Pacte de responsabilité : La CGT et FO encore sur le banc de touche
Etrange saga que celle du pacte de responsabilité : un « machin » complètement bancal dès le début, des acteurs à contre-emploi, un relevé de conclusions type « agreement to agree » sujet à plein de conditions et dont il ne sort pour le moment rien de concret comme on devait s'y attendre. Et pourtant, ce n'est pas rien : ne serait-ce que pour la seconde fois les deux syndicats principaux se retrouvent sur le banc de touche, et leurs théories officiellement désavouées. En Allemagne les deux syndicats principaux, IG Metall et Verdi, coopèrent, en France on les contourne. Pas si mal.
Rien ne pouvait sortir d'un machin bancal qui avait toutes allures d'un piège, ni d'une affirmation du chef de l'Etat selon laquelle des contreparties « mesurables » etc. pourraient être exigées des entreprises bénéficiaires de « cadeaux » qui n'en sont évidemment pas. Simplement parce que François Hollande, ayant échoué à respecter sa promesse de diminuer le chômage, se devait de rebondir sur autre chose et saisissait le pin's patronal au bond, alors que personne ne peut croire qu'il suffit de baisser les charges (pardon, les cotisations) pour augmenter l'emploi, surtout dans les délais brefs sur lesquels les Français s'estiment en droit de compter. Comme le disait le négociateur du Medef, "Une entreprise n'est pas un ensemble bureaucratique. Elle fonctionne quand elle a un carnet de commandes, des clients, un environnement favorable". Inutile de gloser davantage sur ces évidences.
Des négociateurs à contre-emploi. C'est vrai du patronat comme des syndicats. Du patronat, parce que l'objet des entreprises n'est pas de créer de l'emploi, mais de se développer et de réaliser des bénéfices, l'emploi n'étant que la conséquence du succès. C'est aussi vrai des syndicats, et on ne peut pas tenir rigueur à la CGT et à FO sur ce point de s'être somme toute désintéressés de la question. "C'est un pacte qui ne nous engage pas et ne nous concerne pas", a clamé, à peine arrivé pour des discussions, Marie-Laurence Bertrand, la négociatrice de la CGT. Quant à FO, Jean-Claude Mailly a été encore plus explicite : "Le Pacte de responsabilité, FO n'y sera pas. C'est une question de principe. On ne mélange pas les genres. FO n'est pas en charge de l'intérêt général. Encore heureux qu'on ne soit pas obligés de signer. On dira ce qu'on a à dire, on donnera notre avis si on nous le demande, mais il n'y aura pas de la part de Force Ouvrière de logique d'unité nationale. » FO n'est « pas en charge de l'intérêt général ». Vrai : Les syndicats ont pour objet de défendre les intérêts des salariés, ceux qui ont un travail, et il n'existe pas de syndicats de chômeurs. Pire, les intérêts des salariés « insiders » sont souvent contraires à ceux des « outsiders » que sont les chômeurs. De la part de FO, un aveu qui risque quand même de coûter cher. Thierry Le Paon pour la CGT était de son côté manifestement embarrassé lorsque, interrogé par un journaliste qui lui demandait s'il n'entendait pas se battre contre le chômage, bottait en touche en disant que la lutte contre le chômage passait par la croissance, laquelle passait elle-même par… une augmentation des salaires comprise entre 200 et 400 euros ! Augmenter les salariés en poste et le coût de leur travail pour permettre l'embauche de chômeurs ?
Ce qu'il adviendra de conclusions auxquelles les négociateurs sont parvenus ? Probablement pas grand-chose concrètement. On va « demander » aux branches d'engager des « négociations ou des discussions », pour aboutir à un « relevé de conclusions » portant sur des « objectifs » - le Medef avait même parlé joliment d'« ambitions ». Et tout cela nécessitera d'abord que soient connues les réformes fiscales et les baisses de charges, résultat des assises de la fiscalité, le sort du CICE, etc. Et cela, branche par branche. Aucune mention n'est faite d'éventuelles sanctions ou d'une remise en cause des réformes en cas d'échec des négociations/discussions au niveau des branches, ce qui sera fréquent certainement, ou de non-respect d'éventuels engagements. On n'est pas près d'être fixés. Mais il ne pouvait pas en être autrement, sauf à jouer les matamores avec un résultat nul, comme le voulait la CGT, toujours à la recherche de solutions de rupture.
Cela partait donc mal pour arriver nulle part. Et pourtant, quelque chose est en route. Cela s'appelle le dialogue social. Paradoxal, car comme nous l'avons dit, les partenaires sociaux sont à contre-emploi dans cette négociation sur un sujet, celui du chômage, qui aurait dû relever de l'action de l'État. Et trois syndicats, même s'ils ne sont pas les principaux, de même que le patronat, paraissent vouloir prendre en charge l'intérêt général, à savoir la lutte pour l'emploi, en quelque sorte par délégation du pouvoir politique. Par-delà l'habileté du chef de l'État dans la procrastination, il faut quand même attribuer à cet accord entre partenaires sociaux un important effet de pédagogie à l‘égard des Français. Ils verront notamment quelle est la complexité du sujet de l'emploi, la diversité des situations dans les branches, suivant la taille des entreprises, etc.
Et pour la seconde fois, après la chaise vide de la CGT et de FO dans la négociation de l'ANI de 2013, ces deux syndicats se retrouvent ringardisés sur le banc de touche, confits dans leur principe traditionnel et avoué, du moins au niveau des centrales syndicales, que l' « intérêt général » n'est pas leur souci. Obligée de faire une contre-proposition, la CGT évoque une augmentation des salaires de « 200 à 400 euros », proposition qui n'a aucune crédibilité. Le loup est sorti du bois pour se mettre en marge de ce qui est quand même une avancée, à savoir un accord, certes a minima, mais qui laisse augurer que gouvernement, patronat et syndicats réformistes paraissent vouloir faire une partie de route ensemble.