l'une de ses dispositions essentielles, le simple retour à un temps de travail de 35 heures contre 34 de temps effectif précédemment, avec un effet de 65 millions d'euros d'économies. En contrepartie, l'entreprise s'est engagée à ne fermer aucun site en France, et à faire basculer une partie de la production de Nissan en France. N'est-ce pas un effet spectaculaire d'une réforme très modeste ?
Enfin, les ex-Chantiers de l'Atlantique (STX) sont au bord de perdre deux commandes importantes de son client traditionnel italien MSC, pour un montant de 2,4 milliards d'euros (1 pour mille du PIB français !), en face de deux concurrents, allemand et italien, dont l'offre serait, d'après ce qui a paru dans la presse, inférieure de 30 millions, soit à peine plus d'un 1% du chiffre d'affaires attendu. La direction de STX accepterait de s'aligner si les syndicats acceptaient de leur côté d'augmenter le temps de travail de 20 minutes par jour non rémunérées, ce qui représenterait précisément le même chiffre de 5% du temps, donc du coût du travail. Les syndicats s'arcboutent malheureusement sur les principes, tout en ne niant pas l'absurdité de la situation. Affaire à suivre.)]
Deuxième observation, baisser le coût du travail pour les entreprises n'est pas envisageable sans une compensation payée par les ménages
C'est d'ailleurs ainsi que les syndicats et le PS lui-même ont immédiatement réagi. La CGT est hostile à la baisse par principe, qu'elle juge équivalente à une baisse des salaires. FO refuse tout prélèvement sur les salaires (cotisations salariales ou impôt), la CFDT accepterait l'augmentation de la CSG, mais à condition que cela ne se traduise pas par une baisse des salaires nets (!), et le PS refuse toute atteinte au pouvoir d'achat des ménages. Ce dernier réfléchit d'ailleurs à la remise à plat de la fiscalité avec une CSG progressive. Et voici la boîte de Pandore ré-ouverte, attention ! Quant au gouvernement, qui s'est engagé à ne pas augmenter les impôts, on ne voit pas de quelle baguette de magicien il disposerait, sachant qu'évidemment une nouvelle augmentation de la TVA paraît exclue. Enfin, le Haut Conseil pour le financement serait prêt à proposer que les branches, comme lors de l'instauration des 35 heures, négocient des baisses du temps de travail en contrepartie d'embauches - ce qui ne résoudrait aucunement le problème actuel.
La CGT a raison : les charges dites « patronales » font partie intégrante de la rémunération des salariés. Elles payent notamment l'assurance maladie et les retraites, au même titre que les cotisations salariales et la CSG. Dès lors, basculer les charges patronales sur les charges salariales ou la CSG ne change rien. Un basculement sur la TVA modifie la situation à la marge, en pesant sur tous les consommateurs, et particulièrement les retraités.
Alors, augmenter le temps de travail serait-il une solution ?
A priori, oui. Passer la durée légale de 35 à seulement 37 heures payées 35 aboutirait à baisser le coût du travail de 5,7% - on retrouve toujours le même chiffre environ. C'est évidemment la solution la moins douloureuse puisqu'elle n'entraîne aucune ponction sur le revenu des ménages ni de quiconque, et que travailler 24 minutes par jour (2 heures sur une semaine) en plus n'est quand même pas un sacrifice de même ampleur que de voir son revenu diminuer. Rappelons-nous d'ailleurs que le passage de 39 à 35 heures n'était pas une revendication sociale à l'époque… Cela aboutirait certes à une baisse de la rémunération (dont le Smic) horaire, mais ne pourrait-on trouver des aménagements ?
Nous raisonnons ici en théorie, objectera-t-on certainement. Nous savons que, si les petites entreprises sont dans l'ensemble demandeurs d'un retour aux 39 heures, les grandes entreprises y sont hostiles, parce qu'elles ont passé difficilement des accords souvent favorables, qu'elles ne veulent pas défaire, et qu'elles ont avant tout la crainte de perturber la paix sociale.
Pourtant, est-ce bien sûr que le passage à 37 heures serait aussi difficile que l'ont été les accords de RTT à l'origine ? D'autre part, on ne peut être que frappé par l'accord passé par Renault que nous avons cité en encadré, et qui a précisément joué sur le paramètre du temps de travail. Espérons aussi qu'une solution identique permettra de résoudre le conflit au sein de STX. Autrement dit, lorsque les circonstances l'exigent, l'augmentation du temps de travail est bien considérée par les grandes entreprises comme une solution.
Reste l'objection principale : en quoi cela permettrait-il de résoudre la question du chômage ?
Il est a priori paradoxal de prétendre combattre le chômage en augmentant la durée de travail ce ceux qui en ont déjà un. Mais les choses sont plus compliquées.
De toute façon, c'est une illusion que de croire que la baisse directe du coût du travail se traduirait ipso facto par des embauches. Cette baisse n'a pas pour but de répartir une même quantité de travail entre un nombre plus important de salariés coûtant moins cher. Le sujet n'est pas ici celui du partage du travail. L'effet essentiel désiré est celui de la reconstitution des marges des entreprises pour permettre le retour des investissements et l'amélioration de l'offre des produits. Les entreprises qui ont actuellement la tête sous l'eau n'embaucheront pas, mais cela leur permettra au mieux, mais c'est déjà beaucoup, d'éviter de disparaître et de faire disparaître leurs emplois. N'oublions pas que le chômage résulte d'un solde entre les emplois créés et les emplois qui disparaissent.
L'augmentation de la durée du travail ne résoudra évidemment pas les difficultés de toutes les entreprises, et notamment de celles qui travaillent durablement en sous-capacité. Mais elle permettra de soumissionner, surtout à celles qui sont soumises à la concurrence internationale, de la même façon qu'une baisse des charges. Et la coexistence dans une même entreprise entre une période de chômage partiel et le besoin d'augmenter le temps de travail n'est nullement contradictoire : c'est le cas de STX précisément, dont 600 salariés seraient en chômage partiel au même moment où, pour satisfaire les besoins d'un contrat, une augmentation du temps de travail s'impose.
Le chemin est malaisé, mais en existe-t-il un autre ? Il faudra aussi que les gains procurés aux entreprises ne se traduisent pas par l'augmentation des salaires, sinon il s'agira d'un coup d'épée dans l'eau. Le problème est d'ailleurs le même dans n'importe quelle hypothèse de baisse des charges.
Conclusion
La direction indiquée par le chef de l'Etat peut être positive. Mais il ne faut pas que le débat s'engage sur un malentendu au sujet d'une prétendue contrepartie prédéterminée à la baisse du chômage par la multiplication des embauches. A la vérité, le Medef vise avec cette baisse une condition nécessaire mais nullement suffisante à l'amélioration de l'emploi, en passant par la reconstitution des marges et l'investissement. Il ne saurait s'agir de contrepartie, chaque entreprise étant un cas particulier. Mais surtout, toute baisse des charges s'analyse en fin de compte, soit en une baisse des salaires, soit en une baisse des prestations. Alors, si l'objectif est bien, dans le cadre d'une politique de l'offre, d'améliorer la productivité et la compétitivité des entreprises, l'augmentation de la durée du travail, ne serait-ce que de deux heures par semaine, soit 24 minutes par jour, ne vaut-elle pas d'être considérée et débattue, quels que soient par ailleurs les efforts de pédagogie nécessaires, et le reniement (partiel) que cela entraînerait pour un gouvernement de gauche ?