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Nouvelle convention médicale : une coûteuse tentative de séduction politique

Au terme de mois de négociations longues et parfois heurtées, la nouvelle convention médicale a finalement été signée le 25 août 2016. Elle va régir, pendant cinq ans, les relations des 115.000 médecins libéraux avec l’Assurance Maladie (et, accessoirement, les complémentaires santé), et a été saluée, comme il se doit, comme « une grande avancée pour les médecins et les patients » par la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

Certes, les médecins peuvent se réjouir d’avoir obtenu une hausse de leurs rémunérations globalement estimée à 1,315 milliard d’euros (dont 300 millions à la charge des complémentaires) à laquelle s’ajoute une amélioration de leur protection sociale ; pour les patients, en revanche, le gain est plus incertain, et pour les cotisants, le surplus de prélèvements sociaux à venir est passé sous silence.

Si l’on se place dans une perspective historique, la présente convention ne déroge pas à la pratique des précédentes, à savoir l’asymétrie des apports : d’un côté les assurés mettent toujours plus d’argent sur la table sans qu’il y ait de véritables contreparties structurantes de la part des professionnels, de l’Assurance-Maladie et des complémentaires, au-delà de vagues engagements plus ou moins tenus en pratique.

Les principales mesures s’inscrivent dans une logique gradualiste de poursuite du système existant, certes « actualisé et modernisé » mais en l’absence de perspectives innovantes, susceptibles de répondre aux difficultés et aux défis qu’affronte notre système de santé : la période pré-électorale est peu propice à ces "perspectives innovantes" ou "réformes de structure".

  • Ainsi en est-il de la consolidation du principe du paiement à l’acte et de la mesure emblématique, exigée par les syndicats professionnels, de revalorisation des honoraires pour la consultation de base. Ceci alors que le vieillissement de la population et l’extension des maladies chroniques et de la dépendance qui en résultent ne pourront être pris en charge de manière soutenable, financièrement parlant, que par la mise en place résolue de modalités diversifiées de rémunération, dont des modèles forfaitaires à grande échelle en adéquation avec la transition épidémiologique ; en tout cas, une évolution nécessaire allant bien au-delà des forfaits très limités déjà développés par l’Assurance Maladie – et maintenant remplacés par un « forfait patientèle » – d’autant que le Conseil national de l’Ordre de médecins lui-même se déclare favorable, dans un récent avis, à l’exploration d’une part de forfaitisation[i].

Au surplus, la création d’une échelle de tarifs multiples en fonction du contenu de l’acte, de sa spécificité, de sa complexité et du type de patient concerné, même si elle peut paraître correspondre à une certaine logique théorique, ne pourra que conduire à un dérapage des dépenses en raison de la relative opacité du système mis en place.

  • Ainsi en est-il de l’aide de 50.000 euros proposée aux médecins qui accepteront de s’installer dans les zones en tension pour une durée d’au moins trois ans. L’expérience passée a montré la relative inefficacité à moyen terme de ces mécanismes incitatifs pour pallier l’existence croissante de déserts médicaux ; leur résorption ne peut reposer que sur des mesures d’orientation réellement plus coercitives et/ou des procédures de délégation de tâches au profit de professionnels paramédicaux mieux formés et plus qualifiés, délégations couplées au développement résolu de la télémédecine. Toutes mesures qui rencontrent l’hostilité déclarée des organisations syndicales de médecins.
  • Ainsi en est-il de la question des dépassements d’honoraires : le précédent dispositif du contrat d’accès aux soins (CAS issu de l’avenant n°8 signé en 2012) n’a rencontré qu’une adhésion très limitée auprès des praticiens malgré un coût appréciable pour les payeurs. Il est remplacé par l’option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM) qui introduit des modalités de participation plus souples. On peut donc considérer que le problème des dépassements d’honoraires, sensible au regard des inégalités sociales de santé, conserve toute son acuité.
  • Ainsi en est-il, enfin, du dispositif de rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). Une stratégie souhaitable mais qui fait l’objet d’un simple ajustement : tout d’abord, les objectifs d’équipement du cabinet médical sont remplacés par la mise en place d’un « forfait structure » de 4.600 euros annuels permettant un investissement dans des outils informatiques favorisant un meilleur suivi des patients et une coordination accrue entre professionnels dans une logique, actuellement privilégiée, de parcours ; en second lieu, sont renforcés les objectifs relatifs à la prévention et au suivi des maladies chroniques. 

En ce domaine, on ne peut que regretter que ce thème – pourtant essentiel – de la prévention continue à relever d’un discours global et largement inefficace et ne se traduise que par des mesures largement cosmétiques – qui abondent dans la loi de modernisation du système de santé du 21 janvier 2016 – en oubliant les deux conditions économiques d’efficacité de la prévention : d’une part, un système de rémunération des médecins faisant une large part à la capitation ; d’autre part, une responsabilisation des assurés en fonction de leurs comportements individuels de mieux en mieux connus grâce aux objets connectés et au « Big data » ; mesure certes interdite en France mais déjà développée aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Afrique du Sud et que l’Assureur Générali tente d’introduire chez nous sous la forme de ristournes qualitatives[ii]

On remarquera en terminant cette première analyse, que le directeur général de la CNAM a déclaré « n’avoir aucun doute sur le fait de réussir à faire vivre la convention ». Le scepticisme s’impose tout de même puisque, malgré le coût substantiel pour les finances sociales, deux syndicats (dont le principal la CSMF) ont refusé de signer la convention, que même les signataires s’insurgent toujours contre le tiers-payant généralisé et réclament la remise en cause, voire même l’abrogation de la loi Touraine. Les complémentaires santé refusent aussi de signer cette convention en l'état et d’assumer les 150 millions de dépenses qui ont été mis à leur charge pour financer le « forfait patientèle », tout en continuant à les cantonner dans un rôle de payeur aveugle.

Une situation qui souligne le décalage entre le gel pour cinq années de l’organisation de la santé de ville française et les réformes structurelles réalisées en Allemagne ou aux Pays-Bas depuis dix ans. Partout dans le monde, gouvernements, universités, start-up, entreprises, établissements de soins et payeurs s'activent à refonder l'organisation des systèmes de santé, la France devra rapidement rejoindre ce mouvement. .  


[i] Avis public du CNOM sur « Télémédecine et autres prestations médicales électroniques » Rapport de mission Février 2016

Forfait patientèle : rémunération annuelle dédiée au suivi des patients du médecin traitant pour valoriser son rôle de coordination et de synthèse. Son montant est calculé avec une pondération tenant compte du niveau de complexité de la prise en charge de ses patients (âge, pathologie, précarité).  

Capitation : le médecin perçoit une somme forfaitaire par patient inscrit à son cabinet, indépendamment du volume de soins qu'il lui prodiguera. 

[ii] Le Monde 07/09/2016 « Santé : faut-il faire payer les assurés en fonction de leur mode de vie ? »