Opéra de Paris, Renault, La Poste : quand des syndicats sont destructeurs
"Il y a des organisations à l’Opéra de Paris, braquées contre toute forme de gouvernance, qui, en croyant défendre le salarié, mettent en péril l’outil de travail. Ce chantage continuel au lever de rideau, le fait de devoir attendre jusqu’à une demi-heure avant le lever de rideau pour savoir s’il sera joué ou non, tout cela n’a rien à voir avec notre métier" Voilà comment le directeur de l’Opéra de Paris a annoncé sa démission, suite au sabotage de cette prestigieuse maison par des personnels, qui a choqué les amateurs d’opéra, et tous les contribuables (pour rappel, le budget de l'institution tourne autour de 229 millions d'euros pour un déficit de 40 millions). Confrontés à des pratiques similaires, les dirigeants de Renault et de La Poste sont restés silencieux, soit résignés, soit décidés à faire changer les choses. Mais ces trois cas récents posent un problème beaucoup plus général : comment gérer des personnels persuadés que les organismes qui les emploient ne peuvent pas disparaître. Convaincus que, quoi qu‘ils fassent, ils seront sauvés par l’État, sans aucune, ou avec très peu de conséquences pour les saboteurs.
Cette attitude que dénonce le directeur de l'Opéra est encore plus surprenante dans un domaine où les conditions de travail sont loin d’être défavorables. On croyait que l’amour de l’art ou du travail dans un secteur exceptionnel créait un enthousiasme tel qu’il permettait de surmonter certains inconvénients inhérents au spectacle. Il semble que Stéphane Lissner visait un syndicat de machinistes, mais il a, par contre, excusé les grèves de ses danseurs et danseuses qui ont fait annuler de très nombreux spectacles en 2019-2020. Annuler le travail de ses centaines de collègues (décorateurs, machinistes, éclairagistes, musiciens…), décevoir ses milliers de spectateurs et mettre l’Opéra en faillite pour défendre un système de retraite appliqué uniquement aux danseurs de l’Opéra de Paris, et pas à ceux des autres troupes en France, est très mauvais signe. D’autant plus que, contrairement à ce qui se passait en 1698, aucun danseur de l’Opéra ne cesse toute activité quand il cesse de danser à l’opéra. Ailleurs, quand les « cadres supérieurs » ont cette attitude, il n’est pas étonnant que les ouvriers, machinistes ou guichetiers oublient leurs responsabilités liées au lieu où ils travaillent. Trois ans après la démission fracassante du directeur du ballet de l’Opéra, Benjamin Millepieds, celle de Stéphane Lissner montre la profondeur des dysfonctionnements.
Dysfonctionnements qui existent ailleurs
Chez Renault notamment dans l'usine de Sandouville en mai dernier. Après 2 mois de confinement où les salariés étaient payés entre 84 et 100%, le sujet était le retour au travail. Des échanges entre la direction de Sandouville et les syndicats avaient abouti à un accord sur le nombre de salariés et les conditions d’hygiène mises en place pour respecter les mesures barrières. Mais la veille de la reprise, la CGT obtenait de la justice l’interdiction de la reprise pour une question de forme : l’accord avait été finalisé par Internet et non pas par lettre recommandée. Contrainte par la justice, la direction s’est inclinée devant ce point de droit tandis que le syndicat majoritaire, CFE-CGC, déplorait cette action : "Sans commenter le jugement au fond, il n’est pas inutile d’en mesurer les conséquences pour les 2500 salariés du site (dont 700 intérimaires) et la précarité soudaine à laquelle il les confronte" et que même FO dénonçait un "coup politique".
Le déconfinement a aussi été difficile pour la Poste des Hauts-de-Seine, quand il a fallu réorganiser la distribution du courrier fin juin. La distribution du courrier 6 jours sur 7 a donc repris, comme c’est légal... mais le syndicat SUD-PTT a contesté cette reprise auprès du tribunal au prétexte que "la direction n’avait pas évalué la charge de travail d’un retour aux 35 heures". Le retour aux 28 heures sur quatre jours appliqués pendant le confinement, a été décidé par le Tribunal pour 27 communes sur les 36 du département. En cas de non respect de la décision, l'astreinte serait de 100 000 euros par jour. Cela jusqu'à ce que la Poste fasse une expertise sur le sujet des 35 heures (qui pour rappel, était bien le régime en place avant le confinement). L'entreprise doit également verser aux postiers plus de 253 000 euros à titre provisionnel, en plus des frais de justice avancés par les demandeurs.
Interrogé, le représentant de SUD-PTT a expliqué que la source du mécontentement n'était pas la question du temps de travail mais des effectifs : le syndicat affirme que la Poste s'est séparé de 20% de ses intérimaires pendant le confinement. Face à ce constat, les postiers, plutôt que d'assumer leur mission publique complète, on choisit de travailler moins. Tant pis pour les usagers. Heureusement, la Poste a déjà fait appel et s'accroche au fait que le tribunal de Versailles lui a déjà donné raison dans une affaire semblable. L'entreprise souligne d'ailleurs que, depuis le déconfinement, "moins de 3 % des établissements courrier de La Poste ont contesté ce retour au travail à temps complet".
Qu'en conclure ?
Parmi de nombreux autres, ces trois cas sont représentatifs de la difficulté de maintenir un sens du risque et des responsabilités dans ces organismes. Le premier par sa portée symbolique très forte. Les deux autres par la décision syndicale d’entraver le fonctionnement de leur entreprise pour des points de forme, sachant bien que la reprise ne pose aucun problème de fond, mais pour procurer un petit avantage ponctuel à ceux des salariés qui préfèrent moins travailler. Comme le disait Stéphane Lissner : « Il y a des organisations, braquées contre toute forme de gouvernance, qui, en croyant défendre le salarié, mettent en péril l’outil de travail. »
Le problème est en effet que certains syndicats et salariés de ces organisations (SNCF, RATP, Air France, Hôpitaux publics, Education nationale… ) sont persuadés que « quoi qu’il arrive, l’État paiera ». L’ouverture à la concurrence à commencé à mettre de la responsabilité à France Telecom/Orange, EDF ou Gaz de France/Engie. Ce sera bientôt le cas à la SNCF. En Suède et en Allemagne la délégation de gestion des hôpitaux publics en déficit ou dysfonctionnement durables, à des fondations ou à des chaînes de cliniques, a mis une borne aux dérives. Au Royaume-Uni, les « free schools », gérées par les parents jouent le même rôle dans l’éducation. En France, les écoles privées sous contrat qui remplissent un peu cette fonction, pourraient le faire vraiment si leur nombre n'était pas arbitrairement plafonné à 20%..
Pour les organismes tels que l’Opéra, quelque chose reste à inventer en France. Le système d’autogestion peut être tenté. C’est le cas du très fameux Orchestre philharmonique de Vienne, du LSO de Londres, orchestre indépendant et autonome depuis 1904, détenu par ses musiciens, ou, en France, de l'orchestre Lamoureux qui survit depuis 1881, et du choeur Accentus fondé en 1992. À condition d’en assumer la conséquence naturelle en cas d’échec : la fermeture puis la refondation sur des bases entièrement nouvelles avec la réaffectation des financements publics éventuels.